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[Analyse] Cinq leçons sur la guerre d’Ukraine

(B2) La guerre opposant la Russie et l’Ukraine est un mélange entre l’ancien et le moderne, l’unité du commandement et une grande décentralisation. Elle remet à plat les stratégies classiques.

Une réflexion nécessaire

Les quelques jours passés en Ukraine m’ont secoué « l’intellect stratégique ». Ces réflexions et questionnements semblent relativement absents du débat public aujourd’hui. Particulièrement au niveau européen, qui semble toujours privilégier le tout technologique (des voitures électriques aux réseaux interconnectés). Des avancées certes utiles mais qui, en termes de défense, sont insuffisantes et peuvent même préparer une « défaite certaine » Lire aussi : [Réflexion] Les insuffisances de la Commission européenne sur la Défense. En retard d’une guerre ?).

Première leçon : l’avenir est-il au rustique ?

Aux côtés de la technologie dernier cri, il faut avoir de bons vieux équipements, bien rustiques, et si possible pas trop connectés. Une rusticité nécessaire pour son appropriation rapide par la population ou des volontaires formées rapidement. Les instruments classiques de la guerre (artillerie, canons, …) sont encore nécessaires, aidés d’instrument plus rapides (drones tactiques).

Deuxième leçon : ne pas tout miser sur l’hyperconnexion

Dans le même esprit, tout baser sur la technologie hyper connectée est une erreur. Le bon vieux réseau de sirènes aériennes, un dispositif de radios classiques en ondes radio peut être très utile en cas de défaillance des réseaux mobiles. À réfléchir quand l’Europe veut s’orienter à toute force vers l’hyperconnexion.

Troisième leçon : conserver des modes autonomes hors de l’électrique

Dans le conflit en Ukraine, les bonnes vieilles locomotives diesel ont prouvé leur utilité, prêtes à prendre le relais et pallier un réseau électrique défaillant ou interrompu du fait des frappes. La tentation de passer au tout électrique, au tout connecté, de centraliser certaines capacités (soins, production d’énergie, etc.) doit être reconsidérée à l’aune tactique et stratégique. Que fera-t-on demain avec des voitures tout électriques, dépendant de réseaux fragiles ?

Quatrième leçon : l’importance de la logistique civile

La logistique civile est primordiale pour les militaires. Et les choix faits à ce niveau impactent directement la capacité de résilience. On ne soulignera jamais autant le rôle du transport par train en Ukraine (fret et voyageurs (lire : Carnet de route Ukraine 3 : en train de Zahony à Kiev, Chernihiv et retour. Quiconque se rend en Ukraine ne peut être que frappé par le fort dimensionnement du réseau (cinq – six voies dans la moindre gare), comme la présence de trains de réparation. Idem pour le réseau de santé et de postes primaires de soins. Tout cela ne peut s’improviser au dernier moment.

Cinquième leçon : small is beautiful le doublon est la garantie du succès

Les petits équipements peu chers (des tablettes aux petits satellites en passant par les drones) sont tout aussi utiles sur le champ de bataille que les gros équipements, chers et uniques. Doublonner voire tripler les équipements est encore une vertu pour gagner la bataille. Tout avoir en modèle unique serait une erreur. Refuser le doublonnage est l’assurance de la défaite. Ceci est aussi valable pour les organisations politiques : l’OTAN et l’UE ne se doublonnent pas. Elles se complètent, voire interchangent leurs rôles quand l’une est bloquée.

(Nicolas Gros-Verheyde)

NB: D’autres leçons pourraient être tirées, telles la décentralisation de la logistique et l’autonomie de commandement, J’y reviendrai.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).