Une Europe très écoutée !

(BRUXELLES2) La révélation par l'hebdomadaire allemand le Spiegel (Quand les Américains espionnent l’UE derrière les murs de l’OTAN) d'un espionnage organisé de l'Union européenne par la NSA américaine a provoqué quelques réactions ce week-end. On peut aussi se poser la question si ces "écoutes" sont les seules...
Le Parlement européen, furieux
Le président Martin Schulz (S&D) a tout de suite réagi dès samedi soir par un appel exprimant sa stupéfaction. « Au nom du Parlement européen, je demande toute la lumière et des informations supplémentaires (doivent être fournies) rapidement par les autorités américaines sur ces allégations ». Dimanche il précise dans une interview télévisée, (écouter ici) Je suis choqué de voir les représentations traitées comme des représentations ennemies. Si c’était vrai, cela devrait avoir des conséquences sur les relations avec les Etats-Unis. Il devra y avoir justification. » Certaines conclusions devront en être tirer sur la négociation accord avec les Etats-Unis « Nous devrons introduire dans l'accord avec les Etats-Unis de claires règles sur la protection des données » a-t-il ajouté. Il faut dire que le sujet fait scandale en Allemagne en pleine campagne électorale. Le SPD et les Verts demandent des explications à la Chancelière Angela Merkel. Guy Verhofstadt (ALDE) demande à ce que les présidents Barroso et Van Rompuy viennent s'expliquer devant le Parlement européen. Plusieurs eurodéputés — comme le Vert Dany Cohn Bendit et le Modem Marielle de Sarnez — veulent aller plus loin, appelant à suspendre les discussions sur le traité transatlantique de libre échange. Dany Cohn-Bendit demande à ce que « l'UE accorde l'asile à Snowden. Et veut qu'il soit candidat pour le futur prix Sakharov ».
La Haute représentante prudente
La Haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères, C. Ashton, responsable des délégations qui sont les premières visées a réagi la plus tardivement. Son communiqué n'est parvenu qu'en fin de week-end (vers 21h). « Le SEAE a pris contact avec les autorités américaines à la fois à Washington et Bruxelles afin de chercher une clarification urgente de la véracité des faits entourant ces allégations » explique C. Ashton. « Les autorités américaines nous ont dit qu'ils sont en train de vérifier l'exactitude de l'information publiée hier et reviendront vers nous dès que possible. (...) nous ne ferons pas d'autres commentaires à ce stade, tant que nous n'aurons plus de clarté sur la question ». Plus concis était-ce possible ? Joao Vale de Almeida (*), l'ambassadeur de l'UE à Washington, ne disait pas mieux dans un tweet envoyé vers 16h (8h local). « J'ai confronté le gouvernement US avec les articles de presse sur l'accès aux systèmes de communication de l'UE. Ils ont promis des informations et ardemment attendre celles-ci. Nous avons besoin de clarification ». En fait, du coté des diplomates européens, on reste sceptique. Ainsi que le raconte l'un d'eux « cette histoire est assez ancienne. Et nous avons pris déjà des contre mesures. »
La Commission prône des capacités de défense... contre l'espionnage
Du coté de la Commission, la réaction a été plus rapide mais d'abord mesurée. « Nous suivons le sujet avec les vérifications et enquêtes nécessaires mais nous ne ferons pas de commentaires à ce stade » répond un porte-parole à B2 qui l'interroge pour une première réaction. Devant l'ampleur prise par les réactions à Berlin, Paris et au Parlement européen, le Berlaymont hausse le ton. Et les commissaires donnent de la voix. « Entre partenaires, on n'espionne pas! » lance la commissaire européenne à la Justice, Viviane Reding. Même propos pour Michel Barnier sur son fil tweeter : « Clarté, confiance et transparence, c'est ce qu'on peut et on doit attendre entre amis et alliés. Des explications des Américains sont nécessaires et urgentes. » résume-t-il , ajoutant « Pour lutter contre l'espionnage et les attaques numériques, l'UE doit accroître ses capacité d'action et de réaction ». Une piste effectivement intéressante...
Commentaire : Une bonne nouvelle ? !
