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L'Europe politique et de la défense (par Nicolas Gros-Verheyde)

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[Entretien] Yougoslavie Mémoire d’un désastre – Doris Pack : personne ne croyait sérieusement à la guerre

(B2) Doris Pack, eurodéputée allemande (CDU / PPE-DE) depuis 1989. Elle est une des meilleures spécialistes des Balkans dont elle a suivi tous les soubresauts, en tant que vice-présidente de la délégation avec la Yougoslavie puis l’ex-Yougoslavie (jusqu’à 1994), et présidente de la délégation du Parlement sur l’Europe du Sud-Est. 

NB : cet article fait partie d'une série entamée en 2007 pour tenter de cerner les responsabilités européennes dans le drame en ex-Yougoslavie dans les années 1990.

 

Pourquoi n'a-t-on pas réagi dans le début des années 1990 ?
Naturellement, on aurait du réagir après 1989 quand Milosevic a supprimé l’autonomie du Kosovo. Mais on n’a pas pris au sérieux Milosevic, on n’a pas cru qu’il pouvait réaliser ce qu’il promettait aux Serbes. (par contre) Tout le monde le croyait quand il disait qu’il pourrait sauvegarder la Yougoslavie. C’était un grand acteur. On n’a pas cru véritablement que la Yougoslavie allait disparaître. On soutenait Ante Markovic (le premier ministre proeuropéen), qui avait promis beaucoup de choses, était quelqu'un d’Européen,qui soutenait le marché... Et, puis on était préoccupé ailleurs. On avait, en même temps, la réunification de l’Allemagne. On était occupé par nos problèmes à l’intérieur qui n’étaient pas faciles à digérer.

Quelles étaient les commentaires officiels? Comment réagissait-on à l'époque...
La première fois que j’étais à Belgrade, j’ai vu l’ambassadeur allemand qui m’a dit : « il faut garder la Yougoslavie. Entre les Slovènes et les Croates, ce n’est qu’un jeu, ça va s’arrêter. Quant au Kosovo, çà ne nous regarde pas ». Tous les ambassadeurs ont dit, à peu près la même chose à leurs capitales :  «Ne nous en mêlons pas ». On n’ a pas vraiment aidé les Yougoslaves démocrates. On n’a pas réussi à persuader ainsi les Serbes qu’il fallait trouver un autre chemin que la guerre, par exemple en enlevant plus de centralisation. On s’en est rendu compte trop tard.

Les Allemands ont cependant poussé à l’indépendance ?

Non. Au début, les Allemands étaient comme les autres. Ils n’étaient pas spécialement pour l’indépendance. Et puis, on a vu Vukovar et les bombardements de Zagreb. Ca nous a alerté. Nous (les Allemands) nous avons simplement aidé, après octobre 1991, à reconnaître les faits tout simplement. (...) L'Europe n’avait pas de vue commune sur la situation dans les Balkans. On n’était pas habitué à regarder la Yougoslavie avec une vue neutre. Les Français et les Anglais regardaient çà avec leurs yeux de la Seconde guerre mondiale, rangeant les pays entre alliés et non alliés. Nous les Allemands, on a recommencé à zéro, sans avoir d’idée de grande Allemagne. Et on ne raisonnait plus en ces termes. Je crois que les Anglais et Français n’ont pas eu, comme nous, le « devoir de changer de politique » (après la 2e guerre mondiale).

On a donc laissé faire ?
Oui. Pendant quatre ans, on a rien fait. Les Serbes de la Krajina ont même bombardé Bihac. On a tout laissé faire et on n’a pas aidé les Croates. Tudjman a récupéré des armes, refait son armée avec l’aide des Américains et reconquis les territoires perdus. (...) La même chose s'est reproduit avec la Bosnie. On n’a pas voulu s'en mêler. On n’est pas intervenu. Pas parce que c’étaient des Musulmans, comme l'Europe a été, un moment, accusé. Non, la vérité, c’est qu’on ne voulait pas s’en mêler. L’Europe n’était pas préparée à faire une guerre pour cela. L’Europe n’avait tout simplement  pas fait de guerre depuis la seconde guerre mondiale. Elle n’était pas prête à aider les peuples. (…) Il a fallu Srebrenica et l’aide de l’Amérique pour faire le chemin ensemble. Et en 1998, on a eu (enfin) une approche commune. Cela a été l’idée allemande d’un Pacte de stabilité.

L’indépendance du Kosovo ?

Maintenant faire digérer à un gouvernement démocratique l’héritage de Milosevic, c'est plus dur. Il fallait faire tout de suite l’indépendance, après la guerre au Kosovo. Si on avait trouvé une solution immédiatement, cela aurait été facile. C'est le problème des Européens avec les Balkans : on a toujours eu peur d’aller plus loin. Après les précédents (bombardements), on ne voulait pas faire plus de mal à Milosevic et les Serbes. Actuellement (juillet 2007), je ne vois pas d’autre solution que l'indépendance. Ils (les Kosovars) sont en attente depuis 1989 (fin autonomie) et 1999. Les Américains ont toujours été pour cette indépendance.

Et les Russes ?
I
ls se servent du veto par rapport à la Serbie pour nous emmerder, et avoir du pouvoir. Il y a crainte aussi d’une situation identique en Transnistrie.

(NGV)

(entretien réalisé le 3 juillet 2007 en vis-à-vis, avec Ernest Bunguri)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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