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[Analyse] Les journalistes ne sont plus bienvenus au siège de l’OTAN ! (v2)

(B2) L’Alliance atlantique a décidé de jouer avec le feu en revoyant ses critères d’accréditation des journalistes. Et en prenant des décisions au déboté, accordant à l’un ou à l’autre, selon son bon vouloir et selon son humeur.

J’en ai été le témoin. Il y a quelques semaines je reçois la réponse à ma demande d’accréditation permanente à l’Alliance. Un mail standard d’habitude m’informe de la disponibilité de la carte. Cette fois-ci c’est Non. Refus. Motif avancé : je ne couvre pas régulièrement l’Alliance. Étonnant vu le nombre d’articles produits par B2 que je signe parfois, cosigne souvent et relit toujours. Étonnant aussi est le format du mail en anglais uniquement. Une contravention à tous les usages dans une Alliance officiellement bilingue.

Mail reçu

L’Alliance en mode bug

Aucune explication

Interloqué, je demande des explications. Une bête erreur peut-être. La tournure même du mail indique une sorte d’automatisme. Que nenni ! La même réponse survient, pas davantage justifiée ni argumentée. Je redemande au cas où. Le chef du service média de l’OTAN M. Sanders prend alors la plume, ânonnant le même message. Message sous-jacent : je n’assiste pas assez aux briefings du secrétaire général de l’Otan. « Mais vous êtes toujours bienvenus, il suffit de faire un Media Pass Day » lâche-t-il en fin de message. Joli mensonge en fait…

L’illusion du Media Pass Day

Le Media Pass Day est une procédure tout sauf pratique. D’une part, elle ne joue que pour les ministérielles. Il faut s’accréditer au préalable plusieurs jours avant. Impossible de le faire en dernière minute, malgré les dires de l’OTAN (1). Même si vous avez fait l’accréditation à l’avance, et que tout est en règle, l’accueil (géré par le service de sécurité) est d’une lenteur pharamineuse (2). C’est simple, à côté, même les « douanes » de Transnistrie, pourtant éduquées à la soviétique, sont plus rapides ! Enfin, en dehors des réunions, par exemple pour des briefings avant réunion ou rencontres informelles, il faut faire une demande spéciale et avoir un accompagnateur, etc. Et encore celui-ci devra montrer patte blanche sous l’œil soupçonneux du gardien de sécurité. Bref tout est fait pour rendre impossible aux journalistes de travailler tranquillement et rapidement.

Une surdité administrative

Derrière mon cas personnel, d’autres collègues se retrouvent dans des situations clownesques. Dans le meilleur des cas, leur demande est refusée. Parfois ils ne reçoivent aucune réponse à leur demande. Trois mois après le début de l’année ! Et, à chaque foisn on leur fait le coup du “Media pass day”. L’administration de l’OTAN est une bureaucratie lourde. C’est connu. Avec ses fonctionnaires en surnombre, bien payés, elle ne brille pas par sa productivité. Ce n’est pas nouveau. Mais, à ce point, Courteline est battu.

Le royaume de l’absurde

Lors de la dernière ministérielle, mon tweet puis ce post font remonter toute une série de dysfonctionnements. Plusieurs collègues ont ainsi dû attendre un long moment : 45 minutes environ avant de pouvoir entrer lors de la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères mercredi et jeudi. Un collègue italien arrive devant le siège de l’Alliance jeudi matin. Il se fait refouler. Tout le monde connait pourtant Lorenzo Consoli à Bruxelles, un journaliste réputé, sérieux, avec plusieurs années de compteur auprès de l’UE et l’OTAN, fouineur certes mais gentil comme une crème. L’Écossaise du service d’accréditation, butée, ne veut rien entendre, et refuse d’intervenir : « envoyez un mail, send an email ! ». Refusant de régler le cas.

Le journaliste, pas le cameraman !

