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Eufor Tchad 3: une mécanique complexe de gestion

Le Camp Europa à N'Djamena (© NGV / B2 - tous droits de reproduction réservés)

(BRUXELLES2 à N’Djamena) L’opération Eufor obéit à une mécanique complexe de gestion dûe à sa composition multinationale et à ses diverses sources de financement : paracommunautaire (Athéna) et nationale, doublée d’accords bilatéraux.

Le principe d’organisation par nationalité ou par accord bilatéral Selon le principe des opérations multinationales, chaque nation contributive s’organise, en effet, comme elle l’entend et soutient ses propres forces avec une cellule NSE (National support Element). Elle peut aussi passer un contrat avec un autre pays afin de mutualiser, ou de sous-traiter certaines tâches. Les Irlandais, les Autrichiens et les Suédois (en tandem avec les Finlandais) ont fait le choix d’avoir une NSE autonome. D’autres pays ont passé des accords techniques, plus ou moins complets, avec les Français: les Espagnols pour certaines fournitures de maintenance aérienne, les Polonais pour la réalisation du camp d’Iriba, restauration et logement. Cette formule « gîte et couvert » – résume un responsable logistique – « a été une des conditions pour inciter les Polonais à venir plus vite que prévu ». Des accords techniques ont aussi été conclus ou sont en négociation avec les Slovènes, les Roumains, les Russes et les Albanais (incluant jusqu’à la founiture de tenues pour ceux-ci). Certaines fonctions de base sont assurées pour toutes les NSE par l’Eufor comme le transit aérien (chargement et déchargement des avions, quels qu’ils soient), le soutien pétrolier (ravitaillement en essence), tâches logistiques effectuées par le bataillon logistique français.

Une vraie gestion de petite ville

Coté financement, c’est aussi une structure à plusieurs niveaux. Le budget européen (avec le mécanisme Athéna), fort de 120 millions d’euros couvre l’installation des deux camps d’Etat-major (« Europa » et « Etoiles) – du terrassement au tableau électrique – et le fonctionnement de l’Etat-major. “Pour les troupes basées sur place, le carburant comme l’utilisation de la cantine, sont refacturés à chaque nation, au prorata de leur utilisation”, explique le lieutenant Colonel Villuendas, le “maire” du Camp Europa. Pour l’eau, on utilise un forfait : 100 litres d’eau par jour et par personne. Idem pour l’électricité selon le type d’installation. C’est l’officier J8 (finances) de l’Etat-major qui gère cette fonction. En fait, ainsi c’est une vraie gestion « communale » qui se recrée dans chaque camp avec ses « services publics » gratuits, ses « services payants » et ses services… délégués. Certaines fonctions (cantine des camps fixes, travaux publics…) sont, en effet, souvent sous-traités à des entreprises privées locales, choisies après respect des règles de marché. C’est ainsi une filiale de Vinci qui bâtit le camp des Etoiles.

Le support des EFT

Inutile de le nier, cette opération repose en large partie sur la logistique de la base permanente française “Epervier” au camp Kosseï, à N’Djamena. « J’ai reçu mission d’assurer le soutien de l’Eufor » explique le Colonel Périé, commandant “Epervier”. Nous avons un contrat opérationnel à assurer : « transporter 12 tonnes de fret entre N’Djamena et Abéché, faire une mission de reconnaissance par jour (qui mobilise 2 avions Mirage F1 et éventuellement un ravitailleur Airbus) selon les instructions données par le bureau de renseignement de l’Eufor, garder une patrouille de Mirage en alerte pour un appui aérien en cas d’accrochage avec les rebelles » et un hélicoptère Puma pour les évacuations sanitaires (Evasan). Certains personnels – au rôle de soutien logistique, à l’arrière – ont donc une double casquette assurant la mission Eufor ou Epervier, selon le cas, avec des chaînes hiérarchiques bien séparées et des procédures d’engagement sensiblement différentes. « La double casquette » explique le Colonel Périé « a un double avantage : permettre de prendre en compte les besoins de chacun, d’arbitrer entre les priorités, et de mutualiser les moyens. Il y a une volonté nette pour que cette opération réussisse, alors on met tout en œuvre pour cela ».

Le respect des normes européennes jusqu’au bout du désert !

Parfois décalées, souvent nécessaires, les normes européennes sont applicables dans les camps de l’Eufor. Un contrôle vétérinaire est ainsi exercé et, autant que possible, les préconisations sanitaires européennes (chaîne du froid…) adaptées aux pays chauds, sont observées. De même, l’interdiction de fumer dans les locaux publics est respectée, chacun fumant dehors, en évitant évidemment les zones d’essence et de munitions. De manière générale, d’ailleurs les règles de sécurité incendie sont strictes et les pompiers passent régulièrement pour en vérifier le respect. Les temps de conduite des personnels civils doivent aussi être limités, sauf nécessité. Enfin, les règles de transparence et de mise en concurrence sont normalement suivies pour passer des marchés publics, soumis à publication (dans la presse locale ou au JOCE, selon les seuils). Il existe même sur l’aéroport Abéché et dans le camp Crocci, une «mini-zone Natura 2000 » composée d’un oued et d’oiseaux sauvages qui trouvent là une halte rafraîchissante, que les militaires ont l’obligation de préserver !

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).