[Billet] La force qui fait pschitt ?
(B2) Plus les sommets passent, plus la force annoncée et voulue par le président français, Emmanuel Macron, se dégonfle.
Il serait d'ailleurs plus juste et exact de parler d'un « dispositif » de réassurance ou une « présence » de soutien que d'une force. (lire : [Actualité] Une simili force européenne en Ukraine, loin de la ligne de feu ?
1. Cette "force" sera une force d'arrière
Cette force n'est pas tout à fait définie. Mais on sait déjà ce qu'elle ne sera pas. Ni « des forces de maintien de la paix, (ni) des forces présentes sur la ligne de contact, (ni) des forces qui se substituent aux armées ukrainiennes » ni un substitut à l'OTAN. Et on connait deux éléments plus positifs : elle sera présente « dans certains endroits stratégiques pré-identifiés avec les Ukrainiens qui signeraient un soutien dans la durée », sur un « mode opératoire qui peut parfois ressembler à ce qui est fait) dans certains pays » de l'OTAN, comme l'a expliqué le président français à l'issue du sommet de Paris jeudi 27 mars (Lire : [Actualité] Sommet de Paris. Les 30 cherchent des garanties de sécurité pour l’Ukraine).
2. Son cadre juridique reste non défini
L'invitation de l'Ukraine suffit, soulignent les spécialistes français consultés. Pour la France oui. Pour les autres pays, cela parait insuffisant. Le mot "coalition des volontaires" au Royaume-Uni pourrait être un chiffon rouge (cf. la coalition des volontaires en Irak).
3. Une participation qui se raréfie
En fait de participation des Etats membres, il n'y d'ailleurs aucune « unanimité ». Ni même une majorité a priori. Emmanuel Macron a dû le reconnaitre : il n'y a pour l'instant que « quelques États » volontaires. On est bien loin de la quinzaine évoquée dans les coulisses des rencontres des chefs d'état-major à Paris le 11 mars.
4. Une présence plutôt qu'une force
De fait, on est dans un dispositif de présence avancée assez semblable à celui existant dans les pays européens de l'Est de l'Alliance. Avec une dimension supplémentaire. Si la présence avancée ressemble au "désert des Tartares", là les risques sont concrets et réels.
5. Un risque double selon moi
Premièrement, il faut tenir sur une durée qui devrait être longue : plusieurs années, voire des dizaines d'années. Toute diminution du dispositif, dans cet interlude, pourrait être perçu comme une faiblesse par les Russes et un encouragement à ré-attaquer.
6. L'efficacité de dissuasion me parait limitée
Que fera cette force de dissuasion, à l'arrière, le jour où les Russes ou des proxys passeront à l'action ? C'est la question principale. L'expérience des années 2015 à 2021 le prouve : entre des observateurs de l'OSCE soumis à maintes intimidations (cf. coupure des signaux des drones) et des Ukrainiens en proie à des incursions ou sabotages, les forces russes, directement ou par proxies interposés n'ont pas manqué de grignoter la ligne de cessez-le-feu.
7. La position russe
Enfin, comment ne pas penser que le Kremlin ne fera pas une pré-condition à un accord de cessez-le-feu (voire d'accord de paix) du non-déploiement d'une force (1). Reporter un tel dispositif après le cessez-le-feu et le traité de paix semble donc une illusion. Si on veut qu'il soit dissuasif, le déploiement immédiat, de façon graduelle, sur certains points du territoire ukrainien sous contrôle de Kiev (hors de la zone de combat, par exemple à Odessa ou Kiev, s'impose.
Ne pas oublier la Moldavie
Ce petit pays frontalier de la Roumanie et de l'Ukraine ne doit pas être oublié. Non seulement car y stationne en Transnistrie une force russe stationnée depuis le début des années 1990. Mais aussi car le pays est fragile. Si une force doit être déployée d'urgence, c'est dans ce pays-là. Cela ne nécessite pas d'énormes moyens. Et cela peut être réellement une force de dissuasion
(Nicolas Gros-Verheyde)
- surtout sur une initiative franco-britannique qui résonne à Moscou comme le symbole de l'intervention en Libye en 2011