[Entretien] Marie-Anne Isler-Béguin (Parlement européen) : Géorgie. A Gori, il faut un corridor humanitaire
(B2) Marie-Anne Isler Béguin, députée Vert au Parlement européen, et chef de la délégation du PE pour le Caucase est depuis lundi en Géorgie. Aujourd’hui (samedi), elle a réussi – avec une délégation officielle composée de l’ambassadeur de France en Géorgie, Eric Fournier, au titre de la présidence de l'Union européenne, et du vice-ministre des Affaires étrangères bulgare, Milen Keremedchiev, à entrer dans Gori. Elle raconte :
Comment etes-vous entré dans Gori ? Ce n'était pas ma première tentative. J’avais essayé d’entrer à Gori, déjà il y a deux jours. On avait franchi plusieurs check-points russes (six) avant de tomber sur un dernier, où on avait été arrêté. Le Général présent, le Général Borissov nous avait dit qu’il "ne pouvait pas nous laisser passer", car le "secteur n'était pas sûr, il y avait des éléments qui n’étaient pas sous les ordres des forces russes". Il m’avait promis de revenir dans deux jours, ce que j’ai fait.
Qu'avez-vous pu voir ? On n’a pas pu resté longtemps à Gori. Car les Russes nous ont dit de partir avant 18 heures. Mais assez pour rencontrer le gouverneur de la cité, M. Vardzelashvili qui a tenu à rester dans sa ville, et voir quelques femmes, assez âgées, apeurées, qui nous suppliaient d’amener de la nourriture, pour elles, pour leurs enfants.. La situation est désespérée. La population manque de tout. Je ne peux pas dire combien de personnes sont restées. La ville comptait 60 000 personnes. Beaucoup ont fui. Mais il reste sans doute quelques milliers de personnes, cachées. Il faut rapidement que les organisations humanitaires puissent accéder à cette ville, librement, il faut un corridor humanitaire.
La présence des Russes en Géorgie, qu'avez-vous vu ? Hier (vendredi) on est resté bloqué à Kaspi (ville située entre Gori et Tbilissi, à 30 kms de l'une, 50 kms de l'autre), on a vu plusieurs impacts de bombes sur le chemin de ferroviaire, sur la cimenterie, un hélicoptère russe en l’air et des champs brûlés (il s'agissait en fait des roquettes thermiques, leurres, lancées par les hélicoptères, pour dévier d’éventuels missiles sol air). Les frappes continuent, ciblées. Les Russes se sont installés, ont creusé des fossés. Ils patrouillent dans les villages aux alentours. La population est affolée car, avec l’armée russe, arrivent des milices paramilitaires qui pillent (cosaques, tchétchènes…). Quand on est arrivé à Gori (samedi), on a vu un long convoi routier militaire russe, composé de véhicules de toutes sortes (charges, engins de génie, camions citernes) qui fonçait dans l’autre sens, vers Tbilissi donc. L’ambassadeur de France a prévenu immédiatement par téléphone, Bernard Kouchner et l’Elysée qu’il a eu en direct, pour les informer. Quand nous sommes retournés, quelques heures plus tard, nous n’avons plus vu ce convoi. Il n’a pas pu se disperser dans la nature, vu le nombre, je pense qu’il a bifurqué vers l’Ossétie du nord.
Que cherchent les Russes selon vous ? Il y a une réelle volonté des Russes de détruire l’infrastructure, de faire peur, de faire pression sur la population, de casser le moral des Géorgiens, en disant que la communauté internationale ne fait rien pour eux.
Et la réaction de la population ? Dans les villages, ils sont affolés, apeurés. A Tbilissi, cependant les gens restent calmes et déterminés, prêts à prendre les armes s'il faut pour défendre leur pays.
Ce qui est arrivé est une surprise pour vous ? Non. Au Parlement européen, on avait tiré la sonnette d’alarme très tôt. Depuis des mois, on disait qu’il fallait revoir les conditions militaires sur place, qu'avec des Russes en forces maintien de la paix, ce n'était pas tenable, qu'il y avait des afrontemements permanents. Nous le disions en mai dernier : il faut envoyer des forces de paix européennes. Le 15 juillet encore, j’avais apostrophé Bernard Kouchner sur le sujet, on voyait bien que le conflit armé était proche. Personne n’a voulu entendre ce message.
Cependant l’UE est intervenue ? Oui effectivement. Et il faut bien dire qu'on a été les seuls. C’est Sarkozy au nom de l'Union européenne qui a négocié en direct. Les Géorgiens sont d'ailleurs assez déçus de l’attitude des Américains qui n'étaient pas présents dans ces heures là. L'Union européene l'était… Mais l’Europe n’a pas saisi toute la gravité de la situation et la nouvelle atitude de la Russie, à temps. Maintenant il ne faut pas traîner...
Que faut-il ? Il faut un retrait immédiait des Russes qui n’ont rien à faire là où ils sont en plein territoire géorgien, à plusieurs dizaines de kilomètres de l’Ossétie, il faut renforcer les observateurs, ceux de l’Osce, mais aussi que les média, afin de ne pas laisser les Géorgiens seuls. Il faut que des parlementaires européens soient là. Elmar Brok (eurodéputé allemand) arrive mardi pour me relayer (1). Et il faut ensuite négocier rapidement un nouveau format des forces de maintien de la paix. On ne peut pas laisser les Russes et les Géorgiens face à face.
(NGV)
(entretien réalisé par téléphone le 16 août au soir)
Crédit photo : www.maib.info
NB : la commission des Affaires Etrangères et la sous-commission défense du Parlement européen tiendront une réunion exceptionnelle d'urgence sur la situation en Géorgie, mercredi 20 août.
(1) Information confirmée officiellement au Parlement européen le 18 août, il ira en compagnie du député autrichien, chrétien démocrate lui aussi, Othmar Karas.