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La PESCO, le nouveau projet européen de défense va voir le jour (V2)

Les Européens se saisissent du manche... Ils déclenchent le projet de Coopération structurée permanente (crédit : Marine FR / DICOD / EMA)

(B2) Plus d'une vingtaine d'États membres, par l'intermédiaire de leurs ministres des Affaires étrangères et/ou de la Défense, doivent apposer, lundi (13 novembre), leur signature sur un document. La première pierre à une nouvelle coopération au sein de l'Union européenne, la « coopération structurée permanente » en matière de défense.

La date est symbolique : tout juste deux ans après les attentats de Paris (Bataclan, terrasses, Saint-Denis) qui ont entraîné le déclenchement (pour la première fois de la courte histoire européenne) de la clause d'assistance mutuelle (article 42.7). Mais il ne s'agit pas en soi du "vrai" lancement : celui-ci devrait avoir lieu à la mi-décembre, lors d'un autre Conseil de l'UE.

A la pêche aux bonnes volontés

Cette coopération est plus connue sous son acronyme anglais "PESCO" (que sous son acronyme français "CSP") qui a l'avantage de la simplicité. Un mot qui signifie aussi "je pêche" en espagnol. Ce qui n'est pas tout à fait éloigné en fait du processus engagé. Les Européens lancent le filet... Et on verra bien ce qu'on récoltera. Certains savent qu'ils veulent récolter du poisson, d'autres ont juste pour envie d'être à bord du bateau de pêche, d'autres sont les armateurs.

 

 

Combien de pays exactement participeront ?

Une vingtaine tout de suite (23 normalement d'après notre dernier décompte, effectué aux meilleures sources) et sans doute 24 ou 25 pays d'ici décembre (1). C'est-à-dire quasiment tout le monde sauf le Danemark (exclu par un opt-out datant du traité de Maastricht), le Royaume-Uni (pour cause de Brexit) et Malte (par manque de volonté). On est, en fait, assez loin, ainsi de la vision française (et de l'idée de départ des concepteurs de cette Coopération) : un noyau dur, organisé, structuré pour les opérations les plus ambitieuses possibles. On est plus proche, en fait, de l'idée allemande d'un rapprochement politique, progressif, à vitesses variables, avec des "nations cadres". Mais, au final, l'important est de sortir ce "truc" de l'ornière où il avait été laissé depuis la fin des années 2000.

Que signifie cette coopération ?

Tous les mots ont leur importance. Ce n'est pas juste un projet de coopération "renforcée". Il s'agit d'une coopération "structurée" et "permanente", à l'image de ce qui s'est fait pour la zone Euro et l'Union économique et monétaire. Une Eurozone de la Défense en quelque sorte.

A quoi s'engagent les signataires ?

Les Etats membres qui participent ne s'engagent pas en soi à dépenser davantage pour la défense mais surtout à dépenser mieux et en évitant les duplications. Ils vont s'engager ainsi à consacrer un peu plus d'argent de leur budget défense aux équipements (20% au minimum de leur budget défense) et au développement technologique (2% au minimum de leur budget défense). Ils vont s'engager, aussi et surtout, à travailler davantage en coopération, sur différents projets industriels, capacitaires ou opérationnels. Ils s'engageront enfin à fournir hommes et équipements pour les missions ou opérations décidées en commun, à améliorer la disponibilité de leurs forces, voire à accélérer leurs procédures internes de décision.

Que vont faire, concrètement, les pays participants ?

Les pays participants s'engagent aussi à participer à un ou deux projets "structurants", de nature capacitaire (industrielle) ou opérationnelle. Une cinquantaine de projets ont été présentés. Certains font doublon ou ne sont pas très originaux (et consistent à (re)présenter un projet déjà mené en bilatéral ou multilatéral). Ces projets doivent d'abord être évalués selon une grille de notation définie par l'Agence européenne de défense et l'état-major de l'UE. Une décision sera prise sur la nature des projets menés en décembre (ou en janvier au plus tard). Au final, seule une dizaine de projets pourraient être retenus (selon nos informations).

