Analyse BlogGestion de crise PSDC

Force de réaction rapide. Une idée, loin d’être révolutionnaire. Un peu d’audace Svp

(B2) L’Europe, comme l’OTAN d’ailleurs, n’a toujours pas une force de réaction rapide digne de ce nom. Il y a bien des dispositifs — la NRF à l’OTAN, le battlegroup à l’UE — qui restent inemployés, s’usent et sont en fait factices : ni réactif, ni rapide, ni force

Le battlegroup toujours sublimé, jamais employé, pourrait vivre ses dernières heures (photo : Bundeswehr)

De bonnes idées, mais

Nous venons de lire attentivement la dernière proposition mise sur la table, à l’initiative de l’Allemagne, pour doter l’Union d’une force de réaction rapide lire : Boussole stratégique. Cinq pays proposent une force de réaction rapide, plus performante).

Un beau papier…

Un non-paper (comme on dit dans le jargon bruxellois, c’est-à-dire un document non officiel) avec des idées pour résoudre les lacunes actuelles des groupements tactiques, en les dotant d’une certaine permanence, en investissant dans les capacités manquantes, en dotant l’UE d’une plate-forme de commandement digne de ce nom, etc. Seulement, cette proposition a un gros défaut.

On cherche à refaire du neuf avec du vieux

Elle n’est qu’un avatar de plus de la volonté de conceptualiser une force de réaction rapide de façon assez théorique. Elle s’attache à quelques notions annexes, techniques en quelque sorte, sans résoudre le hiatus entre la rapidité et la soudaineté d’une crise, d’une part, et la lenteur de réaction européenne au niveau politico-militaire (1). Prévoir une première capacité opérationnelle en 2025, et une pleine capacité à l’horizon 2027-2028, comme le font les auteurs de ce papier, est une utopie.

Une lenteur de mise en place formidable

Presque dix ans pour mettre en place un nouveau modèle, c’est le condamner à être vite dépassé. On va refaire comme les modèles précédents : partir de la dernière crise (ratée). Comme l’a été la force de 60.000 hommes d’Helsinki (1999) — basée sur le modèle rigide de la FORPRONU-SFOR de Bosnie de 1995 — ou le battlegroup — conçu sur le modèle de l’intervention de EUFOR Congo — qui a mis cinq ans à être modélisé et n’a jamais pu dépasser le stade de gentils exercices dans des champs boueux. La force d’entrée en premier (française, à 5000 hommes), conçue sur le modèle de la force Barkhane, et la force de réaction rapide seront-ils plus adaptés à la nouvelle donne future ?

Les différents problèmes principaux restent sans réponse

Comment cristalliser plus rapidement la décision au plus haut niveau européen, en 24 heures maximum ? (un Conseil européen de sécurité ?) Comment obtenir rapidement, en 24 heures, les autorisations nécessaires au plan national ? (Négocier une sorte d’autorisation préalable ?) Comment prévoir la crise imprévue ? (La planification imaginative ?) Comment adapter la réponse militaire à une crise future qui ne ressemblera ni au Sahel ni à l’Afghanistan ? (Une réponse modulaire ?) Etc.

Une erreur congénitale

Ce document part toujours du même principe. Il présuppose que les Européens veulent et sont capables d’intervenir. Et ce, de façon rapide. Or c’est faux.

Être plus réaliste

Il y a des crises où l’on ne veut pas, ou l’on ne peut pas intervenir, du moins frontalement. Les exemples sont nombreux : l’intervention russe en Crimée 2014, le conflit civil syrien de 2012, la guerre Azerbaïdjan-Arménie de 2020, la guerre civile éthiopienne de 2021, etc. Un constat valable tout autant pour l’OTAN. À l’inverse, il y a des crises, où même si on ne l’a pas envisagé vraiment, on sera contraint d’intervenir. Notamment pour l’évacuation de citoyens en danger — comme le retrait de Kaboul en Afghanistan récemment ou lors du tsunami aux Philippines — ou contre un groupe terroriste.

Inverser le paradigme

Enfin, il y a des crises où on voudra et on pourra intervenir : défense du territoire européen, conflit de moyenne intensité dans le voisinage, ou plus loin, avec une force faible en face (type piraterie maritime, Sahel…). Il serait peut-être judicieux d’adapter le principe du réalisme, de partir de chacune de ces typologies de crises, où l’intervention est évidente, et bâtir ensuite un (ou plusieurs) instruments et une mécanique de décision. Plutôt que d’opérer le contraire. Et avoir un instrument totalement inutilisable.

Inventer les battlegroups modernes

Car l’intervention militaire moderne aujourd’hui, est-ce toujours d’avoir une capacité d’une brigade terrestre, comme le sous-tendent les auteurs de ce papier ? Peut-être. Mais cela ne répondra sûrement pas à toutes les crises. Ne faut-il pas avoir une force commandos de 100 à 300 hommes, pour faire des interventions (type évacuation rapide et extraction), dotée de capacités aériennes (avions stratégiques, tactiques et hélicos) ou maritimes (selon le cas) ? Ne faut-il pas avoir un bataillon de drones plutôt qu’une compagnie blindée ?

Au final, est-ce qu’une équipe de 20 à 40 geeks, en jeans et baskets (ou en costume cravates), capables de déjouer une attaque informatique ou de répliquer rapidement, ne serait pas plus utile ? Et dissuasif ? C’est là peut-être que se niche le battlegroup du futur… 

Un peu d’audace que diable !

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Le dispositif euro-atlantique n’est pas plus réactif, cf. le retrait de Kaboul

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).