Actu BlogMéditerranéeMissions Opérations

Points de suture pour l’opération Sophia qui repart pour six mois … sans bateaux (V4)

(B2) Les ambassadeurs du comité politique et de sécurité (COPS) se sont séparés mardi (26 mars) de bonne humeur, après plusieurs longues heures de discussions. Une solution est en vue pour permettre à l'opération maritime de l'UE, Sophia, de survivre et de passer l'été.

Une discussion entamée lundi

La discussion avait été entamée lundi (25 mars) sur la base d'un papier d'options préparé par les structures de gestion de crises du service diplomatique européen (SEAE). Les capitales ont jusqu'à aujourd'hui mercredi pour confirmer cet accord négocié. La procédure est faite par silence. On sera tout juste dans les temps, avant la date fatidique de la fin d'opération, le 31 mars.

(Mis à jour 11h30) Comme attendu (ou espéré), aucune capitale n'a remis en cause l'accord, qui est donc désormais applicable

La suspension des activités navales

L'opération pourrait être prolongée pour six mois. Mais le volet naval serait suspendu. Ce qui revient à formaliser de fait la situation actuelle, où il y a à la fois très peu de navires, et où ceux-ci évitent soigneusement la zone où se situent les trafiquants d'êtres humains — objectif primaire de l'opération. L'option présentée par le SEAE, d'une prolongation technique de l'opération à mandat inchangé, le temps de peaufiner une nouvelle mission de formation des garde-côtes libyens (lire : Une nouvelle mission pour succéder à l’opération Sophia ?) a été refusée par Rome.

Un volet aérien et la formation

Au niveau opérationnel, seul serait gardé un volet de surveillance aérienne, au-dessus des eaux internationales. La formation des garde-côtes et des marins libyens pourrait aussi continuer, telle qu'elle existe aujourd'hui, dans plusieurs sites en Europe (2), voire avec des exercices en mer (lire notre dossier N°69. La formation des garde-côtes et marins libyens par les Européens).

Objectif : passer l'été

Ce délai de six mois (jusqu'au 30 septembre) a deux avantages. Il permet à l'opération de passer le cap de l'été : moment difficile au plan politique (élections européennes obligent) comme au niveau pratique (il représente le pic d'arrivées en Méditerranée). Il permet aux Européens de préparer en douceur la transition vers une opération non exécutive destinée à la formation des garde-côtes et marins libyens.

Une décision des États membres

EUNAVFOR « est une opération maritime ». Sans moyens navals, « elle ne sera pas en état d'assurer son mandat », qui est de « démanteler les trafics d'êtres humains », a indiqué la porte-parole de la Haute représentante, Maja Kocijancic, lors du point de midi, ce mercredi (27 mars). « Mais c'est la décision des États membres » a-t-elle ajouté, pointant ainsi le fait que ce n'était pas la volonté initiale de la proposition de la Haute représentante. « La position de la Haute représentante est bien connue. »

... qui reste à formaliser

La formalisation de la décision pourrait intervenir vite, selon nos informations, avec une adoption sans débat, par voie de procédure écrite, dans la foulée. La décision sera publiée au journal officiel, vendredi au plus tard (1). Restera à transcrire l'ordre de ne plus utiliser les navires. Ce qui devrait être fait en modifiant le plan d'opérations et devra demander quelque temps.

Un commandement inchangé pour l'instant

Le commandement restera assuré, pour l'instant, par le vice-amiral Enrico Credendino. « Le changement » ne concerne pas ce point nous a assuré un diplomate européen. Mais le vice-amiral (de la marine) qui assure depuis bientôt quatre ans — depuis le début de l'opération en juin 2015 — la conduite de l'opération pourrait être tenté de prendre le large.

Quatre - cinq avions sur zone

Sur zone il y a actuellement quatre avions : un M28 Bryza polonais (La Pologne s’engage dans l’opération Sophia en Méditerranée), deux avions luxembourgeois SW3 Merlin III (qui se relaient), un avion espagnol Casa CN-235 Vigma D4 et un avion français Falcon.

Du grand bricolage pour une opération 'Plouf'

Cette solution ressemble à du grand bricolage. Un sparadrap qui masque à peine que l'opération est sinon terminée, du moins largement amoindrie. Et ce sentiment semble partagé.

Une opération sans moyens d'assurer son objectif

L'objectif primaire de l'opération — la lutte contre les trafics — est de fait abandonné, car il ne pourra plus être assuré. On peut ainsi enlever les syllabes 'NAV' et 'FOR' de EUNAVFOR Med, et ne garder que EUMed Sophia. Avoir une opération maritime sans navires est le comble du ridicule. Une opération 'Plouf' en quelque sorte.

Retour à la phase 1

On retourne de fait à la phase 1 de l'opération, celle de ces début, en juin-juillet 2015, qui consistait à détecter ou analyser ces trafics. C'est donc la 'porte de sortie' de l'opération : la transmission à un corps de garde-côtes et de marins libyens, dûment formé et organisé, qui prendra plus que quelques mois. Depuis 2015, ainsi l'objectif de former 500 personnels (fixé à fin 2017) n'a pu être atteint, malgré tous les efforts déployés côté européen.

Une politique néfaste

Cette pratique de conserver à tout prix des opérations et missions qui n'ont plus vraiment d'activité est dangereuse à terme. Il apparait comme un emballage plastique qui cache mal la réalité. Il donne l'impression d'une inefficacité, d'un gaspillage d'énergie et d'argent qui peut être plus néfaste aux yeux des Européens que l'objectif recherché : affirmer la place de l'Europe dans le monde, contribuer à la stabilisation ou la paix. C'est un mauvais service qui est ainsi rendu à l'Europe de la Défense. L’Union européenne doit (vraiment) apprendre à fermer des missions devenues inutiles.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Dernier jour ouvrable de parution du journal officiel (sauf parution spéciale qui reste très exceptionnel).
  2. L'Italie, l'Espagne, la Croatie ou la Grèce dernièrement (lire : Fin de formation à Souda pour les garde-côtes libyens) ont successivement accueilli des stagiaires libyens.

Lire aussi notre dossier N°27. Traquer les trafiquants d’êtres humains en Méditerranée, une longue prise de conscience (Opération Sophia)

Mis à jour (11h-14h) avec la confirmation de la décision, la réaction du porte-parole de la Haute représentante, les détails sur le plan d'opération et le maintien du commandement

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

s2Member®