Bis repetita l’après-midi avec une équipe de télévision d’un pays asiatique. Se présente : le journaliste et le cameraman. Ils travaillent pour une télévision asiatique. La journée est primordiale pour eux. L’OTAN a invité les pays de l’Indo-Pacifique pour parler coopération. « Nous sommes venus à l’Otan pour la conférence de presse du secrétaire général — me raconte-t-il, un rien dépité. Près d’une heure d’attente ! Et, finalement, on n’a distribué le badge qu’à l’un d’entre nous. Motif : mon collègue caméraman n’a pas reçu le mail de confirmation après son accréditation. Nous sommes deux pour faire le reportage télévisé. Sans le caméraman, on ne peux rien faire. Nous avons alors dû quitter le siège de l’Otan. »

Une OTAN sans tête, une bureaucratie qui règne

En fait, les responsables politiques, saisis, sont aux abonnés absents. Le porte-parolat, la secrétaire générale chargée de la diplomatie publique, etc. ont été informés. Ils n’ont pas bougé leur petit doigt, laissant faire… En réalité, les responsables de l’Alliance ont lâché la bride à leur administration et n’ont plus aucun pouvoir sur elle, qui erre comme une poule sans tête. Le secrétaire général, le Norvégien Jens Stoltenberg, tout affairé à parfaire son futur sommet de Wasshington, clou de sa carrière de dix ans, a totalement délaissé la gestion du secrétariat de l’Alliance. Et contrôler l’administration reste le cadet de leur souci. Laissant ce lourd souci au successeur : un nouveau secrétaire général est en passe d’être nommé (peut-être le Néerlandais Mark Rutte). Son seul objectif semble plutôt être de gonfler les effectifs. Un moyen aussi « d’acheter » la paix avec la plupart des (petits) pays membres.

Une sérieuse entaille à la réputation de l’Alliance

Pour une organisation qui affirme vouloir défendre « collectivement la liberté et la démocratie », ce cas de figure est pour le moins troublant, où l’administratif prime sur le politique, l’obscurantisme sur le droit.

Écouter religieusement ou travailler ?

Toutes ces règles sont autant d’entraves en fait au travail journalistique moderne. En effet, il n’est pas obligatoire pour un journaliste de couvrir la conférence de presse du secrétaire général de l’OTAN, ennuyeux à souhait. En pratique, pour un journaliste digne de ce nom, il vaut mieux aller dans le patio écouter un ministre faire une déclaration, croiser un diplomate, demander une explication technique à un expert, voire se rendre à un briefing de l’un ou de l’autre (si on est invité), qu’écouter religieusement la sainte prose de Stoltenberg retransmise sur internet (cf. encadré).

Une manière inquisitoriale de contrôler les journalistes

En refusant la délivrance des accréditations permanentes non seulement à moi mais à d’autres journalistes, l’Alliance se permet d’être inquisitoriale dans le travail des journalistes, de vérifier quelles sont leurs méthodes de travail. Or, pour reprendre l’expression d’une collègue : l’Alliance n’a pas à s’interposer dans la façon dont un journaliste organise son travail.

Une atteinte claire aux libertés

Ce qui est en jeu ici en effet n’est pas une bête question administrative, c’est une question fondamentale : les journalistes sont-ils bienvenus ou non à l’OTAN ? Leur permet-on de faire leur travail de façon honnête et objective ? Les journalistes sont-ils libres, de penser, d’écrire, de dire ce qu’ils veulent, ce qu’ils voient, en respectant les règles habituelles de déontologie journalistique ? Sont-ils autorisés à écouter toutes les voix à l’intérieur de l’Alliance, voix diverses qui ne disent pas toujours la même chose, tout simplement car chaque pays a son histoire et ses intérêts ? Ou sont-ils juste des machines bonnes à reproduire fidèlement les communiqués et propos officiels ? Sont-ils contrôlés, surveillés, écoutés tout le long de leur présence dans les bâtiments de l’Alliance (NB : on peut le supposer vu le contenu du mail) ? Si l’OTAN n’arrive pas à répondre à ces questions, inutile de mettre des millions d’euros dans la communication, elle verra ruinée un de ses fondamentaux : la liberté.

Une grave entorse à l’État de droit

Se pose une autre question : l’Alliance respecte-t-elle les principes de bonne gouvernance, d’État de droit ? La réponse est là aussi clairement Non. Dans tout État digne de ce nom, une décision qui porte préjudice doit être sérieusement motivée, étayée par des faits, faire l’objet d’une appréciation au regard d’une règle de droit, être authentifiée par une personne qui prend la décision. Et, au besoin, permettre un recours ou un réexamen. Aucune de ces règles, pourtant fondamentales, n’est respectée en l’espèce. Le secrétariat général de l’OTAN agit comme toute structure ou État autoritaire, sans rendre compte ni respecter la moindre règle de droit.

