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[Actualité] Une vaste opération d’évacuation au Proche-Orient se prépare. Via Chypre (v2)

(B2) Tous les indices sont concordants. Si le conflit dérape, il va falloir évacuer plusieurs milliers de ressortissants européens du Liban, voire si possible de Gaza. Plusieurs pays mobilisent des moyens importants vers Chypre. Qui va servir de hub aéronaval et de centre de coordination.

Le PHA Tonnerre au départ de Toulon vers Beyrouth en août 2020 (Photo : DICOD / Archives B2)

Une sorte de bis repetita de l’opération d’évacuation du Liban de 2006. Avec deux grosses différences. Les citoyens européens ne peuvent pas sortir par la Syrie, toujours en guerre civile. La bande de Gaza est totalement bouclée. Les points frontières terrestres sont fermés. Et la marine israélienne patrouillant au large, empêchant toute échappatoire par la mer.

Se préparer à une évacuation massive

La crainte des Européens et des Alliés de l’OTAN est un embrasement dans la région. Et plusieurs capitales ont donné à leurs ressortissants la consigne d’évacuer le Liban : l’Allemagne l’a fait dès le 20 octobre, le Royaume-Uni, également, conseille de partir tant que les liaisons régulières fonctionnent. Mais l’enjeu est également de pouvoir extraire les nationaux et binationaux coincés à Gaza. Les Pays-Bas et le Canada très vite, suivi de l’Allemagne ont très vite dépêché des moyens sur place. La France vient de prendre le train en marche (cf. ci-dessous).

Le scénario du pire

Chypre se prépare au scénario du pire. « Plus de 100 000 personnes pourraient devoir être évacuées du Liban, d’Israël et de la région dans son ensemble si la violence au Moyen-Orient s’intensifie », indiquent des diplomates nationaux, selon la presse chypriote. Nicosie tente également d’établir un couloir humanitaire entre Chypre et Gaza. Un corridor qui constituerait une route alternative supplémentaire à celle passant par l’Égypte.

Le plan Estia déclenché

Depuis le début de l’offensive armée entre Hamas et Israël, Chypre a activé son plan national spécial dénommé « Estia », qui a permis d’évacuer essentiellement les citoyens bloqués en Israël (environ 1200). Plusieurs pays (Autriche, Hongrie, Pologne, Allemagne) s’étant servis de Chypre comme de hub pour leur propre opération d’évacuation (lire : [Actu Blog] Attaques du Hamas sur Israël. Les pays européens évacuent leurs concitoyens (v7)).

Une coordination étroite avec 20 pays

Au centre de coordination des secours de Zenon (JRCC, Joint Rescue Coordination Centre), qui dépend du ministère de la Défense, une vingtaine de pays sont aujourd’hui présents pour assurer la liaison (dont des Suédois, Néerlandais, Britanniques, Canadiens et Français). Ainsi que des agents du mécanisme européen de protection civile. Enjeu : gérer au plus près les opérations afin de pouvoir faire un partage des places entre navires et avions. Sa localisation toute proche de l’aéroport de Larnaca facilite le travail.

L’alarme donnée

Le ministre chypriote des Affaires étrangères, A. Kombos, a sonné l’alerte, mardi dernier (24 octobre) lors du Conseil des Affaires européennes (CAG), « Le nombre de rapatriements pourrait augmenter considérablement ». Il a demandé « l’activation du Mécanisme européen de protection civile ». Demande qui (pour l’instant) n’a pas reçu de réponse positive. Le mécanisme n’est pas activé, a confirmé à B2 un porte-parole de la Commission.

Les moyens sur zone

Plusieurs pays ont déployé des moyens.

La France a envoyé son porte-hélicoptères amphibie (PHA ou BPC) Tonnerre (L-9014) sur zone. Un ordre donné par Emmanuel Macron, assez tardivement, mercredi 25 octobre. Le navire, qui a quitté Toulon immédiatement dans l’après-midi, était dans le détroit de Messine vendredi (27 octobre) et devrait sur zone dimanche (29 octobre), selon les prévisions de l’état-major des armées. Il vient rejoindre la frégate Surcouf (F-711), de type La Fayette, déjà présente et la frégate multi-missions FREMM Alsace (D-656) venue en renfort.

A bord du Tonnerre, une « capacité d’emport de matériel humanitaire » jusqu’à 1000 tonnes (NB : mais pas directement de fret), des hélicoptères pour assurer la liaison avec la terre et sans doute des forces spéciales (NB : point non confirmé… ni démenti par l’état-major). À bord également, une capacité hospitalière légère et modulable — plus de soixante lits dont quatre de réanimation, deux salles d’opération, radio et scanner, mais servie par une vingtaine de soignants (médecins, chirurgiens, infirmiers). Le minimum. Ce navire pourra rayonner dans sa zone d’opération « entre Chypre et les pays riverains de la région » indique le porte-parole de l’état-major des armées, sans en dire plus. NB : on doit comprendre le Liban essentiellement, mais ce pourrait être Israël et Gaza, si une porte de sortie s’ouvre.

