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Liberté, études, démocratie… La révolution de velours avec les étudiants en médecine

(archives) Depuis plusieurs jours, l'histoire subit un sacré coup d'accélérateur à l'est, notamment en Tchécoslovaquie. Dans ce mouvement, les étudiants des deux 'capitales' du pays, Prague et Bratislava ont joué un rôle majeur. Projecteur sur les facs de médecine.

La mise au pas des 'hooligans'

« Le 16 novembre, veille de la journée internationale étudiante » raconte Pavel, étudiant en médecine à Bratislava, « commence une manifestation dans notre ville, regroupant environ 250 étudiants. La police nous a contrôlés, mais n'est pas intervenue. Surpris par notre initiative, les policiers se regardaient et se demandaient: comment est-ce possible ?. » A Prague par contre, le lendemain, la police est intervenue brutalement, faisant 70 blessés, dont plusieurs graves. Ces faits, présentés à la télévision et la radio comme « la mise au pas de hooligans », ont décidé les étudiants à agir. Très vite, dès le lundi 20, les étudiants se mettent en grève et un comité de coordination regroupant l'ensemble des facultés du pays est constitué. Les enseignants dans la majorité les soutiennent ; mais beaucoup ont vécu 1968, se souviennent, prônent la modération. De fait cette "révolution" s'avère très sage.

Informer, prévoir, réfléchir

Trois tâches essentielles occupent alors les étudiants de médecine : informer, prévoir, réfléchir. Les universités de médecine occupées ne désemplissent plus. Une nouvelle vie s'est installée, rythmée par les conférences, les débats et la préparation des manifestations. Un hôtel a même été installé pour les étudiants résidant loin du centre. Dans la cellule d'information - le nerf de la guerre -, machines à écrire et ronéos tournent quasiment jour et nuit pour imprimer communiqués, tracts et le journal de la faculté, que des équipes d'étudiants partent ensuite distribuer dans les coins stratégiques de la ville, ou dans les universités et comités de grève des villes voisines.

Une organisation de secours des étudiants en médecine, a même été mise en place… au cas où. En liaison permanente radio avec le service de secours officiel, elle compte 300 membres. Car tous les jours, une manifestation rassemble à Prague pendant plusieurs heures, des milliers de personnes dans le froid. Et boissons chaudes et soins sont alors bienvenus. Le comité central de la Croix-Rouge tchécoslovaque contacté a refusé son concours - liens gouvernementaux obligent - , interdisant même aux équipes étudiantes de porter le brassard des conventions de Genève… Malgré cela, des comités locaux et des initiatives individuelles ont permis de doter les étudiants en matériel, trousses de secours, et même brassards ou drapeaux à Croix-Rouge. A Bratislava, le poste de secours permanent installé à la coordination des étudiants ne chôme pas, la plupart des étudiants ayant, aussi peu dormis que mangés.

La troisième tâche des étudiants concerne la réflexion sur leur devenir. Car leurs revendications portent tout autant sur leurs études que les problèmes de société. Le caractère forcément marxiste de l'éducation fait l'unanimité contre lui. Les étudiants ne veulent plus consacrer énergie et temps aux cours de politique ou d'économie marxistes…. Ce d'autant plus que ces matières sont notées pour le passage dans l'année supérieure. De même, l'enseignement obligatoire du russe est critiqué : « pas nécessaire pour nous, car nous l'utilisons pas. Nous préférerions apprendre des langues plus utiles, l'anglais, l'allemand ». La qualité de l'enseignement est le second sujet de mécontentement, « trop théorique, pas assez pratique. Avec la même durée d'études - six ans - on pourrait apprendre davantage et mieux ». Les étudiants ne trouvent pas tous les professeurs au niveau, pas seulement d'un point de vue personnel mais « parce qu'il n'ont pas assez de temps pour l'éducation à coté de leurs patients à l'hôpital ». Il faut dire que pour être professeur en université, l'appartenance au parti communiste est fortement recommandée.

