WeekEnd

Nuits botanique 2002

Durant 13 soirées, de la musique sous toutes ses formes : world, rock, rap, chanson...

(B2) Treize jours de festivals. Treize jours à arpenter ces coursives du Botanique, colorées de jaune, d’orange, de bleu ou de rose ; où quelques poissons gigotent encore dans les bassins surmontés de plantes plus ou moins rares. A passer d’une salle à une autre, pour franchir un peu tous les styles. Ici, le jazz cotoit le hip hop, la pop frôle le hardcore, la chanson intimiste s’essaie au rock...

Après les festivals d’été, et leur foule, les « Nuits Botanique » à Bruxelles sont une manière d’écouter le son dans de bonnes conditions, quasiment en famille et ... de multiples façons. A chacun sa technique : confortablement installé dans les fauteuils en velours rouge du « Cirque royal », dansant dans la Rotonde sur le hip hop de Rocé, trépignant furieusement dans l’Orangerie sur les rythmes de Pleymo ou allongé à même la moquette dans les coursives du “Musée”, la salle plus intimiste, à écouter Perry blake, voire dehors sur les marches de béton, en train de déguster des Samoussas afghans, pour goûter un des orchestres « world » présent ce jour là. Car la nouveauté des Nuits 2002, c’est cette petite scène extérieure, dénommée « Corolla », sponsor automobile oblige. Montée en plein air, pour accueillir les richesses musicales des diverses communautés culturelles résidant en Belgique, elle a montré son utilité. Jouant les interludes entre les deux concerts, soit un exercice pour le moins délicat, cette scène en a réjoui plus d’un, d’autant que l’accès y était libre et le temps au beau. Que ce soit « A contrabanda », un groupe de musique traditionnelle galicienne (Espagne) mené sous la houlette de Grégorio Melgosa avec force cornemuses et issu des cours de gaita de "Muziekpublique ", les rythmes slavo-tziganes  de la famille bulgare Silla ou le band punk-rock “sans guitare” de Traktor, trois filles et deux garçons issues des squats d’Anvers (Belgique), la qualité et le sens de la fête était toujours au rendez-vous. L’occasion aussi pour les différents publics de se croiser : les jeunes marocains ou turcs venus des quartiers voisins, les étudiants descendus de leur campus en bande ou les messieurs costumes-cravates, un tantinet plus officiels.

Les Rita emballent le crique

Sans conteste, le concert des Rita Mitsouko a été une grande réussite de ces Nuits. Au Cirque royal, ce 21 sept., c’est une salle bien remplie qui attend de pied ferme les Rita Mitsouko pour un des premiers concerts célébrant leur nouvel album, « la femme trombone ». Quand Catherine Ringer paraît, en costume moulant, strié de bandes oranges et noirs, symbolique du bagnard ou du saltimbanque, et de ces nouvelles chansons, toutes de hargne et de passion, il est trop tard pour hésiter. Le concert prévu en version assise ne tarde pas à gagner la position debout. Les spectateurs des derniers rangs en étant réduits à monter sur les sièges pour trépigner à leur aise. Ceux des balcons usent de quelques subterfuges, comme passer les sous-sols, pour regagner le parterre. Pourtant les Rita ne reprennent pas systématiquement tous leurs tubes. Les amateurs de Marcia Ballia en seront pour leurs frais. Mais aucun ne s’en plaindra. Enchaînant vieux titres comme Don’t Forget The Nite” et les nouveaux comme “Trop Bonne” ou “vieux rodéo”, la chanteuse déploie une énergie sans pareille. Les ambiances alternent sans relâche : parfois très pop italienne puis s’essayant au Flamenco, se promenant ensuite sur la scène tel un Charlie Chaplin des temps modernes, ou un rien féroce, type danseur Masai dans « Les Guerriers », Catherine Ringer sort à l’aise de toutes ces situations. Et si le clavier nécessite quelques réparations, elle improvise un “à la claire fontaine” qui  pallier aux défaillances électriques. Une Andy divine laisse les spectateurs heureux et comblés.

(Mercredi 18 sept.) Parmi les découvertes cette année des « Nuits », comment ne pas citer Karin Clercq, grande blonde, comédienne de son état, qui un beau jour a trouvé chez le guitariste de Miossec, Guillaume Jouan, une musique capable d’épouser ses envies de textes. Son ambition : “Parler des failles et douleurs et des désirs des femmes d’aujourd’hui, par contradiction avec les femmes papier glacé des magazines ». Après un album sorti en mars (PiAS), c’était la première prestation live de la jeune femme. Tendue au départ, mais avec une salle acquise d’avance et enthousiaste, elle a eu du mal à trouver ses marques, mal servie par une sono mal réglée et des paroles difficilement compréhensibles derrière les rifs des guitares, très rocks. Cependant certaines de ces compositions méritent qu’on s’y attarde. La “Chanson pour Anna” “contre toutes les Anna victimes de la traite des femmes” a une force et une gravité qui dépassent les ritournelles gentillettes, comme “Femme X” ou “Ne pas”. Et que dire l’émotion dégagée par “Douce”. Une ode à la vieillesse, un thème souvent oublié des auteurs, dédiée à sa grand-mère, Marguerite, « qui a décidé de partir ailleurs aujourd’hui”. Un récit qui pourrait être tout  aussi bien dédicacé à toutes ces personnes âgées qui traînent « dans des homes pour personnes âgées à la recherche de leur mémoire et de leurs sons intérieurs » nous confie-t-elle.

