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Et si les entreprises de défense contribuaient au maintien de la paix ?

(B2) L’idée peut sans doute paraître saugrenue, ou évidente, a priori. Mais elle mérite de s’y arrêter trois minutes. Pourquoi en effet ne pas demander aux industriels de défense une contribution au maintien de la paix

(crédit : Commission européenne)

Un bon coup de pouce

Au plan européen, l’industrie européenne de défense va bénéficier d’un ‘sacré coup de pouce’ de budget public, sous la forme du Fonds européen de défense — entre 1 milliard et 1,8 milliard d’euros (1), par an, dédié à la recherche et au développement de nouveaux équipements. Soit un pourcentage non négligeable du budget global actuel public des États membres. Avec un avantage supplémentaire : le budget européen est plus sûr, étant moins sujet aux soubresauts politiques que des budgets nationaux.

… avec une stabilité budgétaire

D’une part, car les institutions politiques sont établies au minimum pour cinq ans, avec une probabilité de renversement très faible. D’autre part, car le cadre budgétaire, une fois discuté âprement, entre députés élus et représentants des gouvernements, est établi pour sept ans. C’est rare et précieux. Les entreprises de défense ne s’y sont pas trompées. Les conférences, colloques et autres séminaires se multiplient sur la thématique. Et les industriels, même ceux les plus moqueurs ou ironiques vis-à-vis de l’Europe se précipitent à Bruxelles, s’y établissent ou renforcent les structures.

Un marché pas comme un autre

Or, l’industrie de défense n’est pas tout à fait un marché comme les autres. Le client-acheteur-utilisateur n’est pas le destinataire final du service. L’objectif ultime de ces industriels n’est pas le bonheur. Leur acheteur sera satisfait quand l’équipement sera efficace. Si c’est une arme létale, efficace veut dire ‘tuer’, avec précision certes, mais le plus sûrement possible. Si c’est une arme ‘cyber’, cela veut dire neutraliser un site considéré ‘ennemi’, peu importe la fonction de la cible. Si c’est une arme ‘technologique’, cela veut dire avoir un système d’écoutes performant, peu importe qui est écouté au bout, terroriste ou opposant politique. Pour cette industrie, quoi qu’en disent ses actionnaires, la paix est une mauvaise nouvelle, et les tensions une bonne nouvelle. On ne peut pas le nier. Il suffit de voir les chiffres d’affaires qui s’envolent ces dernières années.

Une difficulté européenne sur le maintien de la paix

En parallèle, les États membres et l’Union européenne ont des difficultés à déployer des missions ou opérations de maintien de la paix. La cause est multiple. Elle repose sur le manque de volonté politique, le défaut de capacités humaines et matérielles, mais aussi de budget. Sans ces trois conditions réunies, une mission ne part pas ou se résume à une présence symbolique, peu efficace, car non dotée du minimum nécessaire. La discussion pour établir une Facilité européenne de paix le prouve. Parmi toutes les questions qui se posent, l’une d’elle est sous-jacente : de quelle poche va sortir l’argent ? du budget national ou du budget européen ? (2) Régler la question du financement lèverait une sacrée hypothèque…

Une contribution possible

Il ne serait donc pas incongru que les entreprises qui ont fait de forts bénéfices durant ces dernières années contribuent à hauteur d’un pourcentage à déterminer — sur leur chiffre d’affaires ou leurs bénéfices par exemple — à cette Facilité européenne de paix qui cherche péniblement à aligner 10,5 milliards d’euros sur sept années (1,5 milliard par an). Ce ne serait que justice.

Un secteur qui se porte bien

Les entreprises du secteur se portent bien. Il suffit de regarder les cours de la bourse pour les entreprises cotées (3). Safran : 60 euros en janvier 2015, environ 147 euros en janvier 2020 (+ 145%). Dassault : 54 euros en janvier 2015, environ 155 euros en janvier 2020 (+180%), Rheinmetall moins de 40 euros en janvier 2015, près de 105 euros cinq ans plus tard (+ 165%), etc. Le secteur de la défense pesait en 2014 presque 100 milliards d’euros (97,3 milliards selon une fiche parlementaire).

Une ingénierie nécessaire

Bien sûr, cela nécessite un peu d’ingénierie politique et juridique. Mais ce n’est pas une idée irréalisable. D’une part, la contribution des entreprises d’un secteur a un important antécédent historique : la contribution des entreprises charbon-acier aux restructurations dans le secteur (traité CECA). D’autre part, la Facilité européenne de la paix a l’avantage d’être hors budget communautaire. Ce qui permet une large souplesse. La proposition de règlement sur la Facilité inclut déjà la possibilité de ‘contributions volontaires’ de pays tiers. Pourquoi ne pas prévoir aussi une contribution ‘volontaire’ privée. La question maintenant est de savoir si les Européens veulent franchir le pas pour jouer réellement un rôle de maintien de la paix.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Selon l’hypothèse retenue, le chiffre variant selon la proposition finlandaise ou de la Commission européenne.
  2. Lire : Facilité européenne de paix : débat bloqué. Un mouvement attendu de la Haute représentante et du SEAE
  3. Les entreprises ont souvent une activité civile et militaire. L’une se portant parfois mieux que l’autre.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).