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Brexit ou pas. La perte d’influence de Cameron (et de Londres) en Europe

Cameron s'est isolé sur la scène européenne (ici, au sommet de mars 2014, archives : Conseil de l'UE)
Cameron s’est isolé sur la scène européenne (ici, au sommet de mars 2014, archives : Conseil de l’UE)

(BRUXELLES2) La volonté britannique de tenir un référendum sur l’Union européenne est un bel exercice de démocratie. Et il doit être salué. Mais la volonté du Royaume-Uni de vouloir plier l’Europe à l’aune de ses seuls intérêts est beaucoup plus discutable. Elle cache mal également un net effacement du Royaume sur la scène européenne. Le Royaume-Uni se désintéresse de plus en plus de l’Europe… et les Européens font de moins en moins d’effort pour l’en dissuader.

La défaite symbolique du 26 juin

En s’opposant à la nomination de Jean-Claude Juncker, en juin 2014, le Premier ministre David Cameron n’avait pas tort dans son droit. Le Conseil européen a autant, que le Parlement européen, le pouvoir de nommer le président de la Commission. C’est même la seule prérogative des “Chefs” : celui de proposer un nom. Mais en doublant cette exigence d’une velléité de transformer l’Europe selon sa propre vision, c’est-à-dire la moins intégrée possible, la moins efficace, la moins attirante possible, il détournait en quelque sorte le pouvoir qui lui est donné. Le Premier ministre britannique n’a pas réussi à changer la décision contrairement à ses prédécesseurs — John Major avait bloqué la candidature de Jean-Luc Dehaene et Tony Blair avait réitéré, dix ans plus tard, en bloquant celle de Guy Verhofstadt. On peut invoquer un changement d’époque. Sans doute. Mais pour David Cameron, ce vote a surtout été un véritable camouflet qui est révélateur d’un recul politique plus profond. Le cas Juncker n’est, en effet, pas un épiphénomène. Le leader britannique a un problème, aujourd’hui, avec les autres pays Européens… tous les pays européens. Les Britanniques, aujourd’hui minoritaires sur la scène européenne, ont perdu de leur influence… Leur capacité à jouer leur petite musique particulière s’est évanoui.

Où est passé la vertu du particularisme britannique ?

Cet effacement britannique est récent. Absents de plusieurs politiques fondamentales — le traité budgétaire, la Zone Euro, une bonne part de la politique de justice et d’affaires intérieures, etc. — le Royaume-Uni n’en avait pas moins gardé jusqu’ici un rôle majeur et moteur de la politique européenne. Jouant le rôle (parfois bénéfique) de poil-à-gratter, pointant du doigt certaines complexités ou incohérences de la politique européenne, poussant à davantage de marché, de pragmatisme, Londres jouait sa partition. Même dans la politique de régulation des services financiers, pourtant délicate à mener, le Royaume-Uni a habilement aidé à construire, en bloquant certaines réformes jugées trop négatives, la politique européenne.

Qu’est devenue la capacité d’entraînement ?

Les Britanniques avaient toujours réussi jusqu’ici à entraîner derrière leurs positions un certain nombre d’Etats, parfois importants, parfois moins, mais jamais négligeables. Leur volonté d’élargir l’Europe (pour la diluer) rencontrait un certain assentiment il y a dix ans. L’intervention en Irak en 2003 avait été symbolique sur ce plan. Huit pays avaient suivi Tony Blair dans une lettre commune. A peu près au même moment, la négociation des perspectives financières 2007-2013 et la remise en cause de certaines politiques (agricole, régionale, etc.) en faveur des politiques de compétitivité avait mis en minorité la France et les “latins”, réduits à la défensive. Le Royaume-Uni était alors un des seuls pays à ouvrir son marché du travail (sans contrainte) aux travailleurs d’Europe de l’Est qui venaient d’adhérer.