Une erreur stratégique

Au final, cette manière de faire, en ces temps de tension internationale ou de guerre, apparait surtout comme une énorme erreur stratégique. En laissant l’impression de faire le tri entre les “bons” journalistes et les autres, de considérer comme mineur le travail journalistique, elle sème le trouble et la confusion. On voudrait donner du crédit à ceux qui accusent l’OTAN d’être opaque ou anti-démocratique qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Priver les journalistes patentés de faire leur travail, au besoin critique, c’est donner libre cours à toutes les rumeurs, donner une prime en fait à la désinformation sur l’information. Cela pourrait laisser des traces durables que ne pourront effacer les millions de dollars consacrés à la communication. Une bêtise sans nom.

(Nicolas Gros-Verheyde)


Comment se déroule une conférence de Stoltenberg

La conférence de presse est très organisée, bien fléchée, bien réfléchie, bien contrôlée. La parole est rituellement attribuée à 1. un journaliste américain ou britannique, 2. un journaliste allemand, 3. un journaliste ukrainien (c’est logique), 4. un journaliste d’un pays proche (Géorgie, Balkans, Moldavie, etc.) — Histoire souvent de pouvoir justifier un propos supplémentaire du secrétaire général (1) — 5. un journaliste de l’Est européen. Et s’il reste du temps, on prendra un journaliste italien, espagnol, au besoin un Français… Mais vaiment s’il reste du temps.

Concrètement, si vous n’appartenez pas aux catégories Prime, il vaut mieux avoir prévenu que vouliez poser une question, que vous la posiez en anglais (n’essayez pas le Français, le secrétaire général ne le parle pas, et il ne faut pas l’embêter). Les journalistes français ont peu à peu déserté l’exercice d’ailleurs…

Un exercice bien calibré, prévu d’avance, où il n’y a aucune spontanéité ni imprévu. Mécanique avec ses mouvements de balanciers de mains, une fois à droite, une fois à gauche, Jens Stoltenberg répète doctement son message, inversant parfois les phrases pour donner l’impression qu’il dit quelque chose de nouveau. Mais rien de plus que ce qui a été préparé d’avance. Tout est rediffusé en live. Et un script fourni très rapidement (en anglais au moins).

Une fois la conférence de presse finie, il ne reste d’ailleurs pas pour papoter deux ou trois minutes hors micro. Ce qui était davantage le cas de son prédecesseur, le Danois A.F. Rasmussen, qui avait d’autres défauts. Le Norvégien n’est pas très à l’aise en fait face à la presse.

(1) Ceux-ci ont une place surdimensionnée lors du jeu de questions-réponses.


  1. Lors d’une rencontre, où nous étions cependant “chaperonnés” par un diplomate, pour faire passer 7 journalistes, il a fallu plus de 40 minutes au service de sécurité pour faire les badges.
  2. Cette organisation est la conséquence des nouveaux locaux modernes : l’entrée est située très loin (à plusieurs centaines de mètres des bureaux). Dans l’ancien bâtiment, en préfabriqué, un attaché de presse venait là en permanence (lors des ministérielles) ou n’était pas loin (hors des ministérielles). Il facilitait le travail du parfait inconnu débarquant à l’Alliance, un peu perdu, comme du plus expérimenté qui a “oublié son badge”. Reconnaissant les uns et les autres, ce système avait le mérite de la simplicité et de la convivialité. Efficace aussi car l’officier de presse en profitait pour faire passer un message.

Mis à jour avec les autres cas qui remontent tous plus absurdes les uns que les autres. Passage du papier en Actualité (au lieu de Editorial)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

4 réflexions sur “[Analyse] Les journalistes ne sont plus bienvenus au siège de l’OTAN ! (v2)

  • C’est aussi notre cas. L’après-midi le 4 avril, nous sommes venus à l’Otan pour la conférence de presse du SEG, près une attente d’une heure, on n’a distribué que le badge à l’un d’entre nous deux en raison que mon collègue caméraman n’a pas reçu le mail de confirmation après son accréditation. Nous sommes deux pour faire le reportage télévisé. Sans le caméraman, on ne peux rien faire. Alors on n’a dû quitter le siège de l’Otan. Triste !

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  • Nicolas,
    Entièrement en soutien de ta colère justifiée. A l’heure où des journalistes qualifiés et compétents sur les problématiques complexe de l’UE et de l’OTAN (voire des deux), en particulier dans le domaine de la Défense, se passer des services et des contacts avec des professionnels de ton calibre me semble lunaire.
    Il me semble que ça n’évolue pas dans le bon sens.
    Amitiés et soutien.

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