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Une “Global strategy” ! Bon, et après on passe aux choses sérieuses ?

© NGV / B2 - à Amsterdam
© NGV / B2 – dans le jardin attenant au musée maritime d’Amsterdam où se déroule le Gymnich

(BRUXELLES2) Le Landerneau bruxellois et alentours bruisse beaucoup de la future stratégie européenne sur la politique extérieure et de sécurité, renommée “global strategy” (1), que Federica Mogherini entend voir adopter en juin par les Chefs d’Etat et de gouvernement. Les 28 ministres des Affaires étrangères et de la défense auront un déjeuner en commun sur ce sujet vendredi à Amsterdam. A presque 60 autour de la table, je ne suis pas sûr que cela puisse mener très loin…. Et honnêtement, j’ai vraiment du mal à me passionner pour cet exercice qui me parait légèrement éloigné de la réalité…

Une stratégie pour le bien-être ?

Depuis que je couvre les questions européennes, je n’ai jamais vu un responsable politique se référer à une Stratégie pour décider d’une action extérieure européenne, ou la refuser. En revanche, j’ai vu souvent de belles stratégies écrites sur le papier, prévoir tout ce qui était possible ou impossible. Le résultat a été souvent proche du zéro (cf. au Mali en 2013).

4 facteurs de passage à l’action

La réalité, c’est qu’une action politique, surtout en matière de politique étrangère ou défense se décide en fonction de quatre facteurs essentiels, très politiques, qu’on peut résumer ainsi : 1° une menace, 2° un état d’esprit propice parmi les 28, 3° la volonté décidée, et décisive, d’un ou deux responsables politiques, 4° et l’absence de contrariété farouche d’un autre. S’il y a une base juridique, c’est bien. Si elle n’est pas là, on se débrouille. Regardez ce qui s’est passé à l’été 2008 pour la Géorgie. L’Europe bouge (avec Nicolas Sarkozy aux manettes à l’époque) et s’interpose. A l’inverse, avec les mêmes protagonistes, le résultat est négatif pour l’assistance au Congo. C’est assez simple en quelque sorte. La stratégie reste donc un document de papier complémentaire mais non décisionnel.

La politique extérieure évolue au gré des courants

Quant à fixer la ligne directrice d’une politique européenne pour des années, c’est un vrai ‘challenge’ (comme on aime à le dire). Qui pourrait avoir une vision stratégique, aujourd’hui, c’est-à-dire pour les 5 ou 10 ans à venir ? Cette politique évolue (et c’est plutôt un bon signe) en fonction des circonstances. C’est, en cela, que toute la réflexion entamée, à grand effort, par l’Union européenne pour bâtir une nouvelle stratégie de politique étrangère est certes intéressante et estimable. Mais assez peu stimulante au plan opérationnel et même stratégique. Le positionnement géographique, historique, géopolitique des Etats fait qu’une appréhension commune des menaces et des risques parait différente. Au mieux, une stratégie européenne consiste donc à empiler les priorités des Etats membres. Mais pas vraiment à définir une priorité. Ce qui serait l’ambition d’une stratégie normalement.

Une approche plus tactique que stratégique

La réalité de l’approche se fait davantage, au jour le jour, dans les rencontres bilatérales, les réunions ordinaires de ministres, et entre les capitales. Au gré des changements de gouvernements, des rapprochements peuvent intervenir (ou vice-versa). Le donnant-donnant géopolitique est souvent la règle, même s’il est rarement avoué. Sur le mode : tu me soutiens sur l’Est, je te soutiens sur le Sud ; tu me soutiens en Somalie, je te soutiens au Mali, etc. On arrive ainsi à des positionnements sinon communs du moins partagés. Cela n’a rien à voir avec la stratégie. C’est assez tactique en fait. Une position assez prosaïque également constatée sur le terrain : quand un Etat a besoin d’un autre, pour libérer des otages, évacuer ces concitoyens, pour boucler une opération, il lui en sait gré. Ceci ne peut s’écrire dans une stratégie. Mais c’est un versant tout aussi louable de l’esprit de solidarité entre pays européens.

