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[Entretien] EUBAM Libya. La mission peine à trouver ses marques dans un contexte troublé

(BRUXELLES2) Trois mois après son lancement, la mission d’assistance aux frontières en Libye (EUBAM Libya) peine encore à trouver ses marques. B2 a pu rencontré le chef de la mission européenne de gestion des frontières (EUBAM), Antti Hartikainen, présent à Bruxelles cette semaine, pour faire un premier point sur une mission difficile dans un contexte plus que trouble. Un an après l’attentat de Benghazi qui a coûté la vie à l’ambassadeur américain sur place, la situation n’est, en effet, toujours pas apaisée.

Une mission de conseil avant tout

Le mandat de la mission est « de fournir un entrainement et assistance à travers différents conseils aux Libyens » explique le chef de mission. Concrètement, « Nous aidons les différentes agences pour la sécurité des frontières, il y en a plusieurs : gardes-frontières, douanes, police de l’immigration et gardes-côtes. Nous coopérons aussi avec les agences de renseignement pour la sécurité ».

Trois limitations, la prise de décision coté libyen…

Les relations avec les Libyens « s’améliorent chaque jour. Nous avons établi un groupe de travail sur la gestion des frontières où il y a des représentants des agences libyennes et aussi des ministères. Cela a été mis en place il y a un peu plus d’un mois ». « Le plus gros défi est, pour eux (les Libyens), de prendre des décisions rapides. C’est l’un des grands défis et ce qui explique qu’il n’y a pas plus d’avancées pour l’instant. C’est dû à la situation politique compliquée » explique Antti Hartikainen.

Des conditions de sécurité : difficiles

Les conditions de sécurité, « difficiles », limitent aussi l’impact de la mission. « Les Libyens nous ont demandé de nous concentrer sur le sud et le sud-ouest du pays. Mais vu les conditions de sécurité, nous n’avons pas pu être physiquement présent sur place. Nous avons, en revanche, commencé des visites sur le terrain à la frontière ouest, Nalut, Ghadames et à Misrata ». Pour l’instant, la mission « concentre ainsi ses activités essentiellement à Tripoli, surtout pour l’entrainement des formateurs. Nous avons invité des gens de l’Est et du Sud à Tripoli pour être formé. Après nous les renvoyons sur leur terrain et quand cela sera possible, nous essaierons de contrôler l’application de ce qu’ils ont appris et les résultats de notre entrainement. »

… et pas encore de QG

La mission n’a pas de quartier général (QGà en soi. « Nous sommes toujours à l’hôtel et nous préparons notre quartier général à 16 kilomètres de Tripoli. Cela prendra encore quelques mois et nous pensons pouvoir nous y installer au début de l’année prochaine » explique Hartikainen. Cela a un impact direct sur la mission car cela empêche de recruter certains personnels, faute de place. « Cela couterait trop cher à l’hôtel ».

Utiliser l’imagination pour avancer

Même si ces conditions limitent l’action de la mission, et que certaines activités « ont été annulées car nous n’avons pas pu avoir les conseillers nécessaires », « nous utilisons notre imagination pour avancer. Nous avons développé un plan d’action quand nous sommes arrivés sur les activités que nous voulions réaliser d’ici la fin de l’année. »  

Former les formateurs…

L’une des missions principales d’EUBAM est l’entrainement des futurs formateurs libyens. « Nous essayons de former les formateurs, car il y a une grande différence sur le terrain au niveau de la formation » explique un diplomate européen. Si on essaie une stratégie par le bas cela ne marchera jamais. C’est pourquoi nous nous focalisons sur la formation des responsables. Mais en même temps nous formons des gens sur le terrain pour qu’ils puissent remplir les taches. Cela commence avec des taches très simples sur : comment patrouiller, comment lire une carte ou se servir d’un GPS ». « Nous essayons d’introduire les best practices européennes. Par exemple sur le coopération ou l’échange d’informations. Nous avons proposé la mise en place d’un centre de coordination pour centraliser les données des agences. »

Plusieurs ateliers

La mission a ainsi déjà organisé plusieurs ateliers « qui ont rencontré du succès. La semaine dernière, nous étions à Ghadamès pour organiser pendant deux jours une formation à la gestion des frontières. Il y avait 60 ou 70 locaux et c’était un franc succès. Nous sommes quasiment les seuls à pouvoir fournir cette formation et, particulièrement, en dehors de Tripoli. Et nous allons continuer tant que les conditions de sécurité le permettent. Nous avons aussi tenu à Tripoli un séminaire sur la sécurité des aéroports ».

Un autre plan d’action sera prévu pour les 18 prochains mois. Le chef de mission veut prévenir toute impatience. « Notre mandat est de deux ans plus un. Nous entrons dans la phase plus systématique après la phase de début de la mission ».

Objectif stratégique : la gestion intégrée des frontières

La mission a aussi un objectif à plus long terme, stratégique. « Notre but est que les Libyens aient une vision claire et qu’ils s’y tiennent. Qu’ils aient un Plan et qu’ils le mettent en place » explique Hartikainen. L’objectif est aussi théorique, « Il y a une sorte de vision qui existe mais la prochaine étape et d’aider à développer un Livre Blanc pour une Gestion intégrée des frontières. Et en se fondant sur cela nous les aiderons à finaliser une stratégie à long terme et le plan de mise en place ». Mais cela demande du temps, « Il faut au moins un an pour développer cette stratégie correctement et parfois même deux ans le temps que cela soit approuvé ».

Un grand défi : identifier qui contrôle quoi

« Le manque de contrôle du gouvernement sur certaines régions est encore un plus grand challenge » rapporte un diplomate proche de la mission. « Ils ont assigné à des groupes, des milices, la surveillance des frontières ou la douane par exemple. (Mais) nous ne savons pas s’ils sont totalement loyaux envers le gouvernement. Certains n’en ont pas grand chose à faire selon ce que l’on a pu nous dire et il développent leur propre business. » Et d’ajouter, « La plupart de ces groupes se sentent abandonnés par le gouvernement et c’est un gros problème »

L’enjeu principal pour les mois à venir est donc de « faire une cartographie pour savoir qui sont ces groupes et à quel point sont-ils loyaux envers le gouvernement. Cela n’est pas tout à fait terminé ». L’un des objectifs reste de rendre ces groupes « opérationnels » en les formant afin qu’ils puissent remplir la mission qui leur a été assignée par le gouvernement.

S’attaquer aux racines du mal

Il faut s’attaquer aux racines du mal, poursuit-il. « Si vous voulez faire diminuer les activités criminelles comme les trafics d’armes, de drogue, la contrebande etc… vous devez trouver une alternative pour ces gens. Il ne faut pas seulement lutter contre ces activités. Cela ne marchera pas ; il faut trouver d’autres possibilités pour que ces gens gagnent de l’argent en dehors de ces activités criminelles ».

Pas de formation aux militaires

EUBAM ne fournira cependant pas de formation aux compétences militaires comme l’explique un diplomate. « On pourrait facilement nous demander des entrainements militaires. Mais nous ne le ferons pas ». Ces groupes ne sont pas identifiés. « Nous ne savons pas qui nous formons, or si nous fournissons cet entrainement militaire, cela peut être par erreur ».

Un manque cruel de moyens

Un « énorme défi » concerne l’équipement. « À Ghadamès et Nalut, ils ont seulement du papier, des stylos et des tampons. Pas un seul ordinateur ». Pour autant, la mission ne peut pallier ce manque. « Nous ne fournissons pas d’équipements. Nous avons seulement un petit budget pour fournir de l’équipement pour l’entrainement mais pas pour une utilisation opérationnelle ».

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).