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[Editorial] Incapables d’assurer la défense antiaérienne de l’Ukraine. L’OTAN une puissance de l’impuissance ?

(B2) Le président ukrainien V. Zelensky et les Ukrainiens ont raison d’être en colère. La lenteur du soutien européen, et surtout allié, à fournir à l’Ukraine de quoi défendre son ciel est patente. Et inadmissible. Car cette demande est connue depuis le début de la guerre.

Un besoin connu, répertorié, financé

Depuis le début, la défense anti-aérienne a constitué, une demande des forces ukrainiennes. La flotte aérienne ukrainienne ayant été clouée rapidement au sol. Il s’agissait en effet de pouvoir protéger les villes, les civils, les infrastructures critiques des bombardements russes. Dès la fin février, les Ukrainiens dans la liste transmise aux alliés mentionne (avec les armes anti-chars) la défense anti-aérienne (code ML4 dans la nomenclature d’armes de l’UE). Elle est incluse, dès le début, dans la première mesure de soutien prise par l’Union européenne le 27 février, quatre jours après le début du conflit (lire : [Confidentiel] Les besoins en armes de l’Ukraine. La liste de courses remise à l’UE) (1).

Une demande répétée à de multiples reprises

Tous les officiels ukrainiens, président, ministres comme haut gradés à leurs interlocuteurs, dans toutes les enceintes, sur tous les tons le disent. « Vous savez de quel type de systèmes de défense nous avons besoin. (…) J’ai un rêve. J’ai un besoin. Je dois protéger nos cieux. J’ai besoin de votre aide » supplie, quasiment à genoux, le président ukrainien V. Zelensky devant le Congrès US le 16 mars 2022 ! Le fameux « des armes, des armes, des armes » de Dmytro Kuleba prononcé devant les ministres des Affaires étrangères de l’Alliance le 5 avril 2022, résonne encore dans toutes les têtes (lire : L’objectif de l’OTAN : réarmer les Ukrainiens ! dixit Stoltenberg).

Un plan B

Cette demande constitue fait le plan B de la défense ukrainienne. Kiev demandait à l’origine une zone d’exclusion aérienne au-dessus de son territoire. Mais l’OTAN ne veut pas être impliquée « directement ». Jens Stoltenberg, le dit clairement par les ministres des Affaires étrangères de l’Alliance le 5 mars 2022. Le soutien des Alliés restera donc cantonné à « intensifier le soutien » en équipements de l’Ukraine et à défendre les Alliés, « notre tâche principale ». (lire : Guerre en Ukraine. L’OTAN se limitera à défendre ses États membres. Pas de no fly zone. Mais des avions ?).

Des Alliés confortables dans leurs pantoufles

Or, aujourd’hui, plus deux ans après, les Alliés ont échoué à fournir les équipements nécessaires en nombre suffisant. Certes le territoire ukrainien est vaste, ses villes nombreuses. Mais une telle impréparation, un tel manque de suivi des engagements est difficile à comprendre et à justifier. Si les préventions pour fournir à Kiev des avions est assez logique — vu la dimension militaire et symbolique —, fournir des armes de défense anti-aérienne n’emporte pas la même question idéologique et stratégiques. Quoi de plus défensif et de moins co-belligérant en effet qu’un système de défense anti-aérienne…

Israël et Ukraine, deux poids deux mesures ?

Même si les situations ne sont pas tout à fait comparables, on ne peut s’empêcher de comparer l’attitude alliée avec celle que viennent d’assumer trois des principaux membres de l’OTAN (USA, Royaume-Uni, France) en réponse à l’attaque iraniennes lancée contre l’État hébreu le dernier week-end. Certes la configuration du terrain légèrement différente (les drones iraniens devant traverser ou frôlant des territoires où ces alliés ont des forces prépositionnées). Certes Israël n’est pas l’Ukraine, doté depuis longtemps d’un dôme de fer. Mais V. Zelensky n’a pas tort quand il s’interroge pourquoi la protection d’Israël est plus chère aux yeux des occidentaux que celle de l’Ukraine (2). Pourquoi les Alliés n’ont pas livré à Kiev de quoi réaliser son dôme de fer ? Pourquoi n’utilisent pas les armes de défense anti-aérienne prépositionnées autour de l’Ukraine pour prêter main force à la défense ukrainienne ?

