En avril et mai, la scène belge s’éclectise
Situé dans une des plus belles salles de Belgique, le Botanique, le “ parcours Chanté ” qui s’étire d’avril à fin mai est l’occasion rêvée de faire un petit tour sur la scène belge, montante, très éclectique ou... rock-électrique. Daniel Hélin, Cloé, Jeronimo, Arolde. Autant de noms nouveaux qui pourraient enchanter vos rêves, un jour...
(B2) Pas tout à fait un festival, pas vraiment une école de scène, le “ Parcours chanté ”, sixième du nom, entend montrer aux publics ce qui se fait de mieux aujourd'hui en dehors des voies tracées “ dans le béton par la grande industrie ”. “ A coté de la grande industrie il y a un tas d’artistes qui arrivent par des voies alternatives et indépendantes qui créent une culture tout à fait professionnelle. Nous misons sur une création qu’on n’entend peu sur les radios, qui bénéficient de peu de promotion de la part des maisons de disque, sont en lien direct avec un terrain ”. explique Paul-Henri Wouters, responsable de la programmation. Et il faut le reconnaître, “ Il y a une sensibilité francophone, vers des projets plus personnels. Tandis que la culture plus anglo-saxonne est plus sensible à des projets plus formatés ”. La quarantaine d’artistes présents partage ainsi sinon une langue, du moins une originalité propre. Des français bien entendu, plus ou moins connus (Charlélie, Burgalat, Danyel Waro, Coralie Clément, Dionysos, Rhinocérôse..), une flopée de musiciens du sud talentueux (la béninoise Angélique Kidjo, la cubaine Maria Ochoa ou le mixte brésilien-germano-néerlandais, Zuco 103), et une bonne pincée d’artistes du cru, de Wallonie et de Bruxelles. Et voilà !
L’idée du Parcours vient d’ailleurs de la francophonie. “ Des amitiés avec des gens du Québec qui montraient une manière de faire la fête en chanson française, des textes des musiques des personnalités. ” poursuit Paul-Henri Wouters. “ C’est vrai qu’il y a un modèle québécois, de vitalité, liée, je ne sais pas, à l’hiver peut-être, l’isolement linguistique. Cette espèce de style, historique, qu’on connaît bien, avec du public, beaucoup de chaleur humaine. Je n’avais pas vu en Belgique une telle spontanéité, dans le public, une telle approche ”. C’est ainsi qu’en 1997, le Parcours chanté démarre sa première édition, sous la forme classique d’un événement festival. Quatre jours de musique, avec un peu de québécois, de suisses, de français. Mais très rapidement, la formule, très “ quota ” atteint ses limites. “ Nous ne voulions pas nous limiter aux artistes disponibles ce jour-là. Et nous avons alors conçu un projet, plus organique, plus fluide, et peut-être moins prétentieux qui se veut, avant tout, à l’écoute de “germinations” qui éclosent, qui poussent. ” Et empreint d’un lyrisme, Paul-Henri Wouters conclut “ En fait plutôt que de tirer vers le haut à tout prix une plante, on a décidé de s’installer sur le printemps, on regarde ce qui pousse et on le laisse exister là ou il est, quitte à ce que cela prenne deux mois. ”
Et cela marche !
Au fil des années, le parcours a sinon lancé, du moins propulsé ou consolidé des artistes. Le premier concert de M. “ c’était ici ”. Rhinocerose également. Pour la foisonnante scène wallonne et bruxelloise, surtout, le Parcours chanté représente une aire de lancement ou d’expression incomparable. Des artistes innovants comme Daniel Hélin sont ainsi passés cette scène. Hélin, pourrait être à la musique belge ce que Higelin a apporté à la chanson française il y a quelques années. Il produit des textes d’une rare poésie, expérimente des sons de musique classique, blues, rock, conçoit son engagement comme un fait naturel pour un “ mec ” qui réfléchit sur le monde. “ Vive le chiapas, à mort dallas ! ” Mais refuse pour autant de se voir porte-étendard d'un mouvement quelconque. Car son monde est avant tout celui la musique. Dans son deuxième album "Les Bulles" se trouvent des chansons faites d'ironie douce-amère qui s’épanouissent à la lecture des textes.
