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L'Europe politique et de la défense (par Nicolas Gros-Verheyde)

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[Entretien] Pierre Lellouche (France) : Gaza: « Ne plus se contenter de sortir le chéquier mais s’impliquer largement »

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(crédit photo : © NGV)

(BRUXELLES2) « C'est une erreur politique majeure », c'est en ces termes que Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, a commenté l'assaut israélien sur la flottille de bateaux vers Gaza (dans un entretien que nous avons eu au petit matin). De façon plus large, il estime que la position de blocus de la bande de Gaza est impossible à tenir. « Plutôt que de détruire le Hamas, il le renforce. Celui-ci peut aujourd'hui crier victoire » explique-t-il un brin amer.

La solution passerait-elle alors par une réouverture des portes controlées ? En tout cas, la situation est « intenable » souligne le Ministre. La réouverture du point frontière de Rafah par l'Egypte semble le prouver. « L'Egypte n'avait plus d'autre moyen dans la situation actuelle que de rouvrir ses portes ».

(NB : L'Egypte - on l'oublie souvent en pointant du doigt Israël - participe, en effet, actuellement au blocus de la bande de Gaza.)

L'Europe doit prendre des initiatives

Pour le secrétaire d'Etat, sans vouloir préjuger d'initiatives que pourrait prendre le président de la République (système présidentiel français oblige), il est nécessaire de renforcer le poids européen dans la région. « Nous ne pouvons continuer à être simplement des banquiers et sortir le carnet de chèque » souligne le ministre, qui réfléchit tout haut à certaines initiatives susceptibles de faire "bouger les lignes".

L'enquête. L'UE pourrait ainsi s'impliquer largement dans l'enquête "impartiale" (donc internationale) réclamée à la fois par les 27 et repris au Conseil de sécurité de l'ONU (1). « Pourquoi pas une implication européenne dans l'enquête sur les faits ? Les Européens pourraient en prendre l'initiative » souligne P. Lellouche. A la manière de ce qui s'est passé en Géorgie, pourrait-on ajouter, où l'équipe d'enquête dirigée par une Suisse avait été soutenue et financée par l'Union européenne.

Sécurisation des ports. Mais il faudrait aller plus loin et essayer de déminer le contexte de Gaza. « L'Europe pourrait assurer la sécurisation des installations portuaires de Gaza » pour permettre à la fois l'acheminement de l'aide humanitaire à Gaza. En quelque sorte un volet "maritime" de l'opération EUBAM Rafah.

Règlement de la paix et force d'interposition. Ces différents initiatives rejoindraient ainsi le « projet de règlement final de Jérusalem capitale des deux Etatssur lequel travaille actuellement l'UE avec le soutien de la France — et de l'éventuelle « force d'interposition qui pourrait être  déployée — à laquelle (là encore) l'Europe doit être amenée à participer ». Tout cela étant suspendu à un accord de règlement de paix. Ce qui n'est pas gagné !

Une réunion des Affaires étrangères. Pour évaluer toutes les décisions à prendre, « une réunion des Ministres paraît nécessaire »
souligne P. Lellouche. La réunion du Conseil des Affaires étrangères, prévue le 14 juin, paraît en effet fort éloignée en termes de timing, vu l'actualité et surtout l'agenda (déjà chargé) de ce Conseil destiné à préparer le sommet européen. Encore « faut-il avoir des éléments de discussion en commun ». Mais il paraît incontestable, selon mon opinion, que ce sujet "montera" au niveau des "chefs d'Etat et de gouvernement des 27 lors du sommet des 18 et 19 juin.

Commentaire : un peu d'audace que diable !

L'idée d'une implication plus forte des Européens dans le contrôle de la bande de Gaza n'est pas sans danger. Mais elle est séduisante et surtout nécessaire. Il faut tout de même se rappeler que si le blocus israélien paraît illégal, il obéit néanmoins à une préoccupation internationale de boycotter le Hamas dans la région. De fait, c'est non seulement l'attitude israélienne qui doit évoluer mais l'attitude générale et l'engagement de la communauté internationale  dans la région - à commencer par celle des Européens   pour éviter de laisser seuls dans un face-à-face, de plus en plus tendu et dangereux pour la paix internationale, Israël et Palestiniens.

EUBAM Rafah qui est restée, somme toute, une "petite" mission et n'a jamais pu déployer totalement ses capacités, deviendrait ainsi une pièce maitresse de l'effort européen d'apaisement dans la région. Il faudra un peu d'audace sans doute. Mais il y a un précédent. Tout d'abord le contrôle des ports yougoslaves (sous couvert de l'UEO) dans les années 1990. Et surtout plus récemment dans la région. On se souvient qu'en janvier 2009, au plus fort des bombardements israéliens sur la bande de Gaza, une frégate française (le Germinal) avait été déployée pour limiter  les contrebandes d'armes (2). A l'époque, la présence était plus symbolique et politique (notamment vis-à-vis des Américains et Israéliens) que réelle. Il s'agit maintenant de transformer cet essai en un investissement plus durable et important.

Il paraît urgent pour l'Union européenne de se réimpliquer dans le jeu politique au Moyen-Orient. D'une certaine façon l'assaut israélien sur des navires, européens, et l'arrestation de citoyens européens offre une opportunité politique inestimable. Au moins la dizaine de personnes décédées dans l'assaut ne serait pas mort pour rien.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Lire Opération Flottille à Gaza: l'UE réclame une enquête...

(2) lire :La frégate française "Germinal" au large de Gaza. Ordre de Sarkozy

(crédit photo : © NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Une réflexion sur “[Entretien] Pierre Lellouche (France) : Gaza: « Ne plus se contenter de sortir le chéquier mais s’impliquer largement »

  • Les européens n’ont pas seulement manqué d’audace à l’égard de cette région et des drames qui s’y multiplient !

    Ils ont largement participé à faire des naitre ici et là des espoirs qu’ils ont très vite déçus, comme d’une manière générale ils déçoivent un peu partout dans le monde en parlant beaucoup, et en faisant semblant de peser sur le cours de leur histoire !

    Pis encore, ils se déçoivent eux-même !

    Aussi, je suis à 200% derrière, à côté et même devant, vous et votre engagement à conduire l’UE à faire des choix stratégiques et politiques clairs, car elle n’ ni les moyes ni la vocatio à se la jouer un peu partout dans le monde, à la remorque d’une hyperpuissance en pleine déconfiture !

    A force de n’importe quoi pourvu que çà mousse, nous en sommes bien arrivés à ‘l’automne de l’occident’ comme l’écrit si justement Dominique David !

     

    Erasme

     

     

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