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[Analyse] Maintien de la paix : la décennie perdue des Européens

(B2) Depuis plusieurs années, les crises se sont multipliées. Et les Européens sont presque, à chaque fois, restés sur le banc de touche.

L'Europe de la défense se met en place, avec un fonds européen de la Défense. Une bonne chose certainement. Il y a un défaut de financement en matière de recherche européenne. Mais l'investissement de la défense ne peut se résoudre à une simple équation d'innovations, d'emplois et de pourcentage du PiB. Le renforcement des capacités de défense est au service de cet objectif et non l'inverse. L'objectif est plus politique : « renforcer l'identité de l'Europe et son indépendance afin de promouvoir la paix, la sécurité et le progrès en Europe et dans le monde ». Et sur ce plan, on peut avoir comme un doute.

2011 : le conflit civil en Libye. L'intervention franco-britannique marque une possible ouverture, pour les Européens, dans la surveillance maritime de l'embargo sur les armes par exemple. La frilosité de certains pays, l'hostilité de certains autres qui torpillent cette initiative (portée en bonne partie par la France), réduit le rôle de l'Union européenne à son volet d'aide humanitaire.

2012 : le conflit en Syrie se déclenche. Un conflit gravissime pour les Syriens mais aux conséquences tout autant graves pour les Européens. Malgré la mise en place d'un dispositif de sanctions, quasi inégalé, le régime de Bachar n'en a cure. Il fait pression sur la population civile pour qu'elle fuit et crée une crise dans les pays voisins. L'Europe soutien de manière humanitaire. Aucun projet d'envergure n'est mis en place. Malgré tout le soutien affiché à l'opposition syrienne, la gestuelle symbolique est limitée, ils ne seront pas reçus au Conseil européen. Aucune mission humanitaire de soutien aux pays voisins n'est déclenchée. Aucune réflexion n'est envisagée sur un possible dérapage de la crise des réfugiés sur l'Europe. Le mot clé est : les pays voisins de la Syrie accueille. Quand en 2015, la crise des réfugiés se déclenche, l'Europe est désemparée.

2013 : la crise malienne se déclenche, la France intervient avec le soutien de quelques pays, de façon bilatérale. A aucun moment, n'a été proposée ni envisagée la mise en place d'une opération de soutien à l'opération Serval puis Barkhane. Une opération qui aurait pu être uniquement logistique et n'aurait donc pas vraiment posé de problème à la plupart des États membres. Le déclenchement de l'article 42.7 par la France (la clause d'assistance mutuelle provoquera une prise de conscience collective, politique, sous le coup de l'émotion. Mais les effets sur le terrain sont longs à venir. De façon concrète, les Européens préfèrent s'engager de façon plus décisive dans la mission de formation militaire EUTM Mali ou dans la Minusma.

2014 : le conflit en Ukraine se déclenche. Les Européens condamnent, là encore vigoureusement, établissent des sanctions et mesures restrictives contre les Russes. Le gouvernement ukrainien demande aux Européens de mettre sur pied une force de police pour garantir la sécurité dans les provinces de l'Est. Cette demande a une double visée : permettre une présence 'neutre' dans un territoire où l'autorité de Kiev est bannie, assurer une possible surveillance des élections à venir. Trop risqué, avec le refus total des Russes de voir l'Europe s'impliquer. NB : les USA contactés ne seront pas non plus enjoués à s'impliquer trop avant, mise à part la formation de l'armée ukrainienne.

2016 : un accord de paix se met en place en Colombie. Accord historique puisque les FARC acceptent de poser les armes. Le président colombien, informé du rôle des Européens dans la presqu'île d'Aceh en Indonésie dans les années 2005-2006 (la mission AMM Aceh), teste auprès de l'Union européenne s'ils seraient capables de s'impliquer dans cette crise. Il attend toujours la réponse apparemment.

2017 : la crise des Rohingyas se déclenche. Plus de 600.000 d'entre eux fuient le régime birman, dont l'ancienne dignitaire du prix Nobel, Aung San Suu Kyi, est la ministre des Affaires étrangères. Les Européens sont gênés aux entournures. Ils viennent de lever les sanctions économiques et individuelles. Ils ont commencé à développer une coopération sécuritaire avec le régime. La condamnation est hésitante. L'aide humanitaire arrive vers le Bangladesh. Des accords de rapatriement sont mis au point, mais restent lettre morte. Car peu de Rohingyas sont prêts à franchir le pas. Il manque sur place une force neutre, pouvant garantir la sécurité des personnes.

2020 : le canon retentit à nouveau dans le Haut Karabagh. Les Azéris reconquièrent ce qu'ils estiment être leur terre, revendiquée par les Arméniens. Soutenus par les Turcs, ils s'imposent très vite face à une armée arménienne, à bout de souffle, isolée. Dans un vaste mouvement diplomatique dont elle a le secret, la Russie s'entend avec son frère ennemi, la Turquie, pour imposer un cessez-le-feu et une force de maintien de la paix. La France et les USA, pourtant membres du groupe de contact, sont laissés sur le trottoir. Les Européens n'arrivent pas s'intercaler dans un rôle qui leur est pourtant cher : l'observation d'un cessez-le-feu.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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