La génération montante
Parmi cette génération montante, comment ne pas céder aux “ Tales from my skyscraper ” de Clovers Cloé. Des mélopées, où chaque instrument, contrebasse, piano, violon, batterie, guitare, s’expriment, se confrontent, faisant alterner tension et énergie. Avec en prime quelques petits “ bidouillages ” expérimentaux au sampler. Des textes, en anglais la plupart du temps, qui résonnent de reflets personnels “ I wish I was born in another century who knows, j’ai foutu mes idées noires en l’air, I am looking all around ”. Le tout laisse en bouche une fleur d’émotion. “ J’ai beaucoup de fascination pour la vie des gens ” explique Cloé. “ Ces contes de mon gratte-ciel sont comme une série d’histoires intemporelles qui se passent dans la ville. Quand on regarde un immeuble la nuit, carrés de lumière en face de ma chambre, on a l’impression d’un aquarium, et de vies humaines où chacun vit son histoire, et il y a rien qui se communique entre ces appartements ”. Quand la ville s’endort, “ à 2-3 heures du matin ”, poursuit Cloé, “ je monte dans mon grenier ” ou “ descend “ à ma cave, pour remplir ses feuilles de notes et mots et restituer ces sentiments avant tout ”. Du coup, dans ses chansons, “ Il y a beaucoup de rêve. De l’amour aussi. “ ”Plus qu’une aurore” raconte l’histoire d’une personne qui se dit “je reste, je ne reste pas” et finalement elle reste ”. Et des désenchantements... comme cette jeune fille qui reconnaît être née dans la mauvaise époque, Cloé peut-être.
Dans un style plus dépouillé, mais tout aussi révolté, la chanson d'Arolde entend vous attirer de l’autre côté du miroir, dans un univers où se mêlent ambiguïté du rêve et difficulté de la réalité. Toujours fidèle à l’esprit libertaire revendiqué par son ancien groupe, les Brochettes, Zoé, la chanteuse qui exerce dorénavant ses talents en solidaire, surprend par des nouvelles chansons qu’elle interprète de façon déroutante. Noël Godin, dit le Gloupier, de profession entarteur, adore celle qui a été un temps choriste de Maurane (à l’Olympia en 1999)… Et effectivement, il y a quelque chose de vraiment personnel dans ses chansons, une façon unique d’exprimer les choses. Élevée dans un magasin de jouets, installée aujourd’hui dans une gare désaffectée perdue au milieu de la campagne, Arolde-Zoé chante l’amour et l’amitié — “ta meilleure amie a tout laissé tomber pour un petit coq anglais”. Mais aussi le traumatisme scolaire, la révolte des femmes — “Tremblez” —, et son rejet du monde institutionnel. Son refrain “ J’aime tellement mon lit. J’y passe mes après-midi. Je n’irai jamais travailler ” n’est pas anodin. Son leitmotiv “déstabiliser l’économie mondiale, supprimer l’argent, vivre heureux” est son art de vivre. Pour autant, Arolde n’oublie pas qu’elle est artiste. Son spectacle crée pour le Parcours Chanté - et qui se retrouvera aux Francofolies de Spa en juillet est à la fois ludique et féérique. Entre un limonaire, un orgue de barbarie “géant” fabriqué pour l’occasion, et un petit boitier électronique, l’artiste qui revendique son “ignorance du solfège” présente un spectacle tout autant visuel que musical. Là où d’autres artistes se cantonnent à leur unique prestation vocale, Zoé joue des ombres chinoises qui se meuvent et des jeux de couleurs qui s’animent autour d’elle. Un vrai personnage de bande dessinée.
Coté rock en français, il faut sûrement faire un détour par Yel. Ils ne sont pas vraiment nombreux, en effet, les artistes du plat pays à cultiver les sonorités anglaises et à oser chanter en français. Dans “ Sagesse et ivresse ”, le titre de leur premier album, ces quatre Wallons originaires de Louvain-la-Neuve, ville universitaire s’il en est, utilisent des textes simples. Est-ce un clin d’oeil à Godard ? Mais leur Nouvelle vague, “ Assieds-toi, écoute-moi. Je vois des choses que tu ne vois pas. ” pourrait illustrer un des films du maître. Tandis que le “ je suis in ” — “ Je vis au milieu des rives. De tout bord pris à la dérive. Mon ombre, délai 10 secondes retarde sur vos longueurs d’ondes. Incertaine des nouvelles tendances. Je me fie entre deux mouvances. ” pourrait sonner le rappel d’une génération. “ Je n’ai pas tué mon père ou ne je m’en souviens plus. Je n’ai pas touché ma mère. Allez, n’en parlons plus ! ... Nos corps à genoux qui voudrait encore de ma tête ? ”. Ils occupent la scène avec une bonne dose de folie. Leur rock est spontané, incisif et mélodique.