L'obligation de service militaire pour les garçons est également contestée : en effet, en quatrième et cinquième année d'études, l'étudiant doit consacrer un jour par semaine à l'éducation militaire. A la fin de ses études, il devra effectuer en plus, souvent à l'autre bout du pays, un an dans les casernes. De quoi oublier tout… La Tchécoslovaquie étant un pays surmédicalisé, les étudiants veulent… une sélection, fondée non sur des critères de protection ou d'appartenance au Parti mais sur des critères de connaissances. Enfin, ils veulent également être représentés à la direction des universités et voir reconnaître l'inviolabilité des facultés par la police. Les étudiants rejoignent ici les réoccupations exprimées par le Forum civique, l'organisation regroupant toutes les forces d'opposition, pour davantage de démocratie et de libertés politiques…

Le système de santé : insuffisant

En Tchécoslovaquie, il n'y a pas un ministre de la santé, il y en a deux : un Tchèque et un Slovaque, car le pays est une fédération de deux Etats. Malgré cette particularité, le système de santé est, comme dans tous les pays de l'Est, public et gratuit. Les hôpitaux sont classés en trois niveaux : locaux, régionaux et universitaires. Seuls ces derniers disposent de toutes, ou presque, les spécialités et d'équipements lourds. Mais ces équipements sont souvent vieux et obsolètes. Les médecins sont payés par l'état, et répartis en secteurs. Les malades devant obligatoirement consulter le médecin de secteur - "médecin de premier contact" - où ils travaillent, et être hospitalisé dans celui où ils habitent.

Les membres de la Nomenklatura bénéficient d'hôpitaux spécifiques. Ce tabou vient d'être levé. Une clinique en construction à grands frais, dans le 5e arrondissement de Prague, vient d'être devant les protestations, reconvertie en institut d'analyse. Les cliniques fonctionnant déjà seront réaffectés prochainement, mais le problème se pose de savoir en quoi. Par contre, aucune ouverture au privé n'a été ni faite, ni prévue. Tous ne le souhaitent pas d'ailleurs. Selon un observateur averti, « la privatisation n'apportera rien de plus. Ce sera encore pire pour tous, car les gens devront, et voudront, prélever sur le strict nécessaire pour payer le médecin. Ce système ne profitera qu'aux privilégiés. »

Le vrai problème, c'est que les moyens consacrés à la santé sont insuffisants. La santé comme l'éducation ne reçoivent que les miettes du budget de l'Etat. « Nous avons le plus grand nombre de médecins par habitants, 1/284, un des plus forts taux au monde avec Israël ; mais nous sommes prolétarisés… Nous voulons travailler comme des hommes libres. Le salaire est si petit (en moyenne 3000 couronnes*, soit près de deux fois moins qu'un ouvrier des mines) que le médecin occupé à satisfaire son budget familial et… choisit parmi les malades ceux qui sont spécialistes, plombiers…, et qui pourront faire quelque chose pour lui ! ». Dans les hôpitaux, le manque de lits est criant, car « ouvrir un lit coute plus cher — environ un million de couronnes* — que former un médecin. Aussi on ne peut parfois placer un patient car il n'y a pas assez de lits ».

L'approvisionnement en matériel médical a atteint un point critique, même si l'augmentation du budget de la santé (de 4 à 6,3%), récemment effectuée à la faveur d'une diminution des dépenses d'armements, a sensiblement amélioré certains secteurs (ex: seringues à usage unique). Mais pour les médicaments, les hôpitaux sont alimentés irrégulièrement. Plus régulier est la liste de médicaments à ne pas prescrire, car pas disponibles. On comprendra ainsi que la situation sanitaire de la population n'est pas excellente. Selon des chiffres publiés dans "Ochranca prirody", journal de la protection de la nature, la Tchécoslovaquie est en Europe au dernier rang pour la mortalité masculine, avant-dernier pour les femmes ; au dernier rang pour la mortalité infantile (7e en 1962, 17e en 1977) !

 Nicolas Gros-Verheyde
paru dans Impact médecin, 30 novembre 1989

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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