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Affaire Fulmen : le secret défense ou le droit ?

Logo Cjue(BRUXELLES2) Dans l’affaire Fulmen sur laquelle la Cour de justice européenne s’est prononcée aujourd’hui (28 novembre) était en jeu une question délicate. Comment communiquer aux juges des éléments de preuve justifiant une décision de sanctions, quand la motivation des “28” s’appuie sur des documents classés “Secret” ? Autrement dit quel est le principe qui l’emporte : le secret Défense et la sûreté de l’Etat ou le pouvoir juridictionnel et la protection des justiciables ? La balance de la Cour de justice penche, naturellement, en faveur du second critère.

Mais si elle a donné raison aux juges de première instance en confirmant l’annulation du gel des avoirs de la société Fulmen et de son dirigeant, M. Mahmoudian (*), elle a tout de même, sans le dire expressément, invalidé leur raisonnement et ramené le “curseur” un peu plus au centre. Les juges ont notamment rappelé une jurisprudence plus traditionnelle, qui permet une certaine conciliation de la nécessaire sûreté de l’Etat avec la protection juridictionnelle des personnes. Ce qui donne ainsi aux juristes du Conseil la possibilité de corriger, sans beaucoup changer leurs pratiques, la mise en oeuvre de ce type de sanctions. A noter que le Conseil était soutenu dans cette affaire par deux Etats membres : la France et le Royaume-Uni.

La construction du site secret de Qom

La société Fulmen, spécialisée dans les équipements électriques, est en effet soupçonnée d’être intervenue sur le site nucléaire de Qom/Fordoo, une installation « construite clandestinement, sans être déclarée à l’AIEA (donc) en violation des résolutions du Conseil de sécurité » comme l’ont rappelé le Conseil et la France (qui intervenait dans la procédure).

Des motifs vraisemblables suffisent-ils ?

Le Conseil estimait avoir rempli ses obligations en estimant que les motifs présentés étaient « vraisemblables ». Il s’appuyait sur des informations et sur des éléments de dossier « communiqués par un État membre », mais dont l’Etat n’avait pas autorisé la communication aux juges. Pour les Français, ce caractère secret se justifie si un État membre estime « nécessaire à sa sécurité de ne pas révéler des documents confidentiels ». Pour le Royaume-Uni, qui intervenait également dans la procédure, « dès lors que l’Union n’a pas encore mis en place des procédures permettant la communication au Tribunal de documents confidentiels, il conviendrait que le Tribunal, dans le cadre de cette conciliation, porte une attention plus grande aux intérêts de la paix et de la sécurité qu’à ceux d’une personne faisant l’objet de mesures restrictives. Il rappelle que les mesures en cause sont préventives et non pas pénales ».

La sûreté de l’Union…

Pour la Cour, « des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres » peuvent justifier la non-communication de certaines informations de preuve. Mais cette procédure allégée n’est pas sans gardes-fous. Les Etats membres doivent indiquer « les raisons spécifiques permettant de s’opposer à une telle communication » ou, à défaut, communiquer au juge de l’Union « un résumé du contenu des informations confidentielles en cause ».

Dans tous les cas précise la Cour, c’est au juge de l’Union « d’apprécier » si et dans quelle mesure l’absence de divulgation d’informations ou d’éléments de preuve confidentiels à la personne concernée et l’impossibilité corrélative pour celle-ci de faire valoir ses observations « sont de nature à influer sur la force probante des éléments de preuve confidentiels ».

En l’espèce, le Conseil n’avait pas produit d’éléments de preuve, ni de résumé des informations confidentielles devant le juge. Et, ce dernier a dû se fonder sur « le seul élément qui lui avait été communiqué », à savoir l’allégation figurant dans la motivation des actes concernés. L’annulation des sanctions est donc valable.

  • Télécharger l’arrêt C-280/12 P Conseil / Fulmen et Mahmoudian

(*) Arrêt du 21 mars 2012, Fulmen et Mahmoudian / Conseil (affaires jointes T-439/10 et T-440/10).

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).