une nouvelle tribu, pop-électro, les Hutois
Dans une autre veine, plus pop et électro, il faut aller observer les Hutois. Non pas une nouvelle tribu indienne, mais plusieurs groupes natifs de Huy, une petite ville à coté de Liège, rassemblés sous un label “ Anorak Supersport ”. Leur musique n’est pas uniforme. Et c’est ce qui fait le charme de cet habit nouveau. Crystal Palace, qui n’a rien à voir avec le club de football britannique! Mixé et mastérisé au Rising Sun par Rudy Coclet, le fidèle ingénieur du son d’Arno, le dernier album de Raphaël Grignet "Poptronic" est truffé de pop et d'électronique. Pop par ses chansons et électronique par ses influences dont certaines sont à chercher du côté de New Order.
Chez Pink Satellite, c’est une autre affaire, à deux. Olivier composait, Cédric "deejayait". Après la finale du Concours Circuit, l'album "Electrolidays In Levitation" a vu le jour fin 2001, un album aussi fédérateur que les dj sets du duo, destinés aux accros du dancefloor comme aux envies de cocooning. Mais le duo est appréciable en concert, tant par la qualité de sa house ainsi que par la chaleur des atmosphères qu’il arrive à instiller, l’air de rien. (pinksatellite.anotherlight.com).
Enfin celui que nous préférons, et qui devrait vous enchanter de ses rocktournelles, Jérôme Mardaga et son "éternel petit groupe" (soit un bassiste et un batteur). Quand Jeronimo apparaît, le crâne pas bien garni, tenant sa guitare d’une main un peu gauche, on pourrait se dire un chanteur français (pardon ! francophone) de plus. Et non ! Cette découverte belge, Jérôme Mardaga de son vrai nom, a le rock simple - avec batterie et basse à cinq cordes - intelligible (ce qui est rare) et... gai. Tout comme ses textes. Occupant sans relâche ses machines pour aviver des chansons en français riches en humour acide et en propos décapants, il parle de toutes ces petites choses qui font que la vie est ce qu’ elle est : tragique, belle, drôle, moche et plus si affinités … On y retrouve également toutes les influences musicales auquel l'artiste s'est confronté (Velvet, U2, John Barry, My Bloody valentine,…). Car si Jeronimo a une spécialité, les histoires “ bien tristes ” comme “Ma femme me trompe” ou “j’ai peur des Américains” (une reprise, en français s’il vous plait, de Bowie), elles sont contées avec une telle aimable dérision, que le sourire affleure souvent. Quand Jeronimo regrette “ l’éternel petit groupe, qui jamais ne sera grand, car trop soucieux de bien faire ”, le propos, un tantinet autobiographique, est plus ironique et critique... A l’image de cette “Sarah”, rencontrée “tout à fait par hasard, le jour de mon mariage. Mon mariage est foutu, merci Sarah ”.... A lire au premier ou au deuxième degré.
Nicolas Gros-Verheyde (à Bruxelles) pour RFi Musique
> Jusqu’au 23 mai. Au Botanique, à Bruxelles. Infotickets : 00 322 218 3732.
(inter) En mai, la fête fût ...
- Le parcours chanté est aussi une fête. Durant une semaine, chaque soir début mai, une “ special party ” viendra les serres du “ Bota ”. Dans une atmosphère très particulière, salon, lumières tamisées, et musiques rétros spécialement sélectionnées pour faire rêver, danser, aimer... De Porto Rico à Cuba, la samba et la salsa des années 30 à 60 (samedi 4 mai) jusqu’aux Chants Magnétiques : souvenez-vous de ces sons tout droit sortis des machines que nous proposaient Jean-Michel Jarre ou encore Vangelis (vendredi 10 mai), en passant par Gadjo-Zingaro : tubas, trompettes, violons, guitares et grosses caisses ... La musique tzigane dans toute sa splendeur, de la Hongrie à la Roumanie en passant par la Bulgarie (dimanche 5 mai), le Cha Cha Cha et du Charleston comme à la belle époque, avec des personnages aussi célèbres que Joséphine Baker ou Gershwin (lundi 6 mai), la tac-tac-tic du gendarme, Ali-baba, etc ... qui ne se souvient pas de ces morceaux que seuls Bourvil, Fernandel ou Maurice Chevalier savaient manier avec humour (Mardi 7 mai), le Carnaval, sur les airs des Gilles de Binche et autres fanfares carnavalesques (mercredi 8 mai), ou Botellon, ce qui veut dire : la fête avant la fête! Luis Mariano, Francis Lopez ou un Guetary (Jeudi 9 mai)