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Le commissaire au Commerce Phil Hogan démissionne. La fin de l’impunité

(B2) Pris sur le fait en violation des réglementations imposées aux Irlandais sur le coronavirus, le commissaire européen au Commerce, l’Irlandais Phil Hogan, a fini par lâcher le guidon

Phil Hogan dans ses bureaux du Berlaymont (crédit : Commission européenne)

Après quelques jours d’interrogation, et de demi-mensonges (1), l’homme politique du Fine Gael désigné par l’Irlande pour être son représentant dans l’exécutif européen a fini par se rendre compte à l’évidence : il fallait mieux partir de lui-même que d’être mis à la porte par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. La situation était en effet devenue intenable, avec l’affaire du Golfgate.

Un golfgate qui fait des ravages

L’homme politique avait participé avec 80 convives à un diner de gala de l’Oireachtas Golf Society, le club de golf du parlement irlandais il y a une semaine (mercredi 19 août). Ce qui dépassait la jauge autorisée de 50 personnes pour une telle réunion. En pleine période de resserrage des boulons — passage notamment à une bulle de 6 personnes — l’évènement passe mal, et le mot est faible, dans la verte Irlande. Tour à tour, les personnalités présentes à l’évènement sont tenues de s’expliquer et d’assumer. La ministre de l’Agriculture a déjà démissionné, des juges également… Et plusieurs responsables du gouvernement ont demandé que Phil Hogan suive le mouvement.

Un statut de relative indépendance

Seul hic, un commissaire européen, une fois proposé par son gouvernement, est adoubé à la fois par la présidente de la Commission et le Parlement européen. Ce statut lui garantit une relative indépendance. Il quitte son costume national et les us et coutumes locaux, pour devenir un être atypique, qui ne dépend plus que de la sphère européenne. Il ne peut alors être contraint à la démission que par ceux qui l’ont validé. Autrement dit, l’Irlande n’a plus son mot à dire. Et seules les instances européennes (ou l’intéressé lui-même) peuvent le démissionner. C’est cette argumentation que l’exécutif européen a d’abord fait valoir pour refuser tout mouvement vers la porte pour son commissaire au Commerce.

Une contrepartie à l’indépendance des commissaires européens

Ce statut exceptionnel a cependant plusieurs contreparties. L’une est officielle et expressément indiquée par le Traité : consacrer tout son temps à l’activité européenne. Or, on peut vraiment se demander si assister à un dîner de gala du golf club parlementaire irlandais rentre vraiment dans le mandat d’un commissaire au Commerce, voire même dans la tradition de présence de la Commission européenne aux évènements nationaux. La réponse est assez rapide et évidente. C’est Non. La présence de Phil Hogan tenait avant tout à sa nationalité, irlandaise, à ses activités politiques dans l’île, voire éventuellement à ses visées futures. Il ne pouvait donc plus vraiment exciper de sa fonction de commissaire pour prétendre être intouchable. C’est ce que les juristes appelleraient un « acte détachable ». Il y avait là une réelle contradiction qu’il fallait trancher.

Une loyauté nécessaire vis-à-vis de la population

Ensuite, et surtout, il y a une clause non écrite au statut de commissaire : il faut être loyal non seulement vis-à-vis de ses mandants, des États, comme de la population européenne. Or, la manière dont Phil Hogan a cherché à se dédouaner et à s’excuser de sa présence était on peut plus ‘limite’. Dans son mot « chaleureux » de remerciement pour toute son action « pour son travail inlassable et fructueux », Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, n’a pas manqué de le rappeler que chacun devait être responsable de ses actes.

Le rappel à l’ordre de Von der Leyen

« Dans les circonstances actuelles, alors que l’Europe se bat pour réduire la propagation du coronavirus et que les Européens font des sacrifices et acceptent des restrictions douloureuses, j’attends des membres du Collège qu’ils soient particulièrement vigilants quant au respect des règles ou recommandations nationales ou régionales applicables », a indiqué Ursula von der Leyen dans une déclaration publiée aujourd’hui. Avis aux amateurs…

Commentaire : Le temps de l’impunité semble bien révolu. La sortie sera proche pour ceux ou celles qui ne respecteront pas certaines règles, écrites comme non écrites.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Arrêté par la Garda (la police irlandaise) pour conduite au volant en téléphonant, il a été pris également en flagrant délit de violation des règles de confinement. Point mineur en soi s’il n’avait pas été nié au départ.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).