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La première force européenne a dix ans…

(crédit photo : Commission européenne / cérémonie d'introduction à l'Euro en Estonie, en 2010)

(BRUXELLES2) Dix ans après la naissance de la monnaie commune, on considère toujours l'euro sous un angle uniquement monétaire et économique. Or, une monnaie n'est pas qu'un simple instrument de métal, de papier ou une unité de compte dans un logiciel comptable, c'est davantage. C'est aussi un instrument de puissance. Un aspect souvent passé sous silence au niveau stratégique.

(source : FMI/Wikipedia)

De ce point de vue, l'Euro, monnaie inexistante il y a 10 ans, a réussi son pari : s'imposer comme une monnaie relativement stable, de réserve, la deuxième dans le monde après le dollar. Près de 26% des réserves mondiales de change connues (*) sont aujourd'hui libellées en euro, selon les dernières statistiques du FMI.

A sa naissance, l'Euro - bénéficiant des positions de change essentiellement du Deutsch Mark - détenait 17% des réserves de change. D'année en année, ce chiffre a augmenté régulièrement, d'environ 1 point par année. Une progression qui s'est faite essentiellement au détriment du dollar. Quand on examine la courbe des réserves de change, on voit que l'Euro s'est non seulement imposé face à la monnaie américaine mais a aussi cassé sa courbe ascensionnelle comme monnaie de réserve.

(*) Près de la moitié (environ 47% au 3e trimestre 2011) des réserves de change ne sont pas connues aujourd'hui, notamment celles de la Chine. Ce qui fausse en partie les statistiques.

Or, depuis la mi-2009, il y a un renversement de tendance. C'est la courbe ascensionnelle de l'Euro qui s'est brisée. Au 3e trimestre 2009, l'Euro détenait presque 28% des réserves de change. Deux ans plus tard, il était deux points plus bas... Une baisse qui ne profite pas vraiment au dollar ni à la livre sterling d'ailleurs.

(Sources : FMI / Graphique : B2)

Quant au taux de change de l'euro face au dollar, il reste étonnamment vigoureux, malgré les difficultés économiques, autour de 1,30-1,40 $ pour un 1 euro. Un chiffre relativement stable, malgré quelques hausses et baisses depuis 5-6 ans. A comparer au taux de départ d'il y a dix ans (1,14) et du taux le plus bas atteint dans les années 2001 (0,80).

(crédit graphique : actufinance.fr)
 

Il faut aussi prendre en compte que 20% des échanges mondiaux sont faits en euro, et que 322 millions de citoyens européens utilisent l'euro. Outre les Etats membres de la zone Euro, le Monténegro et le Kosovo ont adopté l'Euro comme monnaie nationale. A ce nombre officiel, il faudrait aussi rajouter les habitants de la quinzaine d'Etats africains qui partagent le CFA, l'ancien franc CFA arrimé à l'Euro (avec sa contre-valeur en franc = 6,55957), soit près de 135 millions d'habitants supplémentaires.

Nous avons là une des premières armes du "Soft power" européen. En matière économique, on peut ajouter que l'Euro agit comme un rempart à l'intérieur contre les soubresauts économiques extérieurs : il garantit un taux « d'inflation en dessous de 2% et (...) des taux d'emprunt historiquement bas », comme le souligne Olivier Bailly, un des portes-paroles de la Commission européenne.

Défendre l'euro aujourd'hui n'est donc pas juste une question de positionnement en matière de politique intérieure, de choix philosophique ou de principe économique (l), c'est aussi une question stratégique. Cela donne à l'Europe une profondeur de champ d'action, aussi semblable voire largement supérieure à ce que peut être un bouclier anti-missiles.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

2 réflexions sur “La première force européenne a dix ans…

  • Ce sont autant d’éléments qu’il serait bon de rappeler aux journalistes à courte vue qui ne cessent de dénigrer l’euro. “Les Français ont la mémoire courte” aurait dit un maréchal français, il y a quelques années. Se souvenir d’éléments au-delà de 3 ans semble être une gageure pour certains.

  • Certes, nous ne vivons pas une crise de l’Euro, mais une crise de certains Etats de la zone Euro… l’Europe a sa part de responsabilité dans cette crise, tout comme les Etats concernés bien évidemment, et ceux qui sont rétif à la discipline… On peut donc se féliciter du succès international de l’Euro, mais qu’en est-il de la politique économique européenne… Une monnaie, c’est aussi cela. Et un soft power monétaire, c’est bien, mais pour quoi faire ?

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