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L’épanouissement de l’être humain au travail, utopie ou nécessité ?

(B2) L’accélération des changements économiques, financiers et technologiques, progressivement, évacuent l’être humain du centre des préoccupations. La course au profit des entreprises, et, même si ce n’est pas du tout de même ordre, la course à l’argent des travailleurs font passer chacun à côté d’un tout autre sens de l’existence. Sous la pression d’un rythme de travail, de plus en plus oppressant, les conditions du travail se dégradent. La sphère du travail est vécue, de plus en plus comme un mal nécessaire. Elle est peu à peu désinvestie par les jeunes.

Peut-on accepter aujourd’hui que les salariés soient considérés dans l’entreprise comme des êtres subordonnés ?

Partout dans la société, les êtres humains sont reconnus capables civilement et politiquement. Alors comment peut-on accepter aujourd’hui qu’ils restent considérés dans l’entreprise comme des êtres subordonnés. N’est-ce pas une survivance dans la relation du travail des valeurs de l’ère industrielle qui biaisent largement les relations du travail. Même un travail d’exécution peut être défini par des obligations précises à la charge des deux parties, point n’est besoin de faire référence à une obéissance aux ordres, humiliante pour tout être humain. Ce n’est d’ailleurs pas tant d’une obéissance qu’il s’agit que des marges d’initiative et de liberté plus ou moins importantes selon la nature du travail. Rien n’empêche de rompre la monotonie du travail pour les tâches manuelles et répétitives en associant les travailleurs expérimentés à l’organisation générale du service, du département et même à la gestion pour faire varier leurs fonctions.

Ne faut-il pas introduire dans le monde du travail d’autres concepts, tel l’épanouissement ?

Dans ce contexte, l’épanouissement se conçoit comme une liberté, c’est-à-dire juridiquement un pouvoir de choisir, de s’autodéterminer. Cette liberté n’a de conséquences pour les autres que négativement. Les autres doivent s’abstenir d’entraver notre liberté : ne pas discriminer, stresser, humilier, mais aussi ne pas entraver nos actions comme, par exemple, le départ en formation. Mais l’épanouissement, ce sont aussi des droits qui sont autant de pouvoirs d’imposer un comportement positif à d’autres ou à la collectivité, par exemple le droit aux différents congés ou le droit d’être protégé contre le stress ou le harcèlement (législation sur le bien être). On peut constater que l’ensemble de la législation actuelle tend à la réalisation de l’épanouissement au travail sans y parvenir.

Cinq principes clés

Face à ces constats, doivent être recherchées les conditions objectives de l’épanouissement.

1. L’égalité est la condition de base de l’épanouissement. Elle est mise en œuvre surtout par des règles négatives de protection contre les discriminations, elle peut être améliorée par des mesures d’actions positives valorisant certaines catégories de personnes exclus du travail. En particulier, la création d’un nouveau congé pour les questions affectives du couple et des personnes seules à titre préventif ou curatif doit être proposée.

2. La formation est l’élément qui permet de valoriser l’être humain et qui l’aide à découvrir ses talents les plus cachés. Les temps de formations doivent donc être revus à la hausse en raison de perfectionnement permanent de notre société, de l’importance des innovations dans tous les domaines. L’amélioration des formations doit se faire en fonction des projets concrets des travailleurs et l’aide des bilans des compétences.

3. La santé : La prévention des tensions au travail doit être améliorée par la négociation d’une charte relationnelle tenant compte des besoins et des projets des travailleurs mais aussi des besoins de l’entreprise. En effet, on ne peut pas continuer à ignorer les besoins de flexibilité des entreprises sous peine de mettre les entreprises hors jeu. Toutefois, la prise en compte de ses facteurs économiques ne doit pas passer outre les besoins fondamentaux des êtres humains de stabilité, de justice, et du respect de leur projet de vie, sous peine de trouver une économie en roues libres qui tourne pour elle-même et pour une minorité d’individus. Il faudrait donc créer la possibilité de relations loyales en entreprise permettant de vivre une relation d’utilité (le travail est avant tout utile) sans tricher.

4. Le temps de travail : Il doit tenir compte des autres temps de la vie. Le principe d’un délai de prévenance devrait être posé par la loi pour tout changement de contrat de travail (horaires, fonction, lieu) et négocié par les partenaires sociaux dans les conventions collectives. Dans cette perspective, les différentes formes de flexibilité devraient être réellement compensées par des flexibilités individuelles ou des temps de récupération.

5. L'autonomie et la sécurité dans la relation du travail : Nous proposons notamment d’étendre la protection du droit du travail à tous les travailleurs dépendants exclusivement ou quasi exclusivement d’un employeur mais surtout de développer l’autonomie des travailleurs par la création d’un contrat de travail fondé sur la dépendance économique et non juridique.

Quelques principes pour une « Charte relationnelle ».

Certaines conditions sont indispensables à l’épanouissement, d’autres sont des atouts permettant la valorisation des personnes au travail.

Conditions de base

1. Ne pas subir de discrimination, humiliation, harcèlement, stress ;

2. Être accepté dans sa singularité ;

3. Ne pas être réduit à une simple utilité mais au contraire être reconnu comme un être humain à part entière ;

4. Travailler en toute sécurité, et en cas de risques spécifiques, bénéficier d’une attention particulière en matière de santé ;

5. Pouvoir conserver un équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée et en cas de débordements inévitables pouvoir aménager ses horaires avec une certaine liberté et prévisibilité ;

6. Posséder une certaine sécurité d’emploi et de ressources.

Critères de valorisation de l’être humain

1. Être reconnu pour le travail bien fait ;

2. Posséder un degré d’autonomie (c’est-à-dire pouvoir prendre certaines décisions concernant son travail) ;

3. Avoir la possibilité de développer ses dons personnels au travail ;

4. Pouvoir inclure son projet personnel dans celui de l’entreprise ;

5. Avoir des possibilités d’évolution dans l’entreprise ou en dehors de celle-ci (mobilité fonctionnelle, formation, congé pause carrière).

(Synthèse de la recherche menée par Anna Cieslar, André Nayer, Bernadette Smeesters au CERP de l’Université libre de Bruxelles et publiée aux éditions Bruylant 2007 (857 p.) - « Le droit à l’épanouissement de l’être humain au travail, métamorphoses du droit social ».)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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