Big news ! L’armée européenne existe. Le Daily Mail l’a rencontrée

(BRUXELLES2) Vous vous demandez si l'armée européenne existe vraiment, si ce n'est pas une chimère, une vue de l'esprit ou une c..., un rêve ou un cauchemar virtuel. Détrompez-vous, l'armée européenne existe bel et bien. Le Daily mail l'a rencontrée. Photos à l'appui, le quotidien britannique, plus célèbre pour ses ragots que son sens de l'investigation, raconte même qu'elle est passée en phase opérationnelle sur le territoire britannique : « Invasion of the EU army! (1) Worried Euro tanks may park on our lawn, Minister? Too late... they're already here ».
Regardons de près ce qui est dit ! Et ramenons la réalité qui semble être vraiment le cadet des soucis de cet article...
A 1,500-strong force of EU troops was on manoeuvres in Britain last week
Plus sérieusement, dans ce battlegroup, il y a essentiellement... des Britanniques, sous le commandement d'un général Britannique. Avec quelques Suédois, Finlandais, Irlandais (du Sud), Lettons et Lituaniens, et même des Ukrainiens normalement ! Pas de quoi fouetter la Reine d'Angleterre.
Et le Daily Mail est en retard de quelques années. C'est à Saint-Malo, en 1998, sur une initiative franco-britannique que nait l'idée d'avoir à disposition une force de réaction rapide des Européens pour mener des opérations d'interposition légère, ou d'évacuation de ressortissants. Ce sont les Britanniques qui inaugurent d'ailleurs en 2005 - avec les Français - ce tour de rôle. Ce qu'on appelle en France les Groupements tactiques 1500 (car formés d'environ 1500 hommes, en général beaucoup plus) est traduit par l'anglais "EU Battlegroup" (EUBG) plus aisément compréhensible. C'est cette dénomination qui l'a emportée.
They were taking part in what is thought to be the biggest EU military exercise in the UK. And in a move that might cause further concern for Brexiteer Ms Mordaunt, the joint war games played out by an 'EU Battle Group' represent a stepping up of plans to mount a European force capable of rapid deployment to foreign shores.
En réalité « de pas supplémentaire » et de « plans » pour mettre en place une force européenne capable de se déployer à l'étranger, c'est juste ni plus ni moins le classique entraînement de la force de réaction rapide de l'Union européenne. L'astreinte est prise par rotation tous les six mois par un ou plusieurs Etats membres. Ce depuis 10 ans ! Ce n'est pas une première en soi. Les Britanniques seront d'astreinte à partir de juillet 2016. Ce qui n'est pas une nouveauté non plus. Les Britanniques ont déjà pris à 4 reprises leur tour d'astreinte : en 2005, 2008, 2010 et 2013. C'est donc la cinquième fois depuis 10 ans que l'armée européenne "envahit" le Royaume-Uni
Ces fameuses manoeuvres sont en fait l'exercice de qualification du battlegroup qui ont été préparées longtemps d'avance. Elle ont duré une dizaine de jours jusqu'au 20 mai. Des exercices qui ne sont pas en soi d'ailleurs très différents des exercices de l'OTAN, pour la force de réaction rapide (NRF), étant conçus sur des modèles similaires. L'important dans ces exercices est d'améliorer l'interopérabilité entre les différentes forces (air, blindés, hélicoptère, médical, commandement, forces de l'avant, etc.) comme les différentes nations y participant.
Exclusive photographs show 'Euro army' tanks and vehicles in Britain
While a British Brigadier is in charge of the force during the UK's period of command, he takes his orders from Brussels, not from the UK's operational headquarters.
Tactical decisions, such as the rules of engagement for the EU Battle Group, are decided by the Foreign Affairs and Security Council of the European Union.
Les décisions ne sont pas décidées par le Conseil des ministres des Affaires étrangères en soi mais par les 28 Etats membres (27 en matière militaire - sauf le Danemark) réunis au Conseil. Ce n'est pas un détail de langage. Car toutes les décisions sont prises à l'unanimité.
