[Entretien] Pierre Moscovici : La Commission ne veut pas du Grexit, ce serait un échec collectif majeur

(B2) A quelques heures d'une réunion décisive des ministres des finances de l'Eurogroupe, Pierre Moscovici, le commissaire européen chargé de l’Economie et des Affaires financières, a bien voulu répondre à nos questions. Au-delà d'un réel engagement européen, et d'une volonté d'aboutir à un accord avec les Grecs et l'ensemble de la Zone Euro, on sent aussi comment la confiance a pu être ébranlée par la négociation des derniers mois...
Jusqu'où l'Europe doit-elle aller pour maintenir la Grèce dans la zone euro ?
La situation est partagée. Il existe indéniablement chez beaucoup de chefs d’Etats et de gouvernement, chez la plupart des ministres des Finances, qui ont été confrontés à la situation avec plus d’une dizaine d’Eurogroupes depuis l’élection de Alexis Tsipras, une lassitude, parfois une irritation, en tous les cas, un manque de confiance qui doit, maintenant, être comblé. Il est certain qu’il faut tenir compte de cette donnée qui n’est pas que psychologique. De l’autre côté, il y a un sentiment de responsabilité partagée, un attachement à la zone Euro. Et la Zone Euro, c’est 19 membres, pas 18. Tout le monde est conscient de cette responsabilité. Pour arriver à réconcilier ces deux dimensions, il n’y a qu’une voie, c’est de dépasser les irritations, de surmonter, la lassitude, de transformer la responsabilité en volonté.
On sent beaucoup de pathos dans ce dossier, c'est la Grèce historique, la Grèce de Platon tout de même qui est là face à nous ?
C’est vrai. La Grèce n’est pas insignifiante dans l’histoire européenne. Elle ne l’est pas dans la démocratie, dans la philosophie, dans la poésie, la littérature, elle ne l’est pas à travers son histoire dramatique. C’est un des cœurs de la civilisation européenne. C’est sûr qu’il y a une dimension affective, sentimentale, culturelle, majeure, qui explique que tout le monde y passe autant de temps. Mais, au final, ce n’est pas quand même pas la psychologie qui l’emporte, c’est l’action et ce sont les actes. Il ne s’agit pas de savoir si on fait un accord avec Platon ou Homère, mais de savoir si la Grèce aujourd’hui est capable de réformer son économie pour se mettre à niveau de ce qu’implique l’appartenance à la Zone Euro.
Il ne s’agit pas de savoir si on fait un accord avec Platon ou Homère mais de savoir si la Grèce aujourd’hui est capable de réformer son économie pour se mettre à niveau de ce qu’implique l’appartenance à la Zone Euro.
Vous pensez justement que la Grèce est capable de faire encore un plan de réformes ?
Oui. Je pense qu’ils sont capables de le faire. J’ai senti cette semaine pour la première fois, se nouer un débat, au niveau nécessaire. Ils ont cette capacité, il faut qu’ils en aient aussi la volonté, la responsabilité. Mais ce qui compte, ce n’est pas le ton, ce sont les actes. Ce n’est pas le style, ce sont les positions. Il arrive un moment où on doit passer à l’acte, où on doit délivrer, implémenter, comme disent les anglo-saxons. Ce moment est arrivé. C’est l’heure de vérité…
Il arrive un moment où on doit passer à l’acte, où on doit délivrer, implémenter, comme disent les anglo-saxons. Ce moment est arrivé. C’est l’heure de vérité…
On est au moment critique alors ?
C'est vrai. Nous sommes dans la dernière ligne droite. C’est la négociation de la dernière chance. Ce week-end est un week-end décisif, je ne dirai pas historique car ce n'est pas la fin de l’histoire. Dans l’hypothèse positive, on n’en aura pas, en effet, terminé avec ce dossier. Et on commencera à négocier un programme d’assistance.
Sur quelle base va-t-on négocier ?