Arrêter de causer et agir

Cette inaction appelle plusieurs séries de questions. Où sont les États qui proclament, tous les jours, vouloir « fournir un soutien militaire durable aussi longtemps qu’il faudra » ? (3) Pourquoi n’ont-ils pas fourni ces équipements ? À défaut, pourquoi n’ont-ils pas été capables de les commander en nombre aux industriels ? À quoi ont servi les 35 milliards de dollars d’augmentation des budgets de la défense des Alliés en 2023 ? (4) Que fait cette Alliance atlantique qui affirme avoir l‘expérience, au travers de son agence NSPA, « des procédures d’achat en commun », se vante de fixer des objectifs capacitaires, des normes », de disposer de plans de défense et d’objectifs capacitaires efficaces ? (5) Pourquoi a-t-il fallu attendre que Kiev demande formellement une réunion du Conseil OTAN-Ukraine pour convoquer celui-ci à cette fin ? (6) Etc.

Une OTAN Manneken Pis ?

Aujourd’hui, l’Union européenne, mais surtout l’Alliance atlantique — qui dispose de davantage de moyens en défense anti-aérienne — sont donc placées devant leurs propres contradictions. Soit ils avancent de façon décisive, audacieuse et déterminée en fournissant très rapidement (dans les jours et semaines qui suivent) les systèmes nécessaires à assurer la défense anti-aérienne à l’Ukraine (il en manque 25 selon V. Zelensky). Soit ils renoncent, continuent à s’occuper de petites choses » — comme habiller le Manneken-Pis à Bruxelles (7), faire des déclarations à l’emporte-pièces sur la nécessité d’avoir des troupes au sol en Ukraine ou faire quelques exercices de démonstration de force, bien tranquilles à l’abri de ses frontières, en pantoufles.

La puissance de l’impuissance

Si les Européens et Alliés ne sont pas capables, immédiatement, d’assurer le minimum (la protection des civils et infrastructures ukrainiennes), si l’engagement pris il y a deux ans par Jens Stoltenberg « de réarmer, de ravitailler les forces ukrainiennes » avec une « priorité aux […] systèmes de défense aérienne » (8) n’est pas tenu aujourd’hui, … ce serait non seulement une grave faillite morale et politique, mais un grave aveu d’impuissance. Et aux yeux du Kremlin, est un sacré aveu de faiblesse. Déjà mis à rude épreuve au Proche-Orient, l’Europe et les USA seraient alors en passe de devenir une puissance de l’impuissance.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Décision qui a une conséquence concrète. Tout pays qui fournit à Kiev un tel système d’armes a droit à un remboursement d’environ 40% du montant du système.
  2. Message quotidien à la nation de V. Zelensky le 16 avril 2024. Lire : [Actualité] Ukraine cherche désespérément Patriot et autres systèmes antiaériens. Une réunion de l’OTAN
  3. Cf. conclusions du Conseil européen du 30 juin 2023, formule classique reprise de sommet en sommet.
  4. Lire : année faste pour l’OTAN en 2023. Dépenses de défense en hausse).
  5. Propos du secrétaire général de l’OTAN, le 14 mars 2024, lors de la présentation de son rapport annuel.
  6. La réunion est (enfin) prévue ce vendredi (19 avril).
  7. Clin d’oeil au selfie de la directrice de la diplomatie publique, M. D. Besansenot, le 3 avril 2024, jour de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Alliance.
  8. Propos du secrétaire général de l’OTAN, lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Alliance, le 8 avril 2022.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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