Le lendemain, même lieu, mais avec moins de réussite se produit Melvil Poupaud. Décidément les comédiens aiment bien montrer leur corde vocale. Nous connaissions davantage  l’acteur (dans “Conte d'été” ou “Les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel...), que le chanteur. Et c’est tant mieux ! Quand Poupaud s’essaie aux chansons, avec des ballades pop, folk, bossa et blues, le résultat n’est pas garanti, même si son frère Yarol, ex-guitare de FFF, a officié à la production. L’ensemble, pourtant doué, rassemble davantage à un groupe de gentils boys scouts rassemblés dans le café du coin. Un imperceptible ennui gagne le public qui, il est vrai, avait été, tout juste auparavant, particulièrement gâté par la prestation simplement géniale et emplie d’ironie de Vincent Delerm.

(Mardi 24 sept.) Changement de style. Les adeptes du bastringue rock sont de sortie. Marcel et son orchestre et son alter ego belge, originaire de Charleroi, Priba 2000, se produisent à l’Orangerie, au nom parfaitement adapté. Leur devise? Si, ils en ont une: "Délirer sur les Beaufs en sachant qu'on est tous un peu le beauf de quelqu'un". Ici point de complexe, le rock est avant tout destiné à faire bouger les fesses, sauter en l’air, planer sur les mains et... s’habiller tout de couleurs. Les couloirs du Botanique avaient d’ailleurs revêtu, pour l’occasion, une tonalité de carnaval, avec perruques aux couleurs flamboyantes, bonnets phrygiens, et autres tenues issues du folklore étudiant. En première partie, Priba 2000 pratique aussi cet humour au 36ème degré. En chemise rouge, veste queue de pie couleur argent et pantalon blanc croisé, ils réaffirment que « Cloclo est vivant », célèbrent « le Mongolito » et reprennent à gueules déployées le « Que je t’aime” plus music-hall que rock’n roll.

(Jeudi 26 sept.) Le hip hop et le hardcore prennent leurs marques. Les « Da Familia », groupe originaire de Liège (Belgique), ont la délicate tâche de chauffer à l’Orangerie un public venu essentiellement se déchaîner sur le rock métal des Français Pleymo. Basse, guitare, batterie et machines, le public essentiellement adolescent ne tarde pas à chalouper et vibrer sur les rythmes tantôt ragga, hip hop ou hardcore. Marchant sur les traces de Starflam, un autre groupe de hip hop belge, les Da Familia ne dédaignent non plus pas des textes plus engagés. « A mes soeurs » par exemple est dédié à toutes « mes soeurs voilées, brimées, opprimées de par le monde ». « Ce que nous voulons dans les textes » explique Pablo, le chanteur du groupe « c’est dire à chacun qu’il a un rôle à jouer dans la vie, qu’il doit se trouver une raison de vivre et s’y tenir. Ne sois pas passif ».

Coup de chapeau à Rocé

(Samedi 28 sept.) Un mot d’ordre que ne renieraient pas les rappeurs français de Rocé qui avaient un handicap difficile à remonter. Devant jouer en première partie des Zap Mama, l’annulation de ce concert les laissait orphelins. Qu’à cela ne tienne, ils improvisent un concert dans une autre salle. A l’heure où généralement le public s’en est allé vers d’autres lieux, le pari avait tout d’une gageure. Mais les  spectateurs qui ont poussé la porte de la Rotonde ce jour-là, n’ont pas été déçus. Accompagné de DJ Carle et de Nazem, les textes sont intelligibles et bien construits. Ce qui n’est pas si courant. Il assène ses mots, maniant ironie ou colère, dénonçant un peu ce milieu du show-business dans « No Feeling » : «Ma rime c'est mon butin - Et ma frime en guise de fusain ». Ou regrette la perte de culture dans « On s’habitue » : « Exporte ton moderne. Même si ça leur sert pas. Un jour faut bien qu'ils s'en servent. Qu'ils n'aiment ou n'aiment pas. Perte de culture, c'est dommage. Ca crée des dommages ». Une poésie accrocheuse qui aurait mérité un meilleur accueil... Ce sera pour l’année prochaine !

Nicolas Gros-Verheyde (à Bruxelles)

(article publié sur Rfi Musique)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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