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Israël proteste toujours contre la loi polonaise sur l’holocauste. Varsovie persiste et signe

(B2) Entre Tel Aviv et Varsovie, l’atmosphère ne semble pas apaisée, après la publication de la loi punissant d’une amende et jusqu’à trois ans de prison, toute déclaration attribuant à la nation polonaise la responsabilité” (cf. encadré). Les propos du Premier ministre T. Morawiecki à Münich, qui frisent avec la volonté de réécrire l’histoire, comme l’appel du président du Sénat polonais à la communauté polonaise l’incitant à dénoncer tout acte mettant en cause une possible collaboration des Polonais durant la Seconde Guerre mondiale avec le nazisme, n’a pas vraiment arrangé les choses.

De nombreux Polonais ont aidé les Nazis, rappelle Israël

Le ministère israélien des Affaires étrangères continue de réagir très vivement, comme il vient de le faire aujourd’hui sur twitter, ajoutant un commentaire à un article paru peu avant dans le Haaretz (1).

« La preuve que de nombreux Polonais ont aidé les nazis et perpétré leurs propres crimes odieux contre les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale est accablante » indique-t-il. « Toute tentative d’effacer cette partie du l’Holocauste doit être combattue par tous ceux qui accordent de la valeur à la vérité et cherchent à s’assurer que les crimes de cette époque ne se répètent jamais. »

L’huile sur le feu du président du Sénat

Les autorisés polonaises, au lieu de tenter d’apaiser la polémique, ont remis de l’huile sur le feu. La longue lettre du président du Sénat polonais, Stanisław Karczewski, adressée aux « 20 millions de Polonais et personnes d’origine polonaise », « pour la promotion du bon renom de la Pologne » est les enjoignant à dénoncer les faits « d’antipolonisme » ! est plutôt inappropriée (2).

« Je vous prie de documenter et de dénoncer toute manifestation d’antipolonisme, ainsi que les écrits ou opinions nous portant outrage. Je vous prie d’informer nos ambassades, nos consulats ou les consuls honoraires de toute déclaration mettant en cause le bon renom de la Pologne. »

Commentaire : Une histoire qu’on ne peut retracer en noir et blanc

L’histoire, douloureuse, de la Seconde guerre mondiale est difficile à retracer dans une atmosphère de “noir et blanc”, comme tente de le faire le gouvernement polonais du PiS. Il est certain que le gouvernement polonais en exil à Londres à l’époque n’a pas ménagé sa peine pour alerter sur le sort des Juifs, auprès des Alliés de l’époque. Plusieurs demandes d’actions adressées aux Alliés britanniques notamment, se sont heurtés à un veto. Il est faux également de dire que, de façon officielle, la Pologne a “collaboré” avec les Nazis, contrairement à l’attitude plus qu’ambigüe de certains gouvernements occidentaux (la France en particulier) qui ont non seulement tacitement approuvé cette politique mais même prêté le concours de leurs forces de police… Les camps d’extermination, mis en place par les Nazis, et tous situés sur le territoire polonais, ont été mis en place par les Nazis, non le gouvernement polonais, ni gardés des agents polonais (3) ; ils ne peuvent être dénommés de “camps de la mort polonais”, n’étant pas mis en place par le gouvernement polonais.

Si la plupart des camps d’extermination installés par les Nazis l’ont été en Pologne, c’était par “commodité” — la plus importante communauté juive d’Europe se trouvant en Pologne —, et non du fait de la collaboration de la population

Pour autant inscrire dans une loi, la répression de toute accusation de collaboration de la Nation polonaise est totalement maladroit, mais de plus une tentation de faire taire les parties tragiques de l’histoire européenne. L’heure du pardon est venue, pas celle de l’oubli. Avec un tel acte, le gouvernement PiS a commis une faute impardonnable, qui ne le grandit pas aux yeux des Européens. Une tache qui le poursuivra durant des années. C’est dommage pour la Pologne et les Polonais qui ont sans doute été une des nations les plus héroïques durant la Seconde guerre mondiale.

(Nicolas Gros-Verheyde)


Le texte de la loi polonaise

Le texte proposé par le gouvernement polonais a été ratifié par le président de la république, A. Duda le 6 février 2018, et doit entrer en vigueur dans les trois mois. Formellement, il consiste en un amendement à la loi instituant l’Institut du souvenir national (Instytucie Pamięci Narodowej) (modification de l’article 55 et 55a).

Il sanctionne les personnes (§1) qui : « en public et contre les faits, attribue à la nation polonaise ou à l’État polonais, la responsabilité ou la coresponsabilité des crimes nazis commis par le Troisième Reich […], ou pour d’autres délits qui constituent des crimes contre la paix [ou] l’humanité ou [qui sont] des crimes de guerre, ou qui autrement réduit grossièrement la responsabilité des auteurs réels de ces crimes » « d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans. Le jugement doit être rendu public. »

Il prévoit (§2) une atténuation de la peine « si l’auteur de l’acte […] a agi involontairement ». La personne est seulement « passible d’une amende ou d’une peine [communautaire] » (restriction de liberté sans peine de prison).

Il prévoit cependant une clause d’exemption (§3) « si l’acte a été accompli dans le cadre d’une activité artistique ou intellectuelle ».

Mais le texte prévoit une application extraterritoriale et quelle soit la nationalité. Cette loi s’applique en effet « indépendamment de la réglementation localement contraignante sur le lieu où l’acte interdit a eu lieu, […] aux citoyens polonais ainsi qu’aux étrangers ».


(1) Le quotidien Haaretz a publié il y a une semaine (11 février) un article intitulé « Orgy of Murder’: The Poles Who ‘Hunted’ Jews and Turned Them Over to the Nazis ». « Plus de 200 000 Juifs ont été tués, directement ou indirectement, par des Polonais lors de la Seconde Guerre mondiale. Il n’y avait pas de spectateurs dans l’Holocauste » souligne-t-il s’appuyant sur les travaux de l’historien Jan Grabowski, enseignant à l’université d’Ottawa, qui a étudié particulièrement le sentiment d’antisémitisme en Pologne.

(2) Cette lettre a été diffusée tout à fait officiellement par les réseaux diplomatiques polonais et disponibles ainsi sur le site de l’ambassade polonaise en France.

(3) Un recensement, inestimable, des gardiens d’Auschwitz, a été effectué par l’Institut (polonais) de la mémoire nationale (IPN), avec publication en ligne d’une base de données début 2017, contenant les noms des différents gardiens SS et collaborateurs. Lors du lancement, Mateusz Szpytma, le numéro deux de l’IPN, affirmait qu’aucun nom de collaborateur polonais ne s’y trouvait pour une raison simple : « Au moment où les Allemands ont lancé une opération de recrutement [pour le camp], l’Etat clandestin a interdit aux Polonais d’y répondre et elle a abouti à un échec ». Une affirmation totalement fausse : il suffit de parcourir la base deux minutes pour tomber rapidement sur un homme de nationalité polonaise, membre de groupe de SS ou travailleur dans le camp. Mais c’est loin d’être une majorité.

(crédit photos : musée d’Auschwitz-Birkenau / carte : IPN)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).