JurisprudencePolice Terrorisme

La Cour accentue sa jurisprudence anti-terroriste

Logo Cjue(BRUXELLES2) La Cour de justice de l’UE a confirmé, jeudi (18 juillet), l’arrêt du tribunal de première instance dans l’affaire des listes anti-terroristes (affaire Kadi). L’arrêt était attendu car il intervient dans une affaire à la fois symbolique et importante, qui devrait entraîner certaines modifications dans la manière de gérer les listes anti-terroristes de l’Union européenne. La Cour s’affirme ainsi de plus en plus comme un gardien des libertés publiques. Et cet arrêt n’est qu’une pierre de plus dans cette construction jurisprudentielle.

La Grande chambre convoquée

C’est la Grande chambre, l’une des sessions les plus solennelles de la Cour, qui s’est prononcée. Et pas moins d’une douzaine d’Etats membres (Autriche, Bulgarie, Danemark, Espagne, Finlande, Hongrie, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas,  Slovaquie, République tchèque) sont venus au soutien des deux institutions européennes (Commission et Conseil) ainsi que du Royaume-Uni qui avaient introduit un pourvoi.

Kadi : l’instigateur d’une jurisprudence

Le sieur Kadi avait été un des premiers arrêts à inverser une jurisprudence du Tribunal, jusqu’alors très prudente, puisque donnant une quasi-immunité juridictionnelle aux décisions prises par l’Union européenne en application du comité des sanctions de l’ONU.

Ce nouvel arrêt Kadi pousse le cran un peu plus loin puisqu’il oblige non seulement à un contrôle formel de la légalité de la décision (motivation, respect des droits de la défense…) mais soutient qu’il faut examiner de plus près les motifs de cette décision. Ce faisant, les juges ont refusé de suivre leur avocat général qui préconisait une application plus souple des droits fondamentaux.

« Aucune des allégations formulées dans l’exposé fourni par le comité des sanctions n’est de nature à justifier l’adoption, au niveau de l’Union, de mesures restrictives à l’encontre de celui-ci, et ce en raison soit d’une insuffisance de motivation, soit de l’absence d’éléments d’information ou de preuve qui viennent étayer le motif concerné face aux dénégations circonstanciées de l’intéressé », estiment les juges. Leur raisonnement s’effectue selon six étapes.

Exposé des motifs et droits de la défense

Le principe est que l’Union européenne doit communiquer à l’intéressé les éléments sous-tendant sa décision. Ainsi, celui-ci doit pouvoir obtenir au moins « l’exposé des motifs fourni par le comité de sanctions » pour étayer sa décision. De plus, la personne concernée doit « faire connaître utilement son point de vue à l’égard des motifs retenus à son encontre » et doit examiner, « à la lumière des observations faites par l’intéressé, le bien-fondé de ces motifs ».

La demande de renseignements au comité des sanctions doit être faite par l’UE

C’est « à l’autorité de solliciter la collaboration du comité des sanctions » et — à travers ce dernier — du membre de l’ONU ayant proposé l’inscription de la personne concernée sur la liste récapitulative, pour « obtenir la communication d’informations ou d’éléments de preuve, confidentiels ou non, lui permettant de procéder à un examen soigneux et impartial du bien-fondé des motifs en question ».

Le contrôle juridictionnel des motifs

Quant au juge de l’Union, il a le pouvoir de contrôler la légalité des motifs. Il doit notamment apprécier « si ceux-ci sont susceptibles de soutenir l’inscription de l’intéressé sur la liste dressée par  l’Union ». Et, à cette fin, il « peut demander à cette autorité de lui présenter ces informations ou éléments de preuve ».

La charge de la preuve

En cas de contestation, c’est à l’autorité « d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé de ces motifs ». Si l’autorité est dans l’impossibilité d’accéder à la demande du juge de l’Union, ce dernier doit « se fonder sur les seuls éléments qui lui ont été communiqués ». C’est-à- dire « les indications contenues dans l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions, les observations et les éléments à décharge éventuellement produits par la personne concernée ainsi que la réponse de l’autorité à ces observations ».

Un contrôle poussé

Si ces éléments ne permettent pas de constater le bien-fondé d’un motif, le juge de l’Union doit « écarte(r le motif) en tant que support de la décision d’inscription ou de maintien de l’inscription en cause ». Si, par contre, l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union « doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne concernée à leur sujet ».

La non-communication des motifs pour raison de sûreté

Certes « des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales peuvent s’opposer à la communication de certaines informations ou de certains éléments de preuve à la personne concernée ». Mais cette considération ne peut être opposée systématiquement aux magistrats. Le juge de l’Union, « auquel ne saurait être opposé le secret ou la confidentialité de ces informations ou éléments », a le devoir de « vérifier, en procédant à un examen de l’ensemble des éléments de droit et de fait fournis par l’autorité compétente de l’Union, le bien-fondé des raisons invoquées par cette autorité pour s’opposer à une telle communication ».

Si le juge conclut que ces raisons ne s’opposent pas à la communication, à tout le moins partielle, des informations ou des éléments de preuve en cause, il donne la « possibilité à l’autorité compétente de l’Union de les communiquer à la personne concernée ». Si cette autorité s’oppose à la communication de tout ou partie de ces informations ou éléments, le juge de l’Union procédera alors à l’examen de la légalité de l’acte attaqué sur la base « des seuls éléments qui ont été communiqués à cette personne ».

La recherche de l’équilibre libertés publiques / sûreté

S’il s’avère que les raisons invoquées par l’autorité compétente de l’Union « s’opposent effectivement à la communication à la personne concernée d’informations ou d’éléments de preuve produits devant le juge de l’Union », c’est alors à une évaluation de l’équilibre entre libertés publiques et sécurité que le juge conduit. Il est nécessaire de « mettre en balance de manière appropriée les exigences liées au droit à une protection juridictionnelle effective et celles découlant de la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou de la conduite de leurs relations internationales ».

Il est possible de recourir à d’autres possibilités « comme la communication d’un résumé du contenu des informations ou des éléments de preuve en cause ». Mais dans tous les cas, le juge aura à « apprécier si et dans quelle mesure l’absence de divulgation d’informations ou d’éléments de preuve confidentiels à la personne concernée et l’impossibilité corrélative pour celle-ci de faire valoir ses observations à leur égard sont de nature à influer sur la force probante des éléments de preuve confidentiels ».

(Nicolas Gros-Verheyde)

Télécharger l’arrêt Kadi C-584/10

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).