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Ne perdons pas de temps à faire un google européen (Mariya Gabriel)

Mariya Gabriel lors de notre entretien © NGV / B2

(B2) Agée de 38 ans, Mariya Gabriel a été propulsée en juillet 2017, au sein de l’exécutif européen pour remplacer sa compatriote, la Bulgare Kristalina Georgieva, nommée à la Banque mondiale. En charge de la révolution numérique, la benjamine de la Commission européenne parle un français parfait, perfectionné à l’institut des études politiques de Bordeaux Bordeaux, où elle a également enseigné.

Séduisante, intelligente, la benjamine de la Commission semble très pressée de laisser un bilan positif. En déniant l’importance des outils principaux détenus par des entreprises américaines (Google, Facebook, Twitter), elle en oublie la donne stratégique. L’internet est non seulement un tuyau et un contenu, mais aussi un outil de pouvoir. En se donnant un objectif très pragmatique tenant compte de la réalité, elle avoue avoir perdu la bataille. Ce qui est une erreur notable sur ce terrain. Ne pas maitriser les principaux outils condamnent les Européens à être des supplétifs, des fournisseurs de technologie de niche alors que la donne sera imposée et donnée par les Américains, en avance d’une génération tant en matière de technologique que de commercialisation ou de services.

A regarder les géants comme Google, Facebook ou Amazon, on a l’impression que les Européens ont raté une marche ?

C’est vrai. Nous ne sommes pas leaders dans les plateformes. Pour la première fois, nous n’avons pas été au centre d’une révolution technologique. Mais on garde le leadership dans « la partie invisible » de l’internet : la nanorobotique, les puces de sécurité, l’automobile…

Faut-il avoir un Google européen ?

Il faut arrêter de perdre du temps à copier ce que les autres ont fait. On ne doit pas chercher à avoir un Google Européen ou un Netflix européen. Il faut plutôt se focaliser sur ce qu’on a d’unique, ce qui est innovant pour le futur. C’est le moment de remplir le contenu [d’internet]. Je suis convaincu que les futurs champions européens ils sont là. Il faut leur donner une sécurité juridique, une perspective à nos entreprises qui ne demandent qu’à grandir. Il y a une prise de conscience, un momentum, que le numérique est une priorité.

Cela veut dire avoir des règles pour tous ?

Bien sûr. La loi de la jungle, c’est fini. Il faut vraiment assurer un niveau minimal pour tous. Dès lors qu’il y a des services proposés, il y a des responsabilités qui sont les mêmes. Nous ne sommes pas contre ces plateformes, on est très conscients du rôle joué, elles se sont révélées des entreprises extrêmement performantes. Mais nous avons des valeurs, nous avons des règles à respecter. Personne ne peut être au-dessus de la loi.

… y compris fiscales, notamment pour les GAFA ?

Oui c’est clair. Nous avons mis comme principe de trouver une approche générale au niveau mondial, avec l’OCDE. Mais si rien ne sort, nous irons de l’avant. Nous mettrons sur la table une proposition législative au printemps 2018.

Vous portez aussi un nouveau paquet de mesures sur la cybersécurité, les cyber-attaques vous semblent-elles un risque important ?

Oui. Une cyber attaque peut causer aujourd’hui plus de dégâts qu’une destruction par arme physique. Aucun État membre, aucune entreprise ne peut aujourd’hui y faire face seul. 80% des entreprises disent avoir subi ou ont pu avoir une attaque. Et nous avons quatre à cinq incidents majeurs par an. Le paquet que nous avons proposé en septembre est de doter l’Union européenne d’une vraie agence pour lutter contre le cyber. Nous proposons de doubler l’effectif, de doubler le budget. [Cette agence] sera chargée de donner une certification afin de donner à chacun, aux entreprises, la certitude que le produit qu’ils utilisent a le niveau de sécurité suffisant.

Comment peut-on réagir ?

Il faut avoir un mécanisme de coordination en cas d’attaque à large échelle. Ce n’est pas évident. Il ne faut pas se situer dans une réaction face à une attaque. Mais nous visons surtout la longue durée, en créant des centres de compétence, pour attirer les experts, profiter de leurs bonnes pratiques, faire de l’Europe un hub du cyber. Nous avons lancé un programme pilote lancé dans Horizon 2020 [le programme de recherche de l’Union européenne]. Les experts existent. l’enjeu est de leur montrer qu’il y a une valeur ajoutée au niveau européen et qu’ils viennent chez nous. Notre idée est d’avoir dans chaque État membre un centre anti cyber attaque, 24 h sur 24 7 jours sur 7. C’est le dialogue et la coopération entre États membres qui est une valeur ajoutée.

Faut-il développer une capacité offensive ?

C’est très difficile de démontrer d’où l’attaque vient. Cela sert à quoi de soupçonner quelqu’un si on n’a pas de preuve.

(Recueilli par Nicolas Gros-Verheyde)

Entretien en tête à tête dans les bureaux de la commissaire au Berlaymont, avec un journaliste autrichien le 9 octobre 2017

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).