A la frontière de la Biélorussie, la Pologne mobilise

(B2) C'est une véritable bataille moderne qui se déroule dans les confins orientaux de l'Europe, entre Pologne et Biélorussie. Une réelle attaque hybride, au sens propre du terme
L'action se situe dans cette région de la Podlachie, le climat y est plutôt sauvage et rude, entre forêts et marécages. On se situe non loin de la forêt de Białowieża, une des dernières forêts « primaires » en Europe, déclarée patrimoine mondiale de l'humanité.
Une première depuis 1991
Pour la Pologne, cette situation est exceptionnelle. C'est « la première fois depuis 30 ans, que la sécurité à (ses) frontières est mise à rude épreuve » soulignait ainsi le premier ministre Mateusz Morawiecki devant la Diète mardi (9 novembre) (1). Et il ne s'agit pas d'immigration, mais d'une attaque en bonne et due forme, même si elle est hybride. « Nous sommes convaincus que les opérations à la frontière orientale de la Pologne font partie d'une opération plus large et coordonnée qui est d'un nouveau type de guerre, où les gens sont utilisés comme boucliers humains », dit le ministre de l'Intérieur, Mariusz Kamiński.
L'instigateur : le Kremlin
Pour les Polonais, il n'y a pas l'ombre d'un doute : « le principal décideur est à Moscou, au Kremlin. C'est Vladimir Poutine. Nous observons depuis longtemps des réunions tant au niveau politique qu'au niveau des services secrets des deux pays », lâche Mateusz Morawiecki. Une attaque planifiée : « depuis juin, nous savions qu'une décision politique avait été prise d'attaquer notre pays et les pays baltes en utilisant l'élément de la migration illégale. »
31.000 tentatives stoppées
Les Polonais disent avoir bloqué 31.000 tentatives de passage. Plusieurs centaines de personnes ont été arrêtées. 1800 personnes sont dans des centres de rétention. 300 d'entre elles ont décidé de retourner dans leur pays d'origine. 370 passeurs ont aussi été arrêtés. Le moment le plus critique est survenu en début de semaine, lundi, à Kuznica. Environ 1500 migrants ont tenté de franchir la frontière. Une tentative de passage en force.
Pas beaucoup d'aide de Bruxelles
Face à cela, la Pologne se sent un peu seule. « Jusqu'à présent, Bruxelles n'a pas fait grand-chose », critique le premier ministre. La Commission européenne, l'Union européenne, le Conseil « nous inondent de propositions de soutien ». Mais « c'est comme dans le 'rapport de la ville assiégée' — une oeuvre du poète Zbigniew Herbert : « ils envoient des sacs d'encouragement, de la graisse et de bons conseils. »
Du financement et des sanctions
Or, ce que veut la Pologne, c'est du concret. Tout d'abord une « aide financière pour la construction du barrage » — le premier ministre en parle à tous ses interlocuteurs, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen comme le président du Conseil européen Charles Michel. Deuxième cheval de bataille de Varsovie : des sanctions économiques fortes frappant au cœur la Biélorussie. « Les sanctions que nous avons aujourd'hui, c'est-à-dire augmenter le nombre de personnes qui ne seront pas autorisées à entrer dans l'Union européenne, convenons-en, ce n'est malheureusement pas une sanction terrible pour le régime de Loukachenko, il faut également d'autres sanctions économiques. » Enfin, la Pologne veut une action déterminée dans les pays d'origine « pour bloquer l'émigration au premier niveau ».
Frontex n'est pas utile
Sur une possible aide du corps européen des garde-frontières, dont le QG est pourtant à Varosvie, le gouvernement polonais n'en veut pas. Et Morawiecki le dit clairement. « Frontex, vous savez, c'est plutôt une agence d'échange de bonnes pratiques. Bien sûr, il ont quelques suggestions, etc. [Mais] ce service [Frontex] est léger, il est petit », raille-t-il. L'agence « n'aide pas beaucoup d'ailleurs lors de la grande crise à la frontière sud. [...] Si on en avait 20.000 hommes en renfort, des soldats ou des officiers de Frontex qui viendraient, alors oui nous y penserions vraiment. Mais une telle situation n'existe pas du tout. »
L'armée mobilisée
Selon le ministère de la Défense, environ 13.000 soldats venant de quatre divisions servent actuellement, soit directement à la frontière, soit à l'arrière. Ils sont présents sur toute la longueur de la ligne frontière et soutiennent les gardes-frontières à presque tous les postes. Ils étaient 6000 il y a quelques semaines.
Génie, hélicos et défense territoriale
Outre les forces terrestres, la composante aéronautique est présente avec cinq hélicoptères. Ils sont appuyés par les soldats des troupes du génie chargés de construire et de réparer les dommages causés à la clôture. Les Forces de défense territoriale ont aussi été mobilisées en appui, depuis l'instauration de l'état d'urgence, dans la protection de la zone frontalière. À ceux-là, il faut ajouter les quelques milliers de garde-frontières et policiers déployés. Soit en tout plus de 15.000 hommes aux frontières.
(Nicolas Gros-Verheyde)
- La dernière fois c'était en effet en 1991, à la chute de l'URSS lorsque les unités spéciales du ministère soviétique de l'intérieur (les OMON) prennent d'assaut les postes frontières lituaniens.
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