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L’opération Atalanta… pas assez efficace pour les Espagnols

(BRUXELLES2) Depuis la capture du thonier basque Alakrana par les pirates, la polémique est toujours aussi vive en Espagne. Et  l’opération européenne de lutte anti-piraterie Atalanta n’échappe pas à la critique. C’est un véritable tir groupé auxquels se viennent de se livrer les partis politiques espagnols. Chacun — que ce soit le gouvernement (socialiste) ou l’opposition (parti populaire) — soulignant qu’Atalanta n’est pas suffisamment efficace, soit parce qu’elle ne protège pas suffisamment les bateaux de pêche, soit parce que sa stratégie n’est pas adaptée et qu’elle doit davantage se concentrer sur le blocage des ports de pêche.

Deux propositions espagnoles pour faire évoluer Atalanta


Atalanta doit être étendue aux navires de pêche. Carmen Fraga (PP), qui préside la commission de la pêche du Parlement européen (1), a ainsi demandé, lors d’une audition sur la piraterie mercredi à Bruxelles, que les gouvernements de l’UE étendent l’opération Atalanta pour protéger les bateaux de pêche présents dans l’Océan indien. La députée européenne
a critiqué le mandat actuel d’Atalanta qui « ne prend pas en compte les risques subis par les navires de pêche européens dans les eaux internationales de l’Océan indien ». Si le mandat d’Atalanta est de « protéger les navires vulnérables », l’opération européenne « a surtout protégé les navires marchands, plutôt que les navires de pêche, en se focalisant davantage sur le Golfe d’Aden et pas sur les zones de pêche » indique-t-elle.

La députée a également mis en valeur le contraste qui existe dans la protection entre les pêcheurs espagnols et français :« Tandis que la France a opté pour embarquer des troupes militaires à bord des navires de pêche, les autres comme l’Espagne ont seulement l’autorisation d’avoir une sécurité privée sur les bateaux ». Une option criticable selon elle. « Ce n’est pas seulement un problème de coût. Mais un problème de responsabilité, par exemple, en cas de morts durant une attaque » a-t-elle souligné. Une option approuvée par le secteur de la pêche. Pour les pêcheurs, la meilleure option est la force militaire « mieux entraînée pour ce type d’évènement et qui suivent un protocole très précis d’action. Le risque avec l’autre solution (les privés) serait de voir l’émergence de véritables cowboys de la mer »

La stratégie doit changer : il faut bloquer les ports des pirates
. Le gouvernement espagnol (PS) pourrait proposer à ses partenaires européens un changement de stratégie dans l’opération de lutte anti-piraterie, selon le quotidien El Mundo. L’idée serait ainsi d’élaborer un “plan pour bloquer les ports somaliens” d’où partent les skiffs de pirates. Selon des sources au ministère espagnol de la Défense, la stratégie actuelle avec des navires et aéronefs en Haut mer n’est pas “assez efficace” pour prévenir les attaques sur les navires. Et il serait plus “opérationnel de concentrer le gros des forces en onmouseout=”_tipoff()”>empêchant les criminels d’aller vers le large”.

NB : S’il n’y a pas de blocage des ports (ce qui semble assez peu réaliste), les navires européens d’Atalanta patrouillent régulièrement très près des côtes somaliennes, soit à des fins de contrôle d’embarcation, soit à des fins de renseignement. Ainsi quand la frégate belge Louise-Marie est descendue de Djibouti vers le Kenya, fin octobre, elle est passée tout près des côtes somaliennes et de plusieurs ports
principaux des pirates à “des fins de renseignement
. Une action que le QG d’Atalanta programme d’ailleurs régulièrement, semble-t-il, comme me l’avait confié un expert du dossier, « dès qu’un navire en a l’occasion, il effectue ce type de mission ». Une mission qui n’est pas sans risque d’accrochage. C’est au cours d’une de ses patrouilles que des échanges de coup de feux entre des suspects qui allaient être contrôlés et la frégate norvégienne ont eu lieu.


Commentaire : le manque de consensus national en Espagne 

Un degré de violence rarement atteint. Il est étonnant de voir le débat en Espagne atteindre ce degré de violence. Il y a quelques semaines, le leader du parti populaire (opposition), Mariano Rajoy avait même accusé le gouvernement « d’être un véritable danger pour les  pêcheurs » et exigé des mesures de sécurité accrues afin que « cette tragédie ne se répète pas »Rarement, un pays ne se sera autant déchiré publiquement alors que certains de ses concitoyens sont pris en otages et même menacés directement de mort (2). Dans la péninsule ibérique, il n’y a pas cette sorte de trêve, d’unité nationale qui s’observe dans la plupart des pays européens, en France particulièrement, en cas de mise en danger de citoyens.

L’appel au calme des Galiciens. Récemment, dans une target=”_blank”>interview à El Pais, le président de la Galice (d’où proviennent 8 des pêcheurs retenus en otage sur l’Alakrana), Alberto Núñez Feijóo, pourtant lui aussi de l’opposition PP, a d’ailleurs appelé au calme : « Si le gouvernement a tort, ce n’est pas le moment de le dire. Pour l’instant, il nous mettre ensemble pour résoudre cette grave situation. »

Une proposition : transférer les suspects détenus en Espagne, en Somalie. Le Galicien a d’ailleurs proposé une solution face à la détention des deux pirates en Espagne, permettant de “détendre l’atmosphère”. Il a ainsi demandé d’étudier « le transfert en Somalie ou dans un pays proche, les deux suspects pour être jugés, comme le permet l’article 23 de la loi d’organisation judiciaire ».

(1) Députée européenne depuis 1994, Carmen Fraga a également été Secrétaire générale de la pêche au ministère espagnol de l’Agriculture (2002 à 2004).

(2) Les trois pêcheurs espagnols qu’avaient emmenés les pirates à terre, en menaçant de les exécuter si leurs deux collègues détenus en Espagne n’étaient pas libérés, ont rejoint le navire, a annoncé Miguel Angel Moratinos, le ministre espagnol des Affaires étrangères.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).