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Y-a-t-il des adultes dans la salle (Costa Gavras)

(B2) C’est avec le regard de Yanis Varoufakis, l’éphémère ministre grec des Finances durant la crise financière, que Costa Gavras met en lumière l’arrière cour des décisions européennes sur la dernière crise grecque après l’arrivée au pouvoir de la gauche de Syriza

C’est tranché, radical comme le réalisateur de ‘Z’ l’aime. Mais autant les caractères que l’ambiance sont retracés de façon plutôt réaliste. Il met un point d’honneur à camper le caractère inflexible de l’attitude allemande, notamment un Wolfgang Schäuble inflexible, et une Angela Merkel qui louvoie mais couvre son ministre, une petite cour de ministres plus durs (slovaque…) que le Roi ; un Jeroen Dijsselbloem, président de l’eurogroupe, dépeint comme un ultra servile ; un Mario Draghi menaçant ; un ministre français (Michel Sapin) qui veut jouer le rôle du gentil, mais n’arrive pas à être tout fait à la hauteur, tout à son désir de maintenir le lien avec l’Allemagne. Idem pour la Commission européenne avec un Pierre Moscovici qui s’efface devant Dijsselbloem et un Juncker lointain. Seule s’en sort une Christine Lagarde au FMI, au rôle impeccable, reconnaissant que la « dette grecque est insoutenable » et regrettant qu’il « n’y a pas d’adultes dans la salle » — le titre vient d’une de ces citations —, François Hollande cité comme le recours d’Athènes et un certain jeune ministre de l’Économie (Emmanuel Macron) qui fait une apparition rapide.

Une tragédie grecque

Le film met bien en lumière, à défaut de retracer exactement l’histoire, l’ambiance du moment, dramatique, rude, où les commentaires politiques étaient plus dignes de propos de comptoir de bar (les Grecs ne travaillent pas) que de la politique. Les scènes, qui découlent du livre même de Yannis Varoufakis, et des enregistrements qu’il a pris sur le vif, sont rudes. Mais les échanges n’étaient pas, à l’époque, spécialement empreints de tendre amitié… Les salles de réunions, froides, dépouillées, faites de verre et de métal ajoutent à cette dureté. Mais c’est la réalité (le bâtiment Lex où se sont tenues des réunions n’est pas vraiment un lieu de chaleur).

Le double discours et le cynisme politique mis en évidence

La politique pure est aussi très présente : un Eurogroupe qui travaille sans aucun procès-verbal et n’avait d’existence juridique ; une troïka qui se permet de donner des ordres à des administrations et des ministres ; un double discours — ce qu’on dit à l’intérieur de la salle n’est pas ce qu’on affirme à l’extérieur — ; des simulacres de discussion — l’important étant le communiqué de presse ou la conférence de presse — ; le mépris du peuple et de la démocratie — une valeur parfois partagée dans le monde technocratique de Bruxelles — sacrifiés sur l’autel de la rigueur de l’euro  ; … et le cynisme qui domine tout. W. Schäuble le reconnaîtra lui-même : « en tant que patriote je n’accepterai pas le fameux MoU (Memorandum of Understanding) qui régissait les relations avec la Grèce. Mais il fallait faire « un exemple » pour que personne ne soit tenté de suivre le chemin de la Grèce. Même à travers les portes fermées, on voyait bien que l’heure était grave.

À voir…

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).