Européens et Américains concurrents. Si cette nouvelle est confirmée, on peut se dire que, finalement, c'est une bonne nouvelle 🙂 Malgré tous ses détracteurs, l'Union européenne a encore de l'intérêt, est attractive, représente un pouvoir économique qu'il est intéressant de percer ! 🙂 Elle vient aussi rappeler que la lutte "anti-terroristes" n'est pas la seule tâche des services de renseignements. Cette révélation - attribuée officiellement au dossier Snowden (NB : c'est encore à vérifier) — tombe aussi à point nommé pour rappeler aux Européens que si, avec les Américains, ils sont alliés, souvent ; amis, parfois ; ils ne sont pas animés et gouvernés par un intérêt commun. Le plus souvent, pour ne pas dire systématiquement, Américains et Européens sont plutôt, en concurrence, sur nombre de marchés au niveau mondial comme domestiques. En d'autres termes, ils sont "ennemis". Et vouloir en savoir plus sur son concurrent devient alors logique.
A Bruxelles, espionnage se conjugue au pluriel. Russes et Chinois — pour ne citer qu'eux — entretiennent à Bruxelles des représentations qui ne répondent pas uniquement aux nécessités des relations diplomatiques... L'entrisme des différentes institutions est quasi-méthodique pour ces deux pays qui recourent à toutes les méthodes classiques (diplomates, étudiants, journalistes...). Ils ne sont pas les seuls. Selon les dossiers, Turcs, Israéliens, Azeris... voire Coréens et Suisses pratiquent "l'observation attentive" (pour être "diplomate") des faits et gestes européens. L'espionnite ne s'exerce pas qu'à Bruxelles. Dans les missions de la PeSDC à l'étranger, il n'est pas non plus extraordinaire de croiser des personnes qui ne sont pas employées à 100% par l'Union européenne, comme ces "logisticiens" et "cuistots" Sud-Africains croisés en Ouganda sur la mission EUTM Somalia par exemple. Et il est d'usage courant que certains officiers de liaison ou représentants nationaux soient davantage là pour rapporter dans les capitales ce qu'ils entendent que le contraire. Le contingent américain au sein d'EULEX Kosovo ne devrait pas échapper à cette règle...
(*) Ancien chef de cabinet de JM Barroso et ancien sherpa, sa nomination à Washington avait été contestée. Lire : Le dossier « Vale de Almeida » fait des vagues au Conseil…
Qu’y a-t-il de nouveau dans le paysage de l’espionnage transatlantique ?
Aurait-on déjà passé par pertes et profits dans nos mémoires sélectives le réseau Echelon ?
Petit rappel rafraichissant sur l’’histoire du réseau Echelon
1947/48 – Le pacte UKUSA est prorogé. Ce pacte secret conclu, pendant la Seconde Guerre mondiale, entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, organise la collaboration des services de renseignement des deux pays dans le domaine de l’espionnage des télécommunications. Le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande se joignent à ce pacte de coopération et d ’échange des informations recueillies. Cibles principales : l’URSS et les pays communistes.
1952 – Aux Etats-Unis, création de la NSA (National Security Agency) par une directive du président Truman. La NSA est chargée, au sein des services de renseignement, des opérations SIGINT (signal intelligence), c’est à dire de l’espionnage électromagnétique (surveillance des liaisons radios, des émissions radar, des télécommunications, etc.) et de la conception des systèmes de codage et de cryptage destinés à assurer la confidentialité des communications du gouvernement, des diplomates et des militaires américains.
1966 – La NSA prend le contrôle de la base de Menwith Hill (nord de l’Angleterre) qui était jusque là dirigée par l’armée américaine. Elle en fera la plus grande station d’interception du monde.
1985/87 – Projet de création d’un réseau mondial de surveillance des télécommunications révélé par le journaliste britannique Duncan Campbell. Le principe du projet F 415 est de relier entre elles, grâce à de puissants ordinateurs, les différentes bases d’interception des pays du pacte UKUSA qui sont disséminées à travers le monde.
1989 – La chute du mur de Berlin entraîne la redéfinition des priorités stratégiques des Etats-Unis. La conquête des marchés mondiaux est désormais l’objectif majeur.
1996 – Le néo-zélandais Nicky Hager met en évidence l’existence et le fonctionnement du plus grand réseau d’espionnage des communications jamais conçu. Il dévoile ce réseau baptisé « Echelon » dans un livre intitulé « Secret power ».
1998 – Une étude commandée par le Parlement européen souligne les dangers que fait peser l’activité de ce réseau sur les pays de l’Union européenne et sur leurs entreprises.
Autre petit rappel sur le radar français « Graves » dont la mission est bien de surveiller les satellites espions, notamment américains, qui interceptent des données et communications nationales sensibles : cf. http://www.spyworld-actu.com/spip.php?article4861
En conclusion, qu’y a-t-il vraiment de nouveau dans le « bisounoursland » européen ?