Quels pourraient être les projets menés au sein de la PESCO ?

On pourrait très bien retrouver des projets de nature capacitaire ou industrielle — le drone européen de surveillance MALE (moyenne altitude longue distance), le futur avion de combat, les avions ravitailleurs en vol, les satellites –, opérationnelle — des unités communes de cyberdéfense, un commandement coordonné pour le soutien médical (hopital de campagne, évacuation médicale MEDEVAC), un hub logistique, une force d'entrée en premier, etc. — ou humaine — l'Erasmus militaire ou la formation commune des officiers –.

Est-ce le début d'une force européenne ?

Non. Pas en soi. Mais cela ne l'interdit pas... On pourrait très bien concevoir des projets visant à intégrer complètement certaines forces de plusieurs pays dans un secteur, selon plusieurs étapes s'étalant sur une dizaine voire une vingtaine d'années. Le projet de "soutien médical" pourrait avoir cette ambition, de même que l'idée présentée par Emmanuel Macron d'une "initiative européenne d'intervention".

Quel est l'intérêt réel de cette PESCO ?

L'important est la planification en commun. Un dispositif appelé (CARD = revue annuelle coordonnée de défense) va permettre aux États de confronter leurs besoins, leurs carences, les équipements envisagés et leur financement (programmé ou non). A partir de là... on essaiera de rapprocher les "plannings" pour arriver à une planification en commun, en tentant de combler les lacunes existantes, en lançant des programmes en commun, voire des acquisitions en commun...

Comment va être contrôlé ce dispositif ?

On est dans un cadre politique essentiellement. Mais le dispositif n'est pas aussi lâche qu'on pourrait le penser. Chaque pays va être tenu de rédiger un plan de mise en œuvre, avant même le lancement officiel de la Coopération. Ce plan sera évalué par les services européens (l'état-major de l'Union, pour l'aspect opérationnel, et l'Agence européenne de la défense, pour l'aspect capacitaire) donnant lieu à une recommandation de la Haute représentante, et décision finale des États membres. Cette procédure sera ensuite répétée tous les ans, avec une évaluation commune.

 

Un État participant pourra-t-il être exclu ?

Pas exclu en soi ... mais suspendu. Cette procédure est prévue expressément par le Traité. Si un État « n'est plus  en mesure de remplir ces engagements, une procédure est prévue », comme l'explique un expert du dossier. « A la majorité qualifiée, les États participants peuvent décider après certaines étapes, que cet État ne participera plus ». Toutes proportions gardées, on n'est pas loin de ce qui se passe pour la Zone Euro.

Au final... un jour historique ou une simple étape

Certains qualifieront sans doute ce jour "historique" (2). Ce n'est pas le cas. Le dispositif de Coopération structurée permanente aurait dû être mis en œuvre dès la mise en place du Traité de Lisbonne, il y a presque dix ans (1er décembre 2009). Il s'agit donc plutôt d'une « étape », une étape nécessaire, primordiale, cruciale. L'Europe est en train de passer la première vitesse d'un dispositif appelé à grandir. Pour prendre une image plus maritime, le navire "Europe de la Défense" qui restait amarré dans le port, à l'abri des digues et des vagues fortes, détache les amarres pour aller voguer au large.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) (mis à jour) Ce chiffre a été porté à 25 définitivement le 7 décembre avec la confirmation de l'Irlande et du Portugal. Lire : Une PESCO à 25

(2) On a la qualification facile de l'histoire au niveau institutionnel européen, et ce terme est tellement galvaudé qu'il ne veut plus rien dire. Pour B2, il y a des jours historiques (la chute du mur de Berlin, ou l'accord de paix en Colombie). On n'en est pas encore là. Mais il y a assurément une sérieuse prise de conscience.

Lire sur le Blog :

Et sur B2 Pro (pour nos adhérents et abonnés)

Notre dossier : N°52. Le paquet défense 2017. Un nouveau cycle démarre

Et notre suite chronologique historique :

Mis à jour le 8.12

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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