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Carnet de route Ukraine 3 : en train de Zahony à Kiev, Chernihiv et retour

(B2 en Ukraine) Le train est aujourd’hui la voie la plus sûre pour acheminer personnes et marchandises dans le pays. De l’Ouest partent ainsi plusieurs trains de nuit vers Kiev. Et les trains régionaux, même en nombre plus réduits qu’ordinaire, permettent à chacun de relier ses proches.

Train de nuit des chemins de fer ukrainiens à la robe bleue classique (© NGV / B2)

La société des chemins de fer ukrainiens (UZ en abrégé) a souvent été vilipendée pour son sur-dimensionnement, son nombre de wagons énorme, sa bureaucratie, et sa corruption au plus haut niveau. Mais depuis le 24 février, durant cette période troublée, de guerre, elle a prouvé son efficacité et retrouvé une seconde jeunesse. J’ai pu en être le témoin durant ces quelques jours, où le train a été mon outil de déplacement favori.

Les gares surveillées de près

À Mukachevo (Munkacs), la gare est surveillée par des militaires en armes. Contrôle d’identité, air soupçonneux, où va-t-on, profession, d’où vient-on ? Du classique. La gare est en chantier, il n’est pas possible d’y accéder en voiture. Des blocs de béton ont été disposés de part et d’autre. À l’intérieur de la gare, la police fait sa ronde. Pour s’assurer que tout est en ordre et qu’il n’y a pas mouvement suspect. Interdiction de photographier bien sûr. Enfin, officiellement. Certains noms de gares ont parfois été soigneusement enlevés surtout dans l’Ouest du pays. À Kiev, il faut montrer carte identité ou passeport pour entrer ou sortir aux policiers et militaires placés à toutes les sorties. Par dessus-tout, on craint ici le sabotage qui mettrait en péril un des biens les plus précieux qu’a l’Ukraine pour assurer sa survie.

Départ de la gare de Mukachevo (© NGV / B2)

Sans tapage mais confortable

La bouilloire à eau, le point-clé du train-couchette, qui sert soupe, café, thé au choix (© NGV / B2)

Les trains ukrainiens circulent avec une belle constance. Le notre arrive avec quelques minutes de retard seulement. Une pacotille au regard des retards français ou belges. À l’intérieur, l’habituelle bouilloire à eau est branchée directement sur le système du train. Nous sommes dans un wagon de luxe. Simple en apparence, avec ses deux couchettes basses. Mais il a une prise électrique et dans un des trajets, la télévision. Rustique en apparence, le système est plutôt bien étudié pour le transport longue distance.

On rentre !

Dans ce train de nuit, les familles — enfants, maman et babas (grand-mère) — avec valises et bagages sont nombreuses. Elles rentrent chez elles après plusieurs semaines ou de mois d’exil à l’Ouest. Un peu inquiets de ce qu’elles vont retrouver. Mais soulagées aussi d’en finir avec l’exil forcé. Certains descendent à Fastiv, une grosse gare de l’oblast de Kiev qui dessert la plupart des petites villes parsemant la grande banlieue de la capitale. Certaines familles ont encore le souvenir du trajet aller. Près de 22 heures, se souvient Lisa* partie en voiture, aux premières lueurs des bombardements russes, avec son mari, sa mère et son enfant vers Berehove à l’Ouest. « Il fallait franchir de nombreux check-points. C’était long. »  Alors pour le retour, ils ont choisi le train. Le mari a fait la route tout seul en voiture et les rejoint à la gare. D’autres terminent leur voyage au terminus, à la gare de Kiev-Passajyrsky.

Sur le quai de la gare principale de Kiev, les familles sont nombreuses (© NGV / B2)

Une belle constance

La nuit, le trafic est important. Nous croisons aussi nombre de trains de fret, avec une longue succession de wagons, dans les deux sens. On sent l’époque soviétique avec un investissement conséquent sur les voies ferrées et les chemins de fer. Le matériel n’est plus tout neuf, mais bien entretenu. Dans nombre de gares, on trouve un train de service en attente, déjà chargé de rails et de ballast, prêt à aller réparer des rails abimés par les intempéries ou par la force militaire. Un lève-caténaire est aussi prêt à partir.

Les voies sont souvent doublonnées pour faciliter le trafic (© NGV / B2)

Le fret circule avec une belle allégresse

L’Ukraine dispose d’un réseau de voies ferrées conséquent. La structure paraît surdimensionnée. Les voies sont souvent doublonnées. Et il n’est pas rare d’avoir six ou huit voies dans une simple gare “de province”, dont plusieurs réservées au fret, et de voir quatre voies en rase-campagne. Mais ce surdimensionnement a été efficace au final. Il a permis en cas de problème, d’utiliser des voies de contournement ou d’alternative.

Train de fret en attente (© NGV / B2)

Une campagne si paisible

Deux jours plus tard, je prends un autre train. Un train régional vers Chernihiv. Autre contexte, autre ambiance. Il y a moins de monde à bord. Nous filons au travers des campagnes en apparence paisibles. De temps à autre, un vestige de l’offensive, un pont détruit, un check-point (abandonné ou gardé), des passages à niveaux où l’employé de l’UZ lève son bâton jaune, une file à une station d’essence, une église.

Le lopin de terre cultivé partout (© NGV / B2)

Des trains régionaux hyper-modernes

Le train est hyper-moderne, et file à bonne vitesse, silencieux. Nous sommes dans un des nouveaux trains de l’UZ, qui assurent le service quotidien vers le Nord-Est de l’Ukraine. Un train hyper-moderne, équivalent des TER français. À faire rougir les désuets trains de la SNCF ou SNCB. Au centre de la rame (en seconde classe), un bar qui sert tout ce qui est nécessaire à un voyage détendu : café, thé, soupe, sandwich… Le personnel, dans la plus belle tradition de l’Est, n’est pas toujours le plus souriant, mais toujours serviable, présent et efficace.

Dans un train régional, le bar au centre de la rame (© NGV / B2)

Quelques leçons à retenir

Les Européens feraient bien de réfléchir à une nouvelle vision du train comme instrument de liaison stratégique. La disponibilité de locomotives diesel a permis au plus fort de la guerre de continuer d’assurer les liaisons. Et à peine une ville est libérée que le train, les lignes sont rétablies. Entre Kiev et l’Ouest, les trains de nuit ont assuré sans relâche tout d’abord l’évacuation des personnes vers l’Ouest, puis quelques semaines plus tard, le retour de certains chez eux, du moins pour Kiev et sa région.

Un des trains de l’UZ à Chop, près de la frontière hongroise (© NGV / B2)

(Nicolas Gros-Verheyde, envoyé spécial en Ukraine)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).