Une perte d’influence stratégique

Dix ans après, depuis le virage eurosceptique de l’équipe Cameron, et des isolements en série, cette attirance est bel et bien terminée. Les Britanniques n’arrivent plus à entraîner derrière eux un poids suffisant de pays. La négociation du cadre financier 2014-2020 n’a pas réussi à infléchir les politiques dans le sens souhaité par le Royaume-Uni à l’époque. Sa position de voir encore s’élargir l’Europe vers l’est (Géorgie, Moldavie, Ukraine…) ne recueille aujourd’hui plus un assentiment général et est devenue minoritaire. « La place du Royaume-Uni est moins stratégique qu’il y a 5-6 ans » constate un diplomate expérimenté. Au Conseil de l’UE, « dans nombre de débats, le ministre britannique n’intervient pas ». Il suit en cela une politique fixée au plus haut niveau. David Cameron ne s’était-il pas vanté dans un article de deux faits d’armes au niveau européen : les politiques qu’il avait réussi à bloquer, celles où il ne participait pas. « C’est difficile alors d’être au centre du jeu quand vous considérez ne pas vouloir participer à une politique européenne ».

Comment se fâcher avec ses amis

Le positionnement de Londres contre la politique agricole commune, contre la politique régionale, contre un budget européen trop important, contre la coopération policière ou judiciaire, contre la libre circulation ont indisposé plus d’un pays, plus d’un gouvernant qui, souvent, étaient, très proches des idées britanniques ou, au moins, admiraient son histoire, son modèle démocratique, son dynamisme économique. Les diatribes de l’UKIP mais aussi de représentants gouvernementaux, Tories en tête, contre la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne, notamment des travailleurs de l’Est, (un principe fondamental de l’Europe… et de la Grande-Bretagne depuis la Seconde guerre mondiale !), ont fait plus de mal que n’importe quel Exocet français. Ils ont indisposé, profondément, les populations comme les gouvernements d’Europe de l’Est et on perdu de solides amis.

Un pays en recherche de nouveaux alliés

Les tentatives du Premier ministre britannique de créer des alliances sont assez rapidement à l’eau. On se souvient de cette rencontre en Suède avec ses homologues suédois (Reinfeldt), néerlandais (Rutte) et allemand (Merkel), en juin 2014. Entretemps, un de ses alliés a perdu les élections. Et même à Berlin, le Britannique n’est plus en cours. « Cameron a cru trouver chez Merkel à plusieurs reprises un appui. A chaque fois, il a été déçu. » Le résultat est même inverse. Le langage est « même plus dur à Berlin », constate notre interlocuteur, à l’égard du Britannique que dans d’autres capitales.

Reinfedlt, Cameron faisant la leçon, Rutte et Merkel autour d'un café (crédit : )
Reinfedlt, Cameron faisant la leçon, Rutte et Merkel autour d’un café (crédit : )

Un poids extérieur de plus en plus relatif

Cet effacement est également visible sur le plan extérieur. En juillet 2013, sur un sujet pourtant “facile” pour Londres — faut-il créer un quartier général militaire européen ? — le Royaume-Uni se retrouve ainsi isolé, seule la Lituanie vient à son secours et encore timidement. C’est grâce à son droit de veto et parce que personne ne veut mettre en “corner” William Hague que Londres impose son blocage. La participation de Londres à la définition d’une politique de défense européenne est aujourd’hui d’ailleurs très réduite. Et le poids de Londres dans les opérations européennes de maintien de la paix, très symbolique, inférieur à ce que peut apporter un pays balte ! Plus récemment, Londres a été totalement absent de la négociation entamée par Paris et Berlin, entre l’Ukraine et la Russie, en format “Normandie”, aboutissant aux accords de Minsk 1 et 2 (lire : Accords de Minsk : Pourquoi le couple franco-allemand est plus efficace ?). Sur la Syrie, le “pas de deux” entamé avec la France pour une intervention puis le retrait et l’alignement sur les Américains n’a pas vraiment aidé à la compréhension de la diplomatie britannique.

