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[Analyse] Emmanuel Macron sème le blues à Bruxelles. L’influence française affaiblie

(B2) Oubliés le discours de la Sorbonne, les cérémonies du 6 juin, les grands et beaux discours, le président français apparait aujourd’hui largement affaibli. Non seulement en France, mais aussi dans les couloirs européens. En cause, sa propre décision de dissoudre l’Assemblée nationale.

Une décision incompréhensible…

Quand il arrivera à la réunion des leaders au G7 dans les Pouilles, le 13 juin, puis au Conseil européen, le 17 juin, l’accueil que recevra Emmanuel Macron ne sera sûrement plus le même qu’avant le 9 juin. La France restant la France, il sera reçu avec élégance. Mais pour l’influence, c’est autre chose. Le président français aura fort à faire pour convaincre de la pertinence de son choix de dissoudre l’Assemblée nationale. Décision jugée inconséquente pour l’équilibre européen et surtout incompréhensible !

… que rien ne justifiait

Le résultat de la liste Renaissance (14%) est certes très mauvais : deux fois moins que le Rassemblement national et à quasi-égalité avec la liste du PS (envoyant le même nombre de députés au Parlement européen : 13 élus). Mais ce résultat était attendu et, d’une certaine manière, anticipé. Ce n’est pas la première fois qu’un parti de gouvernement boit la tasse dans un vote européen (élection ou référendum). Cela n’a jamais entraîné une telle crise politique. D’autant que les centristes français gardent un poids notable dans leur groupe (la première délégation) et comptent nombre de personnalités bien au fait des dossiers (N. Loiseau, P. Canfin, C. Grudler, etc.) qui permettront de compenser un effectif plus faible.

… transformée en crise politique majeure

En dissolvant l’Assemblée nationale, le président se tire une balle dans le pied. Il ouvre une période d’incertitude. Ce que la plupart des Européens détestent. Nul ne sait si la France sera gouvernable demain, quel sera le profil de la future assemblée, et donc du futur gouvernement. Ou plutôt chacun pressent que cette assemblée pourrait très bien être bleue foncée à l’image du Rassemblement national. Jamais le parti d’extrême-droite n’ayant été aussi proche du pouvoir. Nul ne peut prédire ce que sera l’avenir après le 7 juillet. Macron jouera-t-il le jeu de la cohabitation ou préférera-t-il remettre en jeu son mandat de président ? et démissionner ?

Une faiblesse européenne

De manière quasi-automatique, le poids de la France va être réduit. A la fois pour des raisons psychologiques et politiques. Comment faire confiance à un président qui pourrait ne plus être en position de décider le lendemain, qui est démonétisé en quelque sorte. D’autant qu’Emmanuel Macron a commis une erreur politique notable. Trop confiant dans son aura, il a mené une campagne quasi-publique contre le renouvellement de Ursula von der Leyen, par presse interposée ou via le commissaire européen (1). Or l’Allemande — dont le parti, le PPE, a gagné quelques sièges — est bien partie aujourd’hui pour trouver les voix nécessaires au Parlement européen à sa reconduction. Et aucun candidat alternatif ne se présente vraiment.

Malheur au vaincu

Cramé, Thierry Breton va pouvoir faire ses valises (2). Un nouveau nom devra être proposé par Paris : un homme ou une femme (3). Mais quelle que soit la personnalité, au sein du futur exécutif européen, la France ne sera pas assurée de récupérer un portfolio aussi majeur (marché intérieur, électronique, défense et services) que celui détenu depuis 2019. Il va falloir choisir de façon subtile le bon secteur. D’autres pays, tels l’Italie ou la Pologne notamment, sont à la recherche d’une place plus importante.

Double solitude à Bruxelles

Cette bataille perdue se double d’un certain isolement au Conseil européen. Le Français avait déjà perdu la compagnie de son ami  luxembourgeois Xavier Bettel, il va perdre celles du Néerlandais Mark Rutte comme du Belge Alexander De Croo, sévèrement étrillé lors des élections belges et qui a présenté sa démission au Roi. Les « trois mousquetaires » libéraux sortis, la majorité au Conseil européen bascule au profit des conservateurs ou souverainistes devenus, après les démocrates-chrétiens, le second groupe en importance (lire : [Fiche-Mémo] Un Conseil européen à droite toute).

Un suicide politique ?

Autant dire que, dans un panorama déjà compliqué, l’annonce de la dissolution — qui apparait surtout guidée par une blessure d’amour-propre mal digérée — s’apparente à une faute, qui pourrait affaiblir durablement la position française. Effacées les belles propositions du discours de la Sorbonne et autres déclarations des cérémonies du débarquement aux côtés de l’Américain Joe Biden ou de l’Ukrainien Volodymyr Zelensky. Ce véritable coup de poker, sauf réussite peu évidente, pourrait apparaitre alors comme un véritable suicide politique.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Jamais en retard d’adresser une pique, par média interposé à la présidente de la Commission, Thierry Breton l’avait ouvertement critiqué, en mars dernier, sur twitter : « Est-il possible de (re)confier la gestion de l’Europe au PPE pour 5 ans de plus, soit 25 ans d’affilée? (quand) le PPE lui-même ne semble pas croire en sa candidate ». La presse a aussi été mobilisée par l’Élysée pour indiquer combien il serait difficile à l’Allemande d’avoir une majorité au Parlement ou imposer une alternative type Mario Draghi.
  2. On voit mal en effet von der Leyen s’accommoder, à nouveau, durant cinq ans, de cette compagnie.
  3. Par Emmanuel Macron ou encore avec le nouveau gouvernement issu des urnes.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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