Lire sur le Tonnerre : Le BPC un formidable “couteau suisse”

L’Allemagne a fait décoller deux avions A400M dans la nuit du 20 au 21 octobre. Avec à bord des militaires prêts à des opérations. Direction : la base aérienne de Akrotiri (sous contrôle britannique). Objectif : « accroître sa propre capacité de réponse » et « compléter le développement des capacités de leadership et de planification du groupe opérationnel pour une éventuelle option d’évacuation » comme le précise le commandement des opérations de la Bundeswehr. A bord des forces spéciales et parachutistes. En tout, 1000 militaires allemands seraient sur place.

>Le navire ravitailleur Frankfurt-am-Main (F-1412) — un des plus navires de la marine allemande doté d’un hopital de bord (iMERZ ou centre intégré de sauvetage des opérations maritimes) est déjà  à Limassol, rappelle notre collègue Thomas Wiegold de Augengeradeaus. La corvette Oldenburg (F-263) est sur zone. Tandis que la frégate Baden-Württemberg (F-125) est en route.

Les Pays-Bas ont déployé sur place deux avions de transport militaire C-130 et un avion civil affrété, qui ont décollé d’Eindhoven, le 18 octobre. A bord 200 fusiliers-marins et du personnel de soutien à Chypre « pour pouvoir réagir rapidement » le cas échéant, précise-t-on à La Haye. Les avions y resteront « aussi longtemps que nécessaire ». Une équipe d’appui consulaire rapide (SCOT) du ministère des Affaires étrangères est également sur place pour épauler l’ambassade, au cas où.

Le Canada a prépositionné sur place un avion C-17A Globemaster lll et plus de 300 militaires, « prêts à réagir » raconte le Globe Mail. Un avion qui a déjà fait une navette vendredi (27 octobre) entre Beyrouth et Chypre. Le Canada est particulièrement inquiet : il compte nombre de binationaux au Liban (17.000 s’étaient déjà enregistrés).

Le Royaume-Uni avait très tôt décidé de renforcer ses effectifs à Chypre, avec l’avantage de disposer sur place deux bases de souveraineté. Deux navires de débarquement auxiliaires de la Royal Navy – le RFA Lyme Bay  (L-3007) et RFA Argus (A-135) sont arrivés sur place entre le 20 et 21 octobre, avec trois hélicoptères Merlin et une compagnie des Royal Marines. Objectif : « dissuasion et réassurance » indiquait ainsi le gouvernement britannique dès le 13 octobre. « En attente pour fournir un soutien pratique à Israël et à ses partenaires dans la région. » Le HMS Duncan (D-37), un destroyer de type 45, se trouve également dans les parages, au titre des groupes permanents de l’OTAN (SNMG).

La Suède a également déployé jeudi (26 octobre) un avion Hercules C-130.

L’Italie a envoyé aussi un navire militaire à Chypre. « Il est nécessaire d’avoir un navire dans la région au cas où la crise s’aggraverait » indique le ministre italien de la Défense, G. Crossetto dans la Stampa .

(Nicolas Gros-Verheyde, avec Thomas Wiegold à Berlin pour la partie allemande)


Plus de 1000 nationaux européens à Gaza, au minimum !

Difficile d’avoir une idée précise. Ces informations sont distillées au compte-goutte. Selon nos sources, les Européens compterait plus d’un millier de ressortissants coincés à Gaza. Côté français, on estime en effet à 50 les binationaux sur place et 170 au total en comptant les différents personnels : humanitaire, institut culturel, etc. selon un diplomate du Quai d’Orsay (lors d’un briefing vendredi 27.10). 230 binationaux ou nationaux roumains sont recensés, a annoncé la ministre des Affaires étrangères, lundi (23 octobre) L. Odobescu (cf. Carnet 24.10.2023), 260 a précisé le premier ministre samedi (28 octobre). On peut ajouter 120 Belges, 30 Irlandais, 200 Britanniques (enregistrés par le Foreign office) et environ 200 Espagnols selon le consul honoraire sur place cité par la presse espagnole etc. Soit déjà 900 personnes. A cela il faut ajouter au moins 600 Américains (USA) selon la radio publique. Sans oublier les quelques binationaux otages du Hamas. En tout il y aurait près de 3000 binationaux coincés dans la bande de Gaza, assure le premier ministre roumain Marcel Ciolacu à plusieurs médias.


Mis à jour. Précisions sur le PHA Tonnerre et ses capacités, sur la date d’arrivée des navires britanniques + complément (Esp, USA, otages) sur l’évaluation sur les nationaux/binationaux à Gaza + liens manquants / Rajout de l’Italie + Autre évaluation rouamine

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

2 réflexions sur “[Actualité] Une vaste opération d’évacuation au Proche-Orient se prépare. Via Chypre (v2)

  • Pourquoi envoyer du personnel combattant vers Israel ?

  • François Rochon

    Informations concises et détaillées. Je n’avais vu cela nulle part ailleurs.

Commentaires fermés.