La manoeuvre du référendum

En organisant un référendum, Londres entend donc pratiquer un chantage classique : changer l’Europe selon nos volontés sinon “on casse la baraque”, en visant en premier lieu la libre circulation des citoyens au sein de l’UE. Le chantage est clair. Car on ne voit pas, en effet, comment un référendum (s’il était organisé) pourrait ne pas aboutir à un “Non” à l’Europe (1). En se servant de cette hostilité latente animée, depuis des années, par une presse “populaire” qui tire à boulets rouges sur l’Europe (souvent de mauvaise foi), cette manoeuvre vise non seulement à satisfaire son électorat mais à renverser la table européenne, à récupérer une partie de pouvoir et d’influence perdues au cours des dernières années.

Au bout du chantage, la porte ?

Céder cette fois-ci serait contraire non seulement à une certaine âme de la construction européenne, ce serait aussi céder à la majorité — de Lisbonne à Gdansk, de Helsinki à Varna — qui cherche aujourd’hui une Europe plus intégrée et plus solidaire. Les discussions sont souvent houleuses au sein de la “famille européenne”. Les décisions ne sont pas faciles, les consensus difficiles à décortiquer et les compromis paraissent peu ambitieux. Mais cette construction a matière à avancer. Or, au lieu de renforcer l’Europe, à chaque fois qu’on cède, à chaque fois qu’on recule devant un chantage britannique, on légitime le débat, on renforce sa position, et on lui donne des raisons supplémentaires d’en réclamer plus dans le “détricotage” de cette intégration. On ne fait aucunement baisser d’un cran les velléités de sortie de l’Europe (le Brexit). Ce n’est assurément pas le bon chemin. Il faudra, un moment donné, que ce soient les Britanniques, et non les Européens qui choisissent et assument leur choix : être dans l’Europe ou ne pas en être !

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Dans les sondages récents, les opinions se sont rapprochées donnant le Oui ou le Non côte à côte, voire même le Oui gagnant. Ce phénomène doit cependant être relativisé. D’une part, ce n’est qu’un sondage très anticipateur. Le référendum serait organisé en 2017, lorsque le gouvernement sera en plein exercice. Ensuite, l’expérience des référendums sur l’Europe montre que si le “Oui” l’emporte souvent lorsqu’on est loin de l’échéance, la tendance se renverse en général dans les derniers mois ou semaines avant celui-ci. Ce resserrement tient aussi compte des promesses des candidats d’obtenir une limitation de la libre circulation des personnes et des garanties importantes des Européens, ce qui n’est pas encore tout à fait acquis…

Evolution du Oui et du Non à l'Europe dans les référendums (source YouGov)
Evolution du Oui et du Non à l’Europe dans les référendums (source YouGov)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

3 réflexions sur “Brexit ou pas. La perte d’influence de Cameron (et de Londres) en Europe

  • Beau sujet très bien traité ! Merci Nicolas !

    Nous avons l’habitude des chantages britanniques avant les grands rendez-vous européens (notamment avant l’adoption des perspectives financières, mais pas uniquement) ! Le pire, c’est que ce chantage est systématiquement payant ! Alors, pourquoi ne pas continuer ? S’agissant de la perte d’influence supposée du RU dans les grands dossiers européens, elle est largement compensée par l’accroissement de l’influence US …. y compris dans le rachat des entreprises du futur les plus stratégiques … S’il suffisait de faire du chantage en menaçant de faire un référendum sur l’appartenance de son pays à l’UE pour accroître son influence, alors la France devrait se dépêcher d’en prévoir un …

  • jean - Guy GIRAUD

    Pour paraphraser JC Juncker “Courir sans cesse derrière (les anglais) ne permet pas de leur parler : vous ne les voyez que de dos” .

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