[Billet] Soutien militaire à l’Ukraine. Une sacrée claque pour Kaja Kallas
(B2) Le Conseil européen a refusé de valider l'initiative de Kaja Kallas sur le soutien militaire à l'Ukraine. Une première depuis février 2022 et le déclenchement de la guerre. Une sacrée déconvenue pour la Haute représentante. C'est un peu le nageur qui annonce un double salto du grand plongeur et fait un gros plat dans l'eau.
En octobre 2023, le Conseil européen avait aussi refusé de franchir le pas. Mais on était dans un autre contexte, de discussion plus générale de révision du cadre budgétaire de l'UE. Et la Hongrie était en embuscade (lire : [Décryptage] Une facilité militaire à 20 milliards pour l’Ukraine. C’est compliqué !) D'ordinaire, il demandait plutôt d'avancer plus vite. Un signe clair d'un changement au sein des Leaders. Mais aussi d'une erreur politique de la cheffe de la diplomatie européenne qui semble avoir mésestimé les difficultés et oublié l'histoire. Car, depuis quelques mois entre les ministres l'ambiance n'était plus au beau fixe (Lire : [Actualité] Des 27 décidés à aider l’Ukraine, mais un peu désarmés. La fatigue de la guerre joue).
1. Le sujet est majeur
Il concerne le soutien militaire à l'Ukraine. Dans un contexte géopolitique mouvant : l'effet Trump, les négociations « de paix » avec la Russie, les combats qui continuent sur le terrain, et les stocks qui s'épuisent.
2. Le problème est connu
Le canal traditionnel de l'aide européenne, via la facilité européenne pour la paix, est bloqué par la Hongrie. Depuis mai 2023 ! (lire : [Actualité] La 8e tranche de la facilité pour la paix pour l’Ukraine bloquée par Budapest. Pourquoi ? Quelle porte de sortie ?). Plusieurs tentatives ont été faites pour convaincre Budapest de laisser passer l'aide (sans s'y opposer) ou contourner ce veto. Sans succès. (lire : [Confidentiel] Pas un forint pour l’Ukraine. La nouvelle proposition mise sur la table par le SEAE).
3. Un plan ambitieux
Kaja Kallas a présenté un plan prévoyant jusqu'à 40 milliards d'euros pour les 27. Ce, sur une base volontaire. Incluant non seulement les financements et les dons en nature. Plutôt intelligent a priori. (Lire : [Décryptage] Le plan Kallas de soutien à l’Ukraine présenté aux 27. Objectif : livrer 2 milliards de munitions rapidement).
4. La claque
Le Conseil européen n'a pourtant pas validé ce plan. Ni le montant ni la méthode. Juste le principe. Il fait mention de l'initiative par un simple mot : "recall" (rappelle). Les formules habituelles (se félicite, welcome,...) ne sont pas là. Un signe. La seule chose validée est la coordination de l'approvisionnement en munitions. En gros, ce qui a déjà été fait sur une initiative tchèque. Et encore du bout des lèvres : pas de mandat donné à la Haute représentante d'y travailler, ni une injonction aux Etats d'y participer.
5. Une grosse opposition
Cet échec ne peut être imputé au Hongrois V. Orban. Les conclusions ont été adoptées à 26 (sans la Hongrie). L'opposition vient de plusieurs pays et des gros (Italie, Espagne, France voire Allemagne + Grèce, Belgique, etc.). Ceux qui paient !
6. Trois raisons peuvent être avancées
— La méthode Kallas : l'Estonienne aime beaucoup de bruit et de com'. Le chiffre est sur-gonflé (20 à 40 milliards) par rapport aux moyens des États. Considérer qu'il y a accord car les Baltes, Polonais, Tchèques poussent cette mesure est une grossière erreur de jugement politique.
— Le budget. Les États ont, chacun, engager un effort notable pour soutenir l'Ukraine, de façon bilatérale + européenne (via la facilité européenne pour la paix) : contribution non négligeable (+ de 10 milliards pour les 3 grands France, Allemagne, Italie).
— l'UE vient d'octroyer un méga prêt de 20 milliards à l'Ukraine qui peut en disposer pour le militaire. Contrairement aux USA, qui l'ont réservé au civil, les Européens (UE, UK et Canada) autorisent l'emploi d'une bonne partie de la somme pour le militaire. L'argent n'est donc plus un problème aujourd'hui.
7. Un péché d'orgueil
Kaja Kallas a oublié qu'elle n'est plus Première ministre d'Estonie, mais Haute représentante des 27, devant prendre en compte les intérêts et difficultés de tous les États. Et que faire trop de bruit n'est jamais bon au niveau européen. Il est vrai que le job de Haut/e représentant/e de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (le/la HRVP dans le jargon européen) n'est pas facile. Si elle en fait trop, elle est critiquée, si elle n'en fait pas assez, elle est vilipendée. Un Haut représentant de l'UE n'est en effet pas un chef, mais un représentant, comme me le confiait un vieux de la vieille, conscient des difficultés du job. Il se doit de faciliter les accords et non pas d'obliger les pays à briser l'unité. Il se doit de rechercher le plus haut niveau d'ambition possible, en préservant les intérêts des uns et des autres, souvent contradictoires. Il peut être audacieux, mais à condition d'avoir la complicité des grands ou d'une nette majorité. Ce n'était pas le cas en l'espèce.
8. Pas une surprise
Personnellement j'ai toujours été assez sceptique, à l'inverse d'une partie de la presse européenne très (trop) enthousiaste. Le profil de l'Estonienne — qui arrivait à un poste alors que se profilait une nouvelle attitude européenne vis-à-vis de la Russie — n'était pas fait pour faciliter l'accord (lire : [Analyse] Kaja Kallas est-elle la bonne personne à la bonne place pour l’Europe en 2025 ?). La composition de son cabinet, aussi, n'a pas aidé (lire : [Exclusif] Les principaux noms du cabinet et de l’équipe Kallas (v5). Et, elle-même, durant ces cent premiers jours, n'a pas réussi à imposer sa marque, et se dégager de ses préjugés nombreux, préférant rester dans sa "zone de confort", en pantoufles en quelques sortes (lire : [Analyse] Mais où est passée Kaja Kallas ?).
(Nicolas Gros-Verheyde)
Lire aussi :
- [Actualité] Nouveau style, mêmes blocages. Les premiers pas de Kaja Kallas au Conseil des Affaires étrangères
- [Actualité] Pas d’armée européenne, mais 27 armées capables de défendre l’Europe. Tel est le vœu de Kaja Kallas
- [Verbatim] Audition. Kallas passe l’examen haut la main. La Russie en ligne de mire, floue sur le reste