Mais difficile à affirmer franchement

A cela, il faut ajouter le contexte très diplomatique de l’exercice. Pourrait-on dire exprimer certaines vérités stratégiques. Par exemple, affirmer que la Russie est notre allié nécessaire… ou bien notre ennemi ultime (les 2 versants de la réalité européenne), que faute de solution à deux Etats au Moyen-Orient, on reconnaitra (ou non) l’Etat de Palestine, que la Turquie a vocation (ou non) à adhérer à l’Union européenne, que l’objectif est d’avoir une armée européenne dans 20 ans, etc. Ce ne serait sans doute pas le cadre adapté pour un tel travail officiel. Il faudra donc se contenter d’un texte conformiste, tiède, et d’une longue liste de défis auxquels l’Europe doit répondre. L’utilité de ce texte risque d’être limitée, ne constituant pas réellement le syncrétisme stratégique recherché.

Où est le débat ?

L’objectif affiché est — affirme-t-on — également de provoquer un débat parmi la société européenne. Force est de reconnaitre est que le débat public, s’il a lieu, ne rencontre pas vraiment l’enthousiasme des foules, même les plus érudites. Cet exercice est d’ailleurs si peu concret et si discret qu’il est difficile d’inciter quiconque à y participer. Quel est l’enjeu ? Quels sont les lignes de force ? Qu’entend-t-on défendre ? Interrogé par des étudiants, j’ai eu bien de la peine à y répondre autrement que par un charabia difficile à comprendre, terminé par un lapidaire : “en fait, çà ne sert à rien” Sinon permettre à toute une série de personnes qui entendent réfléchir sur l’avenir européen de s’exprimer. Et c’est déjà bien. Ca occupe l’esprit.

La stratégie du feu de cheminée

Quant à moi, je suis resté assez ‘old school’. Un bon trio de rédacteurs, chevronnés, avec au besoin une plume de la communication, un délai de 24 ou 48 heures, dans une local exigu d’une quelconque institution européenne, voire (le luxe !) une bonne masure de campagne, un feu de cheminée, une petite dose de whisky, devrait suffire largement pour mettre à niveau et remettre à jour la doctrine ‘Solana’ fixée en 2003. Cette doctrine parait un peu datée. Mais, dépoussiérée de quelques incongruités anciennes, et remise à neuf, elle peut encore vraiment tenir dix ans.

Passer aux choses sérieuses

Et nous pourrons ainsi passer à la suite qui est autrement plus sérieuse… Car en matière stratégique il y a de quoi faire : un livre blanc sur la défense (pour mettre un peu d’ordre dans nos priorités et nos dépenses), la définition d’une politique pour l’UE en matière de maintien de la paix (qui parait un peu hétéroclite), un nouveau mécanisme de financement (le manque de finances empêchant souvent la solidarité), des décisions concrètes pour équiper les Etats africains (tout le monde le proclame mais la Commission renâcle encore à lâcher ses sesterces), la traduction en actes concrets des outils fixés dans le Traité de Lisbonne (toujours pas appliquée), la mise sur pied d’une vraie force de réaction rapide (car le dispositif du battlegroup a vécu). Le chantier est immense. Il y a beaucoup à réfléchir, à débattre, à concevoir, à mettre en place…

Le risque : se retrouver à ‘nu’ demain !

Face aux défis et menaces actuelles, le vide sidéral qui règne sur ces sujets est, en effet, (très) inquiétant. Il devrait être comblé rapidement. Afin de ne pas se retrouver “à nu” comme le jour où un président français a invoqué l’article 42.7. Aucun texte, de ligne directrice, de note de service n’avait fixé sur le papier, la conduite à tenir pour l’Union européenne en cas d’invocation de ce qui est normalement “La” clause d’assistance et de défense mutuelle. Une clause de solidarité qui figure dans les traités depuis presque 10 ans tout de même… (2).

Avant de se livrer à un grand exercice de réflexion stratégique, il serait souhaitable qu’au jour le jour, les lacunes doctrinales et opérationnelles soient déjà comblées. Ce serait déjà bien, pour ne pas se retrouver derrière le sempiternel : c’est une absence de volonté politique.

A suivre…

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Normalement on devrait traduire par stratégie mondiale. Tout le monde le traduit par “stratégie globale”.

(2) Le texte du traité de Lisbonne reprend une disposition qui figurait dans le projet de constitution européenne mort-né (une disposition figurant dans le traité de l’UEO datant de… 1948).

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).