La première demande du programme d’assistance financière est arrivée hier matin (mercredi) avec des promesses de réforme qui ont été plutôt bien accueillies, notamment sur la partie fiscale, la TVA, et les retraites. Mais nous attendons maintenant comme base d’un accord possible, des propositions concrètes, complètes, tangibles, précises de Alexis Tsipras. C’est surtout cette base là que se nouera, ou non, cette négociation de la dernière chance, d’ici dimanche
Comment pouvez-vous en 24 heures analyser que le plan est crédible ?
Nous avons déjà toutes les données et connaissons tous les paramètres. Les cinq derniers mois n’ont pas été inutiles. Nous allons regarder si le programme qui nous est fourni est, d'abord, sérieux sur le plan économique ; ensuite, financièrement soutenable, en prenant en compte les données économiques et financières du pays qui ne se sont pas améliorées ces derniers temps.
Pourquoi ne pas reprendre le plan proposé auparavant ?
On ne peut pas faire un copier-coller. La situation d'incertitude a eu un impact massif sur l'économie grecque qui est maintenant en récession. Les données financières se sont détériorées. La fermeture des banques n'a pas aidé. Nous devons évaluer le sérieux économique, la soutenabilité financière, la cohérence d’ensemble.
La restructuration de la dette n’est-elle pas une clé de la négociation ? Je crois que vous n'aimez pas ce mot de "restructuration", parlons de soutenabilité de la dette alors ?
Cette question devra être traitée le moment venu. Mais en son temps. Aujourd’hui, le processus est clair. Il y a sur la table, une demande de programme d’assistance financière. Et il y a des remboursements qui doivent être faits, à hauteur de 4,22 milliards pour le 20 juillet. Ce qui doit être décidé ce week-end, c’est si premièrement, des ressources financières sont dégagées pour permettre à la Grèce de procéder à ce remboursement alors que Grèce n’a pas ses ressources Deuxièmement, si les négociations s’engagent pour un nouveau programme, Et pour çà il faut une autorisation de certains parlements, à commencer par le parlement allemand, le Bundestag. Dans ce contexte, on pourra alors parler de la dette dans un cadre qu'il convient de définir. Enfin, la condition de tout, ce qui déclenche le financement et les négociations : ce sont les réformes.
L'Etat grec est-il à la hauteur ?
Le vrai problème, dans cette affaire depuis l’origine, c'est que la Grèce n’a ni une économie ni un Etat qui soit à la hauteur qui implique l'appartenance à la Zone Euro. Si nous demandons des réformes, ce n’est pas pour infliger plus d'austérité au peuple grec. Il n'y en aura pas. C’est pour que ce pays fasse enfin des réformes pour lui permettre d'avoir une économie moderne, de se mettre à niveau de ses partenaires, de retrouver le chemin de la croissance, de l'emploi et de la justice sociale.
« Le vrai problème, dans cette affaire depuis l’origine, c'est que la Grèce n’a ni une économie ni un Etat qui soit à la hauteur qui implique l'appartenance à la Zone Euro. »
Qu'est-ce qui convaincra tout le monde ?
La qualité des réformes et la capacité du gouvernement grec à les mettre en œuvre. Il est important d'avoir une liste d’actions prioritaires, avec des réformes qui soient votées dans les prochaines semaines voire les prochains jours. C'est un critère. La réforme fiscale et de la réforme des retraites notamment. Il faut enclencher un cycle de réformes.
Mais le peuple grec souffre de ces réformes sans cesse ?
Je suis conscient des sacrifices que cela demande au peuple grec. C'est pour lui que nous agissons. Tout le monde sait la souffrance qu'il a endurer : la perte de 25% de PIB, les 50% de jeunes au chômage, les 30% de Grecs sous le seuil de pauvreté. C'est la raison pour lequel il est nécessaire aussi d'envisager un plan d’aide humanitaire. La Commission européenne y est bien sûr prête.
Vous pensez que l’économie grecque peut rapidement se redresser ?
