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[Reportage] Pour la fête de l’indépendance, les deux Géorgie se jaugent

(B2 à Tbilissi) Ce dimanche, 27 mai, c’était jour de la fête de l’indépendance. À Tbilissi, discours officiels, parade militaire, fête populaire et manifestations ont rythmé cette journée. Comme la rencontre de deux Géorgie, l’une ouverte sur l’Occident, l’autre plus attachée à ses traditions. Parfois les deux en même temps.

Sur la place de la Liberté, le ban et l’arrière ban du gouvernement étaient convoqués pour une longue série de discours, venant des deux principaux protagonistes du pouvoir : la présidente de la République et le gouvernement tenu par le Rêve Géorgien, qui tous deux s’opposent sur un sujet fondamental, l’Europe.

Vivre dans l’Europe

« Personne ne peut forcer la Géorgie d’aujourd’hui à vivre à nouveau avec les croyances, les dogmes et les entraves des autres, […] personne ne pourra jamais ramener la Géorgie vers le passé » a déclaré la présidente géorgienne, Salome Zurabishvili. La première « pierre angulaire de la solution », selon elle, est de sauver l’avenir européen de la Géorgie. « L’Union européenne, dans son essence et son idée, est créée pour la paix. Il n’y a pas de « parti de la guerre » en Europe », a-t-elle ajouté, faisant allusion à la propagande gouvernementale (lire aussi : [Confidentiel] La tension monte d’un cran entre Tbilissi et Bruxelles). « Aucune guerre n’a été déclenchée par l’Europe depuis sa fondation. Le véritable parti de la guerre est le seul et unique parti que nous voyons aujourd’hui dans nos territoires occupés : l’impérialisme russe. » NB : selon les propos traduit en anglais par les journalistes de Civil.ge.

Ou la tradition

Pour le Premier ministre Irakli Kobakhidze, la réalité est toute autre, plus traditionnelle. « La Géorgie s’est engagée sur ce qu’on appelle le « Chemin de Moïse », qui [la] mènera sûrement à la « Terre promise ». Une « Géorgie unie et forte avec ses frères et sœurs abkhazes et ossètes d’ici 2030, lorsque la Géorgie deviendra un membre à part entière de la famille européenne. […] Une Géorgie unie et forte, qui prendra la place qui lui revient dans la famille européenne commune avec souveraineté, dignité et valeurs. » Cette souveraineté a connu « des atteintes nombreuses, notamment ces quatre dernières années, pour la miner ».

Une parade limitée

Des discours clôturés par des chants traditionnels, l’hymne national et une parade militaire. Parade quelque peu limitée, à l’image de la limite des forces de défense géorgiennes. Quelques centaines d’hommes de l’infanterie et de la garde nationale, restés stoïques durant plus d’une heure, ont défilé devant la tribune officielle, ont fait à moitié le tour de la place, avant de se disperser. En l’air, une dizaine d’hélicoptères portant le drapeau géorgien suivis d’avions — les L39 donnés par les Tchèques — ont fermé la marche. La cérémonie officielle terminée, pouvait commencer la fête populaire.

Les activistes tenus à l’œil

Durant toute la cérémonie, la surveillance était au maximum afin que les étudiants et autres manifestants, tentés de venir troubler le bon déroulement du cérémonial, se tiennent cois. Outre les policiers en uniforme, on trouvait par groupes de trois ou quatre, tous les vingt mètres environ, des policiers en civil surveillant la population, prêts à intervenir le cas échéant. Assez reconnaissables, par leur air complètement détachés à l’égard de la cérémonie qui se déroulait, mais au contraire très attentifs à tout mouvement dans la foule. Une jeune activiste un peu trop bruyante s’est ainsi faite rapidement expulsée et amenée à l’écart par des policiers. Les quelques sifflets des opposants ne sont pas arrivées jusqu’à la tribune, hors de portée de la foule. Également couverts par la sono, puissante, mise en œuvre.

Expulsion d’une jeune activiste de la foule (© NGV / B2)

Quelques moments d’humour

Les tensions n’ont pas empêché quelques rires ou des joies. Telle cette patrouille de policiers se voulant discrets avec leur chien qui se sont faits prendre à partie par… un chien errant (nombreux à Tbilissi) aboyant et les forçant à accélérer le pas. Non sans quelques éclats de rires et applaudissement des jeunes présents sur place. Ou sitôt la cérémonie terminée, cette déclaration de mariage d’un jeune militaire qui a fait monter sa promise sur son véhicule blindé, un gros bouquet de roses rouges à la main, pour lui déclarer sa flamme. Sous les applaudissements de ses amis, sa famille et des anonymes. Applaudissements plus nourris que pour les discours officiels, écoutés patiemment, mais sans émotion réelle. Si ce n’est la claque des Jeunes du Rêve géorgien, le parti au pouvoir, qui ont rythmé certains des points du discours de leurs applaudissements, bien déclenchés sur commande, ou ont sifflé la présidente.

Les deux Géorgie

Sitôt la cérémonie terminée, s’est ouvert sur l’avenue Rustavelli, une fête plus populaire avec des stands divers et variés : barbes à papa, concours de bras de fer, bières, drapeaux, jeux pour enfants… Tout était réuni pour une fête populaire. Deux sonos puissantes installées face au Parlement géorgien ont transformé la rue en un petit dance floor, où quelques jeunes ados ou les moins jeunes se sont donnés à cœur joie. Un peu plus loin, sur l’avenue Chevarnadze, au Vake Park se rassemblent des milliers de manifestants, beaucoup de jeunes encore, pour une nouvelle marche contre la position du gouvernement sur la loi de transparence, jusqu’à la place de la Liberté, lieu de croisement de toutes les Géorgie.

Une opposition réunie et un gouvernement technique

La présidente Zourabichvili a demandé aux partis d’opposition de se réunir et signer une « Charte géorgienne », s’engageant à soutenir ses nominations pour un nouveau gouvernement technique après les élections en octobre. Objectif : faire tomber le gouvernement du Rêve géorgien et mener des réformes pro-européennes. Un vrai pari. La révolution géorgienne n’est pas terminée.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : [Analyse] Pourquoi le gouvernement géorgien prend le large de l’Europe ?

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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