Défense nationaleJurisprudence

La fermeture de bases militaires soumise aux règles des plans sociaux ?

une salle d’audience – photo d’archives (Crédit : Cour de justice de l’UE)

(BRUXELLES2) La question peut paraître saugrenue. Et cependant elle mérite d’être posée, vu le nombre de bases militaires qui sont en cours de fermeture, ou vont être fermées dans les mois et années qui viennent en Europe. Elle a d’ailleurs été posée dans un litige récent devant la Cour de justice de l’Union européenne à propos de la fermeture d’une base … US au Royaume-Uni. Les directives sociales européennes – notamment sur le licenciement économique – sont-elles applicables aux personnels licenciés par les autorités militaires ? L’employeur – en l’espèce les autorités américaines – doivent-elles consulter les représentants du personnel et attendre la fin de ces consultations avec le licenciement ?

2006, La base de Hythe ferme

Les faits remontent il y a sept ans. Un audit effectué début 2006 sur la base US de Hythe au Royaume-Uni conduit les Américains à envisager la fermeture. Cette base qui a pour activité notamment de réparer les véhicules amphibies et autres laisse 200 civils sur le carreau. Les Américains ne trainent pas. Après une information informelle des autorités britanniques en avril, la remise d’un mémoire à l’organe représentatif local en juin, les avis de licenciements sont immédiatement adressés aux employés en juin. La fin des contrats est programmée fin septembre, date à laquelle la base doit être restituée aux autorités britanniques.

Un argumentaire court à bien lire

L’argumentaire suivi par les juges de la troisième chambre de la Cour de justice de l’UE n’est pas très long. Le fait que la Cour refuse de juger ce cas n’empêche pas les juges de donner certains arguments qui méritent une observation attentive. D’autant que les jurisprudences dans ce type d’affaires sont plutôt rares, voire rarissimes.

La Cour de justice de l’UE se reconnait, en effet, incompétente estimant que la directive européenne prévoit un cas d’exclusion pour les travailleurs des administrations publiques ou des établissements de droit public (ou, dans les États membres qui ne connaissent pas cette notion, aux travailleurs des entités équivalentes) les administrations publiques (C’est l’article 1er, paragraphe 2, sous b) de la directive 98/59). « Les forces armées relèvent d’une administration publique ou d’une entité équivalente » précisent les juges. C’est clair pour eux. « Le personnel civil d’une base militaire est couvert par (cette) exclusion ».

L’arrêt de la Cour donne donc toute latitude aux autorités nationales de procéder à la fermeture des bases militaires sans être tenu – du moins par les règles européennes – à consulter les structures de représentation du personnel (syndicales ou non). On peut remarquer que cette exclusion n’empêche pas un Etat de prévoir une législation plus sévère, obligeant à une telle consultation. Cette extension n’est pas interdite, confirme la Cour. On peut aussi ajouter que cette exclusion ne s’applique, a priori, qu’aux personnes employées directement par l’armée ou l’autorité publique administrative. Quand l’activité est externalisée à un contractant privé (entreprise, association…), voire même à une structure publique à vocation économique, cette exception ne devrait normalement pas jouer (selon notre opinion).

Quatre principes pour les “plans sociaux” dans les forces armées

Non content de préciser son incompétence, la Cour pose trois ou quatre principes supplémentaires qu’il est aussi intéressant d’examiner.

1. Le fonctionnement des forces armées n’obéit pas aux règles du marché intérieur. La Cour marque, dans un attendu qui pourrait paraître superflu, une sorte de coup d’arrêt à une tendance à vouloir inclure de manière extensive le marché intérieur. Si « la dimension et le fonctionnement des forces armées ont une influence sur la situation de l’emploi dans un État membre », ils ne relèvent « pas, en revanche, de considérations relatives au marché intérieur ou à la concurrence entre entreprises ».

2. Un Etat tiers doit être aussi exclu du dispositif qu’un Etat membre. La Cour rejette l’argumentation de l’Autorité de surveillance AELE – qui était intervenue dans la procédure. Celle-ci estimait que l’exclusion de la directive visait « uniquement les administrations publiques des États membres et non celles d’États tiers ». Pour les juges « le libellé de cette disposition n’établit nullement une telle distinction entre États membres et États tiers ».

3. Rien n’empêche une loi nationale d’être plus large. Le droit britannique transposant la directive était, en fait, plus large que la directive. L’article 188, paragraphe 7, de la loi de 1992 (qui transpose la directive européenne) a ainsi inclus dans son champ les administrations publiques. Mais il a également prévu « la possibilité d’invoquer des «circonstances particulières» («special circumstances»), en raison desquelles cet État tiers n’est pas tenu d’effectuer des consultations obligatoires en cas de licenciements collectifs ». Exception dont apparemment les Américains n’ont pas tiré partie. Ce que ne manque pas de remarquer la Cour qui envoie, au passage, une petite pique à l’administration US. « Si les United States of America en avaient décidé ainsi » dès le début, « ils auraient pu se prévaloir de leur immunité en tant qu’État souverain et éviter la poursuite de la procédure au principal ».

4. Aucune interprétation possible si la loi déborde le champ d’application européen. L’arrêt spécifie que même s’il « est de l’intérêt de l’Union de veiller à l’uniformité des interprétations d’une disposition d’un acte de l’Union et de celles du droit national qui la transposent et la rendent applicable en dehors du champ d’application de cet acte », la Cour ne peut aller au-delà de son rôle. Certes la Cour de justice a régulièrement utilisé ce principe de nécessité interprétative. Mais dans cette hypothèse, mentionnent les juges « le législateur de l’Union mentionne de manière univoque que l’acte ne s’applique pas à un domaine précis ». De fait, « il renonce à l’objectif visant à une interprétation et à une application uniformes des règles de droit dans ce domaine exclu ».

La position de la Commission

Ce faisant, la Cour de justice partage l’analyse de l’exécutif européen. La Commission européenne estime, en effet, qu’il y un fort « doute » sur l’applicabilité, « en l’espèce », de la directive. L’employeur est « l’armée des États Unis » qui est une « émanation d’un État souverain ». Certes la fermeture d’une base militaire peut avoir « le même effet, sur le personnel civil de cette dernière, que la décision de fermeture d’une entreprise commerciale ». Mais la directive 98/59 sur les licenciements économiques, comme sa voisine, la directive sur les transferts d’entreprises (2001/23) « ne s’appliquent pas à une réorganisation d’autorités administratives publiques non plus qu’au transfert de fonctions administratives entre autorités administratives publiques ».

En l’espèce, « c’est principalement pour des raisons stratégiques » que les Etats-Unis ont décidé de fermer la base militaire RSA et de licencier le personnel civil local travaillant sur celle-ci, expliquent les juristes de la Commission. Dès lors que ces licenciements seraient des actes d’une autorité publique résultant d’une réorganisation administrative, elle considère qu’il n’est pas possible d’étendre la protection prévue par la directive 98/59 aux salariés concernés, même s’il peut être considéré qu’ils exerçaient une activité de nature économique.

Télécharger l’arrêt C-583/10 du 18 octobre 2012

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).