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L’opération Sophia en phase 2. Entretien avec Hervé Blejean

(BRUXELLES2) L’opération Sophia (ex EUNAVFOR Med) entre aujourd’hui (7 octobre) dans une phase plus active, la phase 2a visant à arrêter les trafiquants d’êtres humains et les passeurs en haute mer. B2 a pu s’entretenir, de façon approfondie, avec le contre-amiral Hervé Bléjean, commandant en chef adjoint de l’opération au quartier-général d’opération de Rome (interview intégrale parue sur B2 Pro, lire : EUNAVFOR Med une pièce dans un puzzle plus complet (Bléjean)). Extraits…

La phase 2 (2a) démarre. Quel est votre objectif durant cette phase qui doit être plus opérationnelle ?

Notre objectif est de démanteler les réseaux criminels qui font de l’argent avec le désespoir des gens, et risquent la vie des gens qu’ils font partir en mer dans des conditions dangereuses et scabreuses. Si on appréhende de possibles trafiquants ou passeurs, le but est de les traduire en justice. Et d’avoir ce qu’on appelle le Legal finish. C’est-à-dire d’aboutir, au final, à la condamnation des trafiquants.

Vous pourrez agir malgré les contraintes du droit international ?

Le droit international permet de mener un certain nombre d’actions que ce soit au titre de la convention de Montego Bay ou du protocole de Palerme. On a ainsi parfaitement le droit de monter à bord pour assurer le contrôle des papiers et l’identité des bateaux qui ne battent pas de pavillon. Ce qui est le cas de la grande majorité des bateaux impliqués dans le transport des migrants. Il ne s’agit pas d’un contrôle d’identité des personnes mais des papiers du navire.

Vous parlez de poursuite en justice. Qui va poursuivre ? Va-t-on se retrouver dans la même problématique que pour l’opération Atalanta, avec la difficulté de poursuivre les gens arrêtés ?

L’Italie a accepté de poursuivre tout suspect remis par un navire participant à l’opération, quelle que soit la nationalité du navire. Mais chaque nation participante garde une option. Il appartient à l’Etat de décider s’il souhaite poursuivre ou non la personne arrêtée. Si la réponse est non, l’Italie accepte de poursuivre, pour peu qu’on puisse lui produire une procédure acceptable, par le procureur anti-mafia italien.

Des personnes ont-elles déjà été remises à la justice ?

Oui. Une quinzaine de personnes ont déjà été remises à la justice italienne. Elles étaient liées de près ou de loin, aux réseaux de passeurs.

Démanteler les réseaux ne va pas se faire en quelques mois ?

Non. C’est un travail de fourmi, de longue haleine, qui va prendre du temps. Tout l’objet de l’opération est d’ailleurs d’aller plus loin, de renforcer la coopération avec les organisations de police européenne ou internationale (Eurojust, Interpol…) et de pouvoir agir aussi sur les flux financiers dégagés par ces organisations. Cela nécessite une approche globale complète.

Vous ne pouvez cependant aller dans les eaux territoriales libyennes actuellement ?

Non. Ce sera pour une étape ultérieure. C’est l’objectif ultime de l’opération : aller dans l’espace de souveraineté libyen pour appréhender, au plus près, tous les moyens utiles aux réseaux de trafiquants et passeurs. Mais dans tous les cas il faut une invitation du gouvernement d’unité nationale libyen. Et ce sont des leviers qui ne sont pas entre nos mains. C’est tout l’enjeu du travail mené par Bernadino Leon (NDLR : l’envoyé spécial de l’ONU), dont on appelle le succès.

Donc pas d’intervention en Libye sans l’accord libyen contrairement à ce qui s’était passé en 2011 pour l’opération de l’OTAN ?

Exactement. On ne fera rien dans l’espace de souveraineté libyen sans accord du gouvernement libyen, reconnu par la communauté internationale. Il ne doit y avoir aucun fantasme sur nos intentions. Nous n’avons pas d’agenda caché.

Vous restez très discrets sur le modus operandi des trafiquants, sur ce que vous allez faire dans cette autre phase, pourquoi cette prudence ?

Un de nos objectifs est d’avoir quelques succès opérationnels. L’adversaire est extrêmement connecté, a ses propres capacités d’analyse et de renseignement sur des sources ouvertes. Toute fuite sur la façon dont on veut procéder, qui nous visons, à quel moment on change de dispositif, mettrait à bas notre tactique. Tout le monde mettra la tête sous l’eau, et ce sera dommage. Quand on place une souricière, on ne dit pas quel type d’appât, de piège, ni où et à quel moment on le fait.

(propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).