Oui. La détérioration de la situation économique a été rapide et spectaculaire, la reprise peut l’être tout autant. Car la Grèce a des atouts naturels, des atouts humains. C’est une économie extrêmement mobile avec une main d’oeuvre formée, avec une capacité créative importante. Quand je suis arrivé ici, nos prévisions économiques donnaient 3% de croissance à la Grèce, nous sommes maintenant en récession. Mais, pour l’année prochaine, j’ai de nouveau 3% de croissance, à condition de faire les réformes nécessaires. Dans la situation d’incertitude d'aujourd'hui, les investisseurs s’en vont, même les indicateurs du tourisme baissent. Mais c’est une situation aisément réversible. C’est une économie qui est capable se redresser vite. Mais elle a besoin de structures beaucoup plus solides, des structures étatiques et des structures privées. C’est pour çà que je crois que loin d’être des réformes d’austérité, ce qu’on propose sont des réformes positives pour l’économie grecque.
C’est une économie qui est capable se redresser vite. Mais elle a besoin de structures beaucoup plus solides, des structures étatiques et des structures privées.
On pourrait se dire après tout, allez les Grecs hors de la Zone Euro, non ?
Non. Le Grexit serait un échec collectif. Nous ne devons pas nous y résigner. Nous devons faire notre devoir, agir en responsabilité, faire preuve de solidarité à l'égard de la Grèce mais, en même temps, faire preuve d’exigence, non pas une exigence idéologique mais une exigence pour le bien de la Grèce et des Grecs.
Le Grexit n'est donc pas une solution ?
Ce n’est pas une solution que souhaite la Commission européenne. La Commission ne veut pas du Grexit. Depuis des mois, depuis des années, la Commission est mobilisée pour l’intégrité, l'irréversibilité de la Zone euro. Et la Zone Euro, c'est à 19 ! Le Grexit serait un échec collectif, majeur. Nous ne devons pas nous y résigner.
La Commission ne veut pas du Grexit. Depuis des mois, depuis des années, la Commission est mobilisée pour l’intégrité, l'irréversibilité de la Zone euro. Et la Zone Euro, c'est à 19 !
Pourtant, vous travaillez bien sur un scénario de sortie ?
Nous ne sommes pas en train de travailler de manière équivalente sur les différents scénarios. En même temps, la responsabilité de la Commission est de se préparer à toutes les situations. Si d'autres éventualités que celle que nous souhaitons – un bon accord - surviennent, on saura faire face.
Y-aurait un risque de contagion ?
La Zone euro est solide, elle a tous les pare-feux nécessaires pour se prémunir d'un choc. Nous sommes prêts à toutes les éventualités. Mais, encore une fois, ce n’est pas là dessus que nous travaillons. Ce n'est pas ce que nous souhaitons.
Au-delà des conséquences économiques pour la Grèce, le Grexit serait un aveu d'échec politique pour l'Europe également ?
C’est le projet politique de l’Euro qui serait entamé. L'Euro est une monnaie unique. Cela suppose l'intégrité — tout le monde y est — et l'irréversibilité — tout le monde y reste —. Un Euro dont on pourrait partir deviendrait une simple zone de taux de change fixe. Et l’histoire monétaire a prouvé que les zones de taux de change fixe ne survivent pas dans la durée. Etant attaché à l'idée de l'Euro, je suis attaché à l’irréversibilité de l’Euro. Cela ne veut pas dire qu'il faut le souhaiter à tout prix. On en connait le prix, les conditions. Les conditions, ce sont que les réformes proposées par le gouvernement Tsipras soient crédibles et les engagements à mettre en œuvre soient solides.
Un Euro dont on pourrait partir deviendrait une simple zone de taux de change fixe. Et l’histoire monétaire a prouvé que les zones de taux de change fixe ne survivent pas dans la durée.
... Et un sacré encouragement à tous ceux qui veulent la fin de l'Euro, et aux extrêmes ?
Je crois que spontanément, intuitivement, les Européens sont attachés à l'Euro. Car ils savent que c'est un élément de stabilité, de force, d'ancrage tout à fait essentiel. On ne doit pas jouer avec çà. Les populistes jouent avec ce sentiment. Nous ne devons pas leur céder. C'est vrai que çà fait aussi des paramètres dont on doit tenir compte, dans tous les pays européens. Il ne faut jamais céder au populisme, jamais.
Il ne faut jamais céder au populisme, jamais.
Nicolas Gros-Verheyde
version longue de l'interview de P. Moscovici publiée ce matin dans Ouest-France et Sud-Ouest