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[Analyse] Après le coup d’état au Niger, plusieurs questions se posent

(B2) Faut-il intervenir militairement au Niger ? Faut-il continuer à former des armées africaines qui font des coups d’État ensuite ? Quid des missions de formation européenne sur place ? Les questions sont nombreuses, dérangeantes au besoin. Mais il faut se les poser.

Il n’est pas sûr que les ministres de la Défense et leurs collègues des Affaires étrangères réunis ces 30 et 31 août en réunion informelle à Tolède en Espagne osent aborder toutes ces questions en public. Mais il en sera certainement question dans les couloirs.

1° L’intervention militaire de la CEDEAO est-elle souhaitable ?

Une intervention militaire de la CEDEAO serait extrêmement hasardeuse. Sauf retournement extrême de situation, elle pourrait souder les Nigériens plutôt que les diviser. Miser sur une implosion de la junte est aussi risqué et pourrait laisser le pays dans une situation à la Soudanaise, plus dangereuse en soi que cette prise de pouvoir par les militaires. La victoire est donc loin d’être assurée.

Même une victoire militaire acquise, resterait ensuite à tenir et gérer le pays avec des forces de sécurité et de défense traversées par des mouvements d’opposition et qui pourront trainer des pieds.

Au surplus, une intervention militaire serait une opportunité formidable pour les mouvements terroristes type Daech, Al Qaida et autres qui pourraient mener des offensives risquant d’aboutir, de façon meurtrière, sur plusieurs villes du pays. Le danger n’est pas théorique.

Bref, la voie militaire pour résoudre la crise du Niger apparait comme une voie de tous les dangers.

2° L’intervention de la CEDEAO peut-elle être soutenue par les Européens ?

Si officiellement la CEDEAO bénéficie de l’appui politique des Européens, dans la pratique la situation est bien différente. Et les Européens sont loin d’être aussi décidés et unis. Sont-ils prêts à fournir une aide logistique (transport aérien par exemple) ou en termes de renseignement ? Mise à part la France, aucun pays ne semble disposé à le faire et surtout pas ceux qui ont des troupes sur place (Belgique, Italie, Allemagne). Sont-ils prêts à dire oui à une possible demande de soutien financier de la CEDEAO ? Notamment, via la Facilité européenne pour la paix. Pas sûr du tout.

3° Cette intervention peut-elle être dissuasive ?

Cela semble peu évident. Le coup de force des militaires obéit à des impératifs et mobiles souvent internes (1), comme le prouve le coup de force au Gabon. En revanche, se mettre pieds et poings liés dans les mains des militaires pour solutionner un problème politique est plutôt un risque d’assurer la contagion de coups d’État. Dans les pays prêts à fournir des troupes (Bénin, Guinée-Bissau Côte d’Ivoire, Nigeria, Sénégal …), qui sera celui où les forces passeront à l’acte demain ?

4° Que faire des missions militaires européennes sur place ?

Sur les cinq missions de formation (EUTM) ou de partenariat militaire (EUMPM) que l’Union européenne a en Afrique, trois d’entre elles (Centrafrique, Mali, Niger) sont en état de suspension sidérale. Elles fonctionnent au ralenti, voire sont officiellement suspendues, du fait soit de coup d’État militaire (Mali, Niger), soit d’une concurrence forte d’autres acteurs (Russie notamment), contrecarrant les plans européens (Centrafrique). Idem pour les missions civiles d’assistance des forces de sécurité intérieure : EUCAP Sahel Mali est au point mort et EUAM RCA fonctionne à moitié.

Rester sur place est nécessaire disent les uns (l’Espagne par exemple) pour ne pas laisser la place à d’autres et se garantir d’évolutions possibles. S’en aller est la seule solution pour ne pas cautionner un régime militaire disent les autres (France pour le Mali, mais pas pour le Niger). Chacun des arguments est recevable. Mais il faudra bien trancher un moment donné.

5° Faut-il continuer à former des armées qui font des coups d’État ensuite ?

C’est une question de fond, qui ne sera peut-être pas abordée de façon frontale à Tolède. Car elle est très complexe et À multiples facettes. Mais il faudra bien se la poser un jour. Le développement à marches forcées des armées et forces de sécurité, voulu par les Occidentaux pour lutter contre le terrorisme, n’arrive-t-il pas à mettre en position de force les militaires face aux civils, aboutissant ensuite à une prise de pouvoir ?

La doctrine européenne de formation des armées africaines, inspirée en grande partie par la France, ne date-elle pas d’une autre époque ? Faut-il la conserver, le transformer ou l’abandonner. Une grosse revue stratégique s’impose.

De la même façon, le maintien de l’opération française Barkhane au Niger apparait comme (très) compliqué. Comment la France entend coopérer avec un régime militaire qu’elle estime illégitime et conspue copieusement ? Une décision devrait s’imposer, sinon aujourd’hui, du moins à court terme.

6° Finalement, ne faut-il pas changer d’attitude envers l’Afrique ?

Le fait que ces évènements se produisent essentiellement dans les anciennes colonies françaises interpelle. Les discours officiels mettant en avant le nécessaire partenariat et l’égalité entre Européens et Africains sont-ils la réalité ? Les dernières prises de parole, par leur ton condescendant, leur arrogance, n’en sont pas le meilleur témoignage. Trois ans après le sommet France-Sahel de Pau en janvier 2020 (Lire : Sommet de Pau : Africains et Français conviennent de travailler ensemble) le résultat semble un beau désastre.

Une méthode semble avoir fait son temps : celle de convoquer les dirigeants africains et leur asséner la leçon, celle de faire des dénonciations publiques outrageantes. Soutenir certains gouvernants de façon trop ouverte équivaut aujourd’hui à un véritable “baiser de la mort” pour ceux-ci.

Enfin, le double standard est difficile à nier. Le coup de force au Tchad, les entailles certaines à la démocratie de pouvoirs en place “d’amis de la France” au Gabon ou au Sénégal tout autant que le quasi-silence de Paris sur ces pays interpellent. Ils ne passent pas inaperçus, surtout en Afrique.

7° Se préparer à faire face à des possibles rétorsions ?

Pays très pauvre, le Niger est certes très dépendant de l’extérieur. Mais il ne manque pas de moyens de pression non plus, contrairement à ce qu’indiquent certains commentaires. À commencer par l’immigration. Le Niger est un des « verrous » mis en place par les Européens (à Agadez) notamment pour sinon empêcher, au moins limiter, la remontée des populations du Sud vers l’Europe, via la Libye (ou la Tunisie ensuite). Un chantage à l’ouverture de ce verrou est toujours possible. Il faut s’y préparer.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Ne voir ce coup que par le prisme de l’ingérence russe est biaisé. On semble plus dans l’opportunisme politique — la Russie (comme d’autres acteurs) se profile sur place, ravie de prendre la place des Français (et Européens) — que dans une situation à la centrafricaine, où la Russie a poussé les Français dehors.

Mis à jour avec la mention de Barkhane

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).