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Kosovo 4 : Général Jumelet (Kfor): on reste optimiste même si tout déraper rapidement

(BRUXELLES2) Entretien avec le général Olivier Jumelet, commandant la Task force Nord de la Kfor (publié dans Europolitique)

• Comment jaugez-vous la situation de la sécurité avec les évènements politiques qui s’annoncent ?
Pour l’instant, c’est calme. Nous n’avons pas de souci particulier. De façon générale, on reste assez optimiste. Tout devrait se passer correctement. La situation demeure cependant sensible pour des raisons politiques, car la population n’a pas de visibilité sur son avenir, et a besoin d’en avoir. On peut sentir une certaine impatience, une certaine nervosité dans la population, quelle que soit son origine. Ca peut donc déraper, s’enflammer, rapidement. Mais on ne sait pas ni où, ni quand, ni sous quelle forme. Nous restons donc très vigilants car n’importe quoi peut déclencher une flambée de violences. Un accident de bus scolaire ou des jeunes un peu éméchés peuvent suffire…

• Une incursion de l’armée serbe est-elle plausible ?
Nous n’avons pas d’indication et pas d’inquiétude non plus. Les Serbes n’en ont pas les moyens. Ils seraient repoussés immédiatement. Et ils le savent parfaitement.

• Et de groupes armés ou paramilitaires ?
Nous n’avons pas de pression de groupes armés venant de Serbie ou d’Albanie. La Garde du Saint Roi Lazare (coté serbe) et l’AKSh (l’Armée nationale albanaise) sont plus des chimères qu’autre chose. Ces pseudo groupes n’ont pas vraiment de consistance même s’ils essaient d’exister avec des déclarations. On ne peut cependant négliger que des Serbes ou Albanais venant de l’extérieur tentent de créer des désordres. Mais ils le feront pour appuyer des Kosovars. Le principal risque se situe donc à l’intérieur.

• Ce risque existe ?
Je ne pense pas que la population ait envie de s’autodétruire ou poussée suicidaire. On craint davantage des actions individuelles ou de petits groupes, qui créent une étincelle et met le feu aux poudres. On sent pas une réelle volonté d’en découdre. Il y a plutôt une défiance réciproque. Ils disent : ils vont nous attaquer, et pas on va les attaquer.

• Et à Mitrovica ?
C’est pour nous une préoccupation constate car les deux communautés sont face à face. Mais il existe aussi d’autres zones de ce type : à Pristina ou au sud Enclaves assez importantes serbes en . On a tendance à croire que tous les Serbes sont au Nord de l’Ibar. Or il n’y a que 40 000 Sebes au nord de l’Ibar. Et il y a 100 000 dans tout le pays qui peuvent présenter un risque soit parce qu’il sont agressés, soit parce qu’ils peuvent réagir.

• Comment voyez-vous la présence de la Kfor : courte, longue ?
Je la vois pour plusieurs années. C’est la mission de la Kfor de créer un espace de sécurité de créer. Si on peut le conforter, tant mieux, c’est un des buts. C’est très long. (Presque 10 ans). Quand la Kfor partira, cela voudra dire que le Kosovo sera sur des rails. Cette région ne posera plus de problème. C’est un atout aussi pour le Kosovo. Il faut aussi voir que la présence internationale est une source de revenu pour le Kosovo. En travaux, emploi de personnel local, chaque force représente une petite économie pour le Kosovo. Ce qui explique aussi qu’elle soit bien vue.

• La relation entre les militaires de différentes nationalités ne doit pas être facile ?
Ca se passe bien. On est tous militaires. La relation entre un militaire danois, américain, est assez simple car il y a une acceptation commune de ce qu’est la hiérarchie et du commandement. Chaque armée a sa culture, sa particularité. Il y a un esprit différent dans la manière de commander et de réagir. Mais ne sont pas des différences fondamentales. Les vrais fondamentaux militaires restent identiques.

• Il y a des différences, ce n’est pas tout à fait une armée européenne ?
Effectivement, les armements sont différents. Il ne peut y avoir mutualisation des stocks de munition. Chaque nation a donc sa chaîne logistique propre. Ce n’est pas le plus économique. Les statuts
aussi sont différents. Et l’application des règlements militaires également. Il y a évidemment au départ, une certaine acclimatation nécessaire des troupes qui arrivent. Mais cela se passe sans difficulté d’autant que les relèves sont échelonnées. Chaque nation a son plan de relève…En attendant, ca fonctionne. On s’arrange pour faire travailler chacun ensemble et avoir la meilleure coordination. Peu importe le cheminement de la balle dans le fusil, ce qui compte est l’effet produit par les armes. Mais clairement si on voulait fonder une armée européenne, il faudra peut être quelques siècles pour y arriver.

• Comment se passe la coopération avec la police kosovare, le KPS ?
S’ils ont besoin de nous, on vient en soutien. Pour le maintien de l’ordre, c’est le KPS qui est en première ligne. Mais ils nous clairement dit que si flambée de violence, il y a, ils peuvent tenir 15 minutes mais pas plus. Les planifications de l’Onu nous sont communiquées. Et nous expliquons, comment nous pouvons intervenir en cas de problème. Nous faisons des exercices en commun. Mais nous sommes pas là pour chercher trafiquants de cigarettes. Eventuellement nous nous intéressons aux trafiquants d’armes car ils sont plus dangereux pour sécurité.

Et avec les Serbes ?
Nous avons de bons contacts avec les Serbes qu’on voit régulièrement. Il y a des rencontres d’Etat major à Etat major. On produit la sécurité. Et on ne fait pas de répression. Ils le savent, le comprennent et le voient.

• La mission PESD européenne va simplifier la coordination ?
Si cette force européenne est déployée, ce sera intéressant. Certainement. Cette force pourra être plus homogène que ne l’est l’UNMIK police et avoir plus de chance d’être acceptée par la population, avec une volonté peut être plus forte pour le KPS soit opérationnel. Car c’est cela, finalement, l’objectif : avoir une police locale, formée et autonome.

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).