Pour avoir suivi plusieurs circuits de décision, je peux témoigner combien les représentants britanniques (et ce ne sont pas les seuls) sont très sourcilleux sur ces sujets. Autrement dit, tant que le Royaume-Uni est membre de l'union, il peut émettre un droit de veto, formel ou informel, et empêcher ainsi toute décision, tel le déploiement d'un battlegroup. Un droit que Londres ne s'est pas privé d'utiliser dans le passé, pour retarder ou limiter les effets d'une opération.
En outre, tout Etat qui décide de participer à l'opération (c'est facultatif), peut indiquer des "caveouts", des exceptions aux règles d'engagement. Il y a toujours un officier supérieur par Etat — dit "red flag" — chargé de faire respecter les "lignes rouges" fixés par un Etat dans sa participation. Dans tous les cas, un soldat britannique ne pourrait jamais aller contre les limites ou la volonté décidée par son Etat membre.
Précisons aussi que les '28' ministres décident surtout des options stratégiques : décision d'envoi d'un battlegroup, cadre d'emploi de la décision, etc. Les règles d'engagement sont généralement discutées et décidées à un niveau infra-politique par les militaires ou les diplomates spécialisés (le Conseil ne donnant que son imprimatur). Mais toujours selon le même principe de l'unanimité. Il n'y a pas de majorité qualifiée en matière de défense.
Three 1,500-troop rapid reaction forces, directed by the EU's Council of Ministers, and designed to respond to security crises.
Il n'y a pas trois mais deux battlegroups de permanence normalement ensemble. Mais effectivement, les "EU Battlegroups" sont désignés pour répondre à des crises de sécurité (1). Du moins en théorie. Car, en réalité, ils n'ont jamais été déployés... La faute notamment aux Britanniques ! (Lire : Les GT 1500 ou battlegroups. Une belle idée jamais mise en pratique)
Austrian Lieutenant General Wolfgang Wosolsobe is in command
The EU has three Battle Groups and the one deployed to the UK is a 'light force' – using armoured patrol vehicles such as Humvees and the RG-32M 'Scout'.
L'Union européenne n'a pas vraiment de battlegroups permanents. Mais juste deux, désignés par rotation entre les Etats membres. Tous sont une "force légère" de 1500 à 2500 hommes. Les Etats y contribuent de façon "volontaire" pour avoir des troupes de permanence, une astreinte tournant tous les six mois.
En conclusion, du grand n'importe quoi dont seule la presse britannique est capable avec un grand talent (il faut le reconnaitre). Au final, c'est un vrai chef d'oeuvre de désinformation, doublé d'une très méconnaissance, crasse, à la fois du fonctionnement de l'armée britannique et de la défense (2). A coté, le meilleur spécialiste de la propagande de l'école soviétique parait un petit télégraphiste honnête. Quand un quotidien britannique monte en mayonnaise ce qui n'est qu'un simple exercice pour la préparation à une très (éventuelle) intervention de maintien de la paix — qui a de grandes chances de ne jamais venir —, pour en faire une « invasion » de l'armée européenne », ce n'est plus de l'information, c'est de l'ordre de la pathologie miraculeuse...
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Sans doute le seul passage exact de cet article.
(2) Un peu timide tout de même. Le quotidien britannique, un peu mieux informé, un peu plus soucieux de pousser le sens de l'enquête (;-), aurait pu pousser le bouchon un peu plus loin. Deux - trois suggestions.
- Une invasion de terroristes irlandais soutenus par des anciens soldats de Crimée. Explication : dans ce battlegroup se trouvent aussi des Irlandais du Sud et quelques Ukrainiens (auparavant stationnés en Crimée).
- Le QG d'opérations britanniques envahi par les Européens. Explication : Le QG britannique d'opérations à Northwood accueille le QG européen d'EUNAVFOR Atalanta et le drapeau européen est de sortie (uniquement lors des cérémonies officielles)
Que dire des manœuvres franco britanniques dans la Perfide Albion alors ? 🙂 Gros soupir.