IranJurisprudence

Nouvelle gifle au dispositif “sanctions” de l’UE contre l’Iran

Logo Cjue(BRUXELLES2) Après la banque Mellat et la Sina Bank (lire : Banques iraniennes sur liste noire. L’Ue sanctionnée), c’est un nouveau camouflet que le tribunal européen de première instance de l’UE (TPIUE) a infligé au dispositif “sanctions” de l’Union européenne contre les firmes soupçonnées de participer au programme nucléaire iranien.

Les juges de la 4e chambre du TPIUE ont, en effet, annulé, le 17 avril, le gel des avoirs frappant la société “Turbo Compressor Manufacturer (TCMFG) qui figurait sur la “liste noire” de l’UE depuis le 23 mai 2011. Les experts “sanctions” de l’Union européenne estimaient que cette entreprise, alias SATAK, « participe aux démarches d’achats pour le programme de missiles iranien ». Deux principes ont été violés, selon eux : la motivation de l’acte et l’identité de l’entreprise visée (ce qui constitue une erreur manifeste d’appréciation).

Premier motif d’annulation : pas de motivation

L’obligation de motivation est impérieuse rappellent les juges. « A moins que des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union européenne ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales ne s’opposent à la communication de certains éléments », le Conseil est tenu de porter à la connaissance de l’entité visée par une mesure « les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles il considère que cette disposition est applicable à l’intéressé ». Seule exception, la motivation peut être plus limitée si elle intervient « dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard ».

Les juges ne veulent pas admettre que la motivation puisse « consister seulement en une formulation générale et stéréotypée, calquée sur la rédaction de la disposition légale prévoyant les conditions d’applicabilité de la mesure en cause ». Ce qui est le cas en l’espèce. Aucun motif précis n’est reproché à la société dans la décision de sanctions.

L’argumentation du Conseil estimant que l’entreprise a effectué « une opération secrète en vue de l’acquisition par la République islamique d’Iran de missiles de croisière originaires d’Ukraine en 2001 ou 2002 » n’est pas suffisant, soulignent les juges. Cela n’est pas vraiment un « élément de preuve » et le Conseil ne peut « fonder l’adoption de mesures restrictives sur une opération unique ayant eu lieu environ quatre ans avant même l’adoption du régime des sanctions (contre l’Iran et environ dix ans avant l’adoption des mesures restrictives à l’encontre de la requérante ». Enfin « l’absence de communication à l’intéressée d’une motivation ne peut pas être régularisée par la communication au cours de la procédure devant le juge de motifs que le Conseil ne lui avait pas communiqués jusqu’alors. »

Erreur manifeste d’appréciation sur le nom de la société

Non contents d’estimer qu’il y ainsi une violation de la motivation, les juges constatent aussi qu’il y a erreur manifeste de motivation car l’entreprise TCMFG prétend ne pas être l’entreprise SATAK visée par les sanctions. Un examen qui tient sans doute au besoin de se prémunir d’une possible cassation devant la Cour de justice de l’UE.

Pour le tribunal, l’Union européenne doit établir, « à suffisance de droit, l’identité des personnes et des entités à l’égard desquelles il adopte des mesures restrictives ». Et les juges de trouver un peu légers les arguments utilisés par le Conseil. « 1° La simple signification comparable, mais non identique, des acronymes SATAK et TCMFG n’établit pas qu’il s’agit d’une seule et même entité. 2° La circonstance que ces deux sociétés aient une même adresse est insuffisante pour établir qu’il s’agit d’une seule et même entité dès lors que de nombreuses sociétés sans lien entre elles peuvent disposer d’une même adresse. 3° Il ne ressort nullement de l’annuaire professionnel international auquel le Conseil fait référence que le président-directeur général de SATAK, qui n’y est pas mentionné, est le même que celui de la requérante. 4° Les informations économiques (dont fait état le conseil) ont été compilées par une société d’information économique qui elle-même n’en garantit ni la véracité ni le caractère complet et à jour. »

Maintien des effets

Le tribunal donne cependant le temps au Conseil de rectifier ses erreurs en « maintenant pour deux mois et dix jours » les effets de la décision. Elle se fonde, en effet, sur le fait que le plaignant n’a attaqué que la décision mais n’a introduit « aucun recours en annulation contre le règlement d’exécution » qui juridiquement reste donc en vigueur.

Télécharger l’arrêt T-404/11 du 17 avril 2013

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).