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Ecoles européennes… Et si les règles d’Aides d’Etat s’appliquaient?

(B2) Imaginez un pouvoir étatique qui donne une subvention à une école privée, ce sans appel d'offre, en toute liberté, pour qu'elle assure à ses agents un service éducatif privilégié, avec des enseignants triés sur le volet et des moyens...

C'est un peu ce qui se passe avec les écoles européennes. Cela peut être considéré comme choquant sur le plan de l'égalité. Le simple citoyen européen va à l'école publique (ou privé) de quartier. Le fonctionnaire a droit, lui, à une école d'élite, avec renfort linguistique. La n'est pas mon propos (aujourd'hui). Ce qui m'interesse est le respect des (sacrosaintes) règles européennes de concurrence. La Commission européenne si prompte à envoyer une lettre d'infraction, ou à trainer un Etat membre devant la Cour de justice se sentirait-elle affranchie de respecter ses propres règles ? La question mérite d'être posée au moment où certains (des journalistes) attaquent la Commission pour rupture de l'égalité.

Attention ! Suite à certaines réactions, je dois préciser que ceci est un exercice de style. C'est à dire qu'il n'y a pas de procédure en cours. Mais que, dans une démonstration théorique, on voit que le dispositif d'aides d'Etat peut conduire à des résultats pour le moins... surprenants.

1° Cette aide constitue-t-elle une aide d'Etat ? Non m'affirme un porte-parole, s'appuyant sur un avis du service juridique (si si). Sa réponse vaut le détour ! : "Il ne s'agit pas d'une aide d'Etat car il n'y a pas de recette d'Etat (sic) mais une recette du budget communautaire". Elle n'est "pas imputable à l'Etat car la Commission européenne n'est pas un Etat". (sic)

La réponse assez lapidaire me semble oublier certains fondamentaux... Si mes souvenirs sont bons, est considérée comme une "aide d'Etat" (au sens du Traité, voir le site de la DG Comp) depuis belle lurette d'ailleurs :

• toute intervention qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d'une entreprise (CJCE, De gezamenlijke steenkolenmijnen in Limburg, 23 février 1961, aff. 30/59. Sont donc visées les aides directes (subventions, prises de participation…) ou indirectes (exonérations, allégements…).

• toute aide versée par une structure publique, l’article du Traité vise en effet non seulement « l’aide accordée par les États » mais également celles accordées « au moyen de ressources d’État » (Les collectivités territoriales ou locales, les divers organismes financés par l’État comme la plupart des établissements sociaux ou socio-médicaux sont donc concernées par cette obligation).

Pour moi, ces deux critères sont remplis en l'espèce pour les écoles européennes. Il y a bien versement d'une subvention à un organe privé, à l'aide de ressources publiques. La seule question à savoir est donc de considérer si une convention internationale peut exonérer l'organisme de la qualification

2 La notion d'aide d'Etat n'est pas constituée quand s'il s'agit d'un service public d'intérêt général, non commercial, (comme l'est normalement le service d'enseignement public). Une notion difficile à approuver ici. L'école européenne est réservée à une catégorie bien déterminée de personnes, triées sur le volet (les enfants des fonctionnaires mais pas ceux des assistants de parlementaires - détails ici). Elle n'est ouverte que très partiellement à des publics extérieurs (dans la limite des places disponibles). Et encore en versant un droit d'accès qui n'est pas symbolique (entre 2500 et 9000 euros voire plus dans certaines écoles pour les "extérieurs"). Dans toutes ces caractéristiques, ces écoles sont donc des écoles privées, élitistes, qui ne participent pas au service public d'éducation.

3° L'aide d'Etat peut aussi être justifiée par une série de motifs. La décision de la Commission de 2005 sur les compensations aux services d'intérêt économique général encadre ce type d'aides, à condition qu'une convention soit signée précisant :
a) la nature précise des obligations de service public et leur durée;
b) les entreprises et le territoire concernés;
c) la nature des droits exclusifs ou spéciaux éventuellement octroyés aux entreprises;
d) les paramètres de calcul, de contrôle et de révision de la compensation;
e) les modalités de remboursement des éventuelles surcompensations et les moyens d'éviter ces surcompensations.
A ma connaissance, si une convention existe, elle ne satisfait pas à tous ces critères.

4° Le principe général de transparence des marchés publics. Celui-ci prescrit que quand bien même les seuils de marchés ne seraient pas remplis, doivent s'appliquer certains principes notamment de transparence (appel d'offre général...) permettant de s'assurer que les règles de non-discrimination sont bien respectées.

5° La Commission européenne peut toujours se défendre en disant que ces écoles européennes sont couverts par une convention internationale. C'est d'ailleurs son seul élément de défense valable, semble-t-il. Si d'un point de vue strictement juridique, l'argument est utilisable, du point de vue des principes, on voit mal comment la Commission peut imposer aux Etats membres des règles (mise en concurrence, autorisation ou justification des aides d'Etat) dont elle-même s'abstrait.

Bref... tout cela pour démontrer qu'en s'appuyant sur une stricte application des règles d'Aides d'Etat et de Marchés publics comme parfois la Commission européenne les pratique (exemple sur le logement social ou la distribution de prestations sociales par un service public postal), on arrive parfois à... des abherrations. Et, parfois, la Commission donne des leçons, là où elle-même est
en délicatesse avec ses propres règles...

(NGV)

© Photo : Ecole européenne Bruxelles I

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Une réflexion sur “Ecoles européennes… Et si les règles d’Aides d’Etat s’appliquaient?

  • Bonsoir Nicolas.
    Il me semble tout de même que l’article 87 TCE ne s’applique qu’aux “Etats membres” de l’UE et que la Commission européenne n’en fait pas partie.
    A toute fin utile pour alimenter le débat…
    Bien à toi.
    Stéphane

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