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L’accord sur le nucléaire iranien. Des Européens droits dans leurs bottes

(B2) Malgré les coups de butoirs de l'administration Trump, les Européens ont réussi à garder leur unité sur le dossier du nucléaire iranien. Un tour de force qui mérite le détour

Les E3 (JY Le Drian, H. Maas, B. Johnson) avec le ministre iranien Javad Zarif et Federica Mogherini à Bruxelles en mai 2018 (crédit : UE - Archives B2)

Venus contre Mars

Dire que les Européens sont faibles ou n'arrivent pas à se mettre d'accord est une antienne si régulière qu'on en oublie parfois de mettre en exergue le contraire : quand les Européens sont d'accord. Ils ont ainsi mis en échec (en partie) la volonté de Donald Trump de faire table rase du passé et notamment de l'accord conclu sur le nucléaire iranien (en juillet 2015) par l'administration Obama.

Une énorme pression américaine

Sous l'administration Trump I, les États-Unis n'ont cependant rien lâché depuis près de quatre ans : pressions sur les Alliés, vilipendes publiques, dénonciation juridique de l'accord, rétablissement partiel des sanctions, effet extraterritorial, menaces envers les Alliés, puis prise en otage du Conseil de sécurité des Nations unies, etc. On ne peut pas dire que Washington ait toujours fait dans la finesse et la délicatesse.

Le risque de fissures important

En temps normal, ces pressions auraient dû faire mordre la poussière à l'accord conclu avec l'Iran. L'accord a vacillé certes, dangereusement. Il a été menacé à plusieurs reprises d'être sinon rompu du moins abandonné. Mais ses autres participants ont tenu bon. On aurait pu aussi prédire des fissures entre les Européens, surtout entre un Royaume-Uni qui a pris la porte de l'Union et les autres membres, ou entre une France tenante d'une position dure vis-à-vis de Téhéran, plus proche de la position US et Berlin. Il n'en a rien été.

L'unité malgré tout

Les E3 (comme on les appelle) sont restés unis, malgré les nuances d'opinion qui les caractérisent, multipliant les déclarations communes. D'une seule voix, ils ont multiplié les déclarations contre les manœuvres américaines pour torpiller l'accord. Ils ont mis en place une structure destinée à contourner les sanctions américaines : Instex n'est pas super efficace mais elle fonctionne. Et surtout, comme un seul homme, ils ont dénié toute validité de la dernière tentative US d'utiliser une clause de l'accord (dite 'snapback') visant à rétablir automatiquement les sanctions après être sorti de l'accord. Suivi en cela par l'ensemble du Conseil de sécurité de l'ONU — à une exception près : la Rép. dominicaine (lire : Iran. Les USA mettent la pression pour obtenir le rétablissement des sanctions. Fossé béant avec les Européens).

« Il faut tenir jusqu'aux élections » me chuchotait entre ses dents un haut diplomate européen. Coûte que coûte

L'humiliation de ses amis n'aide pas en diplomatie

Au final, dans ce bras de fer, contrairement à ce qu'on aurait pu penser, ce n'est pas Mars qui a gagné, mais la Vénus européenne (lire : JCPOA. La nouvelle offensive US de détruire l’accord sur le nucléaire iranien se heurte à un mur). L'administration Trump, tout à sa hâte d'obtenir la 'peau' des Iraniens, a commis une erreur stratégique et tactique. En voulant humilier leurs adversaires — les Iraniens —, ils ont mis dans le même sac leurs partenaires et alliés naturels — les Européens —, comme leurs autres partenaires internationaux. En voulant aller trop vite, ils se sont pris les pieds dans le tapis (1). Ce alors qu'Européens et Américains sont plutôt sur la même ligne sur le fond (2).

Une petite claque à l'hyperpuissance américaine

La claque reçue par les Américains au Conseil de sécurité des Nations unies en août restera dans les mémoires diplomatiques. Elle ne conduit pas, de fait, à un abaissement d'une puissance non contestable. Mais elle amène un sacré tempérament. S'ils sont unis, Européens, Chinois et Russes peuvent réduire le poids américain.

Cette alliance contre-nature se reproduira-t-elle ? Pourquoi pas. En tout cas, un sujet emblématique à suivre de près sans préjugés...

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Si les USA étaient restés dans l'accord, ils pouvaient déclencher cette clause, du fait du non-respect de certaines dispositions de l'accord par l'Iran et étaient quasiment assurés d'obtenir le rétablissement des sanctions au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Le seul veto US empêchait alors la continuation de la levée des sanctions. Une « erreur tactique incompréhensible » selon des diplomates.
  2. En témoigne le refus des Européens de rouvrir l'embargo sur les armes pour l'Iran, contrairement à la Russie et la Chine. (lire : L’embargo sur les armes lourdes vers l’Iran est levé. Pas pour les Européens. Et encore moins pour les USA)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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