[Détour] Le musée de la Sigurimi à Tirana
(B2) C'est un pan un peu oublié de l'histoire européenne. La féroce répression qui a régné dans l'Albanie d'Enver Hoxha.
Il faut visiter à Tirana le musée qui lui est consacrée, installé dans la House of Leaves (la maison des feuilles), dans le centre de la ville, face à l'église orthodoxe. Un musée qui a abrité une partie des services (notamment d'écoutes) et s'ouvre sur cette citation de Faulkner : « Le passé n'est jamais mort, il n'est même pas passé ».

Un régime paranoïaque
Longtemps fermée au monde, l'Albanie d'Enver Hoxha (Hodja en phonétique) a exercé un pouvoir sur les hommes et les femmes, les consciences, les âmes, détectant des ennemis partout, à l'intérieur, à l'extérieur, les « agents de l'étranger », les « agents du régime titiste » (la Yougoslavie voisine était honnie) mais aussi ceux qui n'étaient plus en odeur de sainteté au sein même du régime, les « déviants », les concurrents, ceux qui s'obstinaient à cultiver un lopin de terre privé, les croyants, ou tout simplement ceux qui s'acharnaient à ne penser dans la ligne du moment, et l'exprimaient.

Une surveillance tout azimut
Le pouvoir et les moyens de la direction de la sûreté de l’État (Drejtoria e Sigurimit të Shtetit), Sigurimi pour les intimes, étaient importants. Même dans la vie privée. On considérait que le seul lieu de liberté était « les toilettes ». Et encore !

Cette direction avait plusieurs fonctions : du renseignement politique ou de la surveillance des organisations contre-révolutionnaires à la propagande, en passant par la défense de l'économie socialiste, la sécurité des responsables politiques (et leur surveillance), la censure, la surveillance des frontières ou... les actions spéciales.

Des moyens importants
Environ 15000 personnes contribuaient à la Sigurimi : entre 1000 et 1400 Agjenti (agents), un nombre équivalent de Rezidenti (résidents), chargés de coordonner des informateurs, 11000 Informatori (informateurs), et 2000 Sstehuesi (accueillants) qui mettaient à disposition leur habitation des agents.

Une répression féroce
En 45 ans, environ 18000 personnes ont été emprisonnées pour des raisons politiques — dont 1000 mourront en prison, et 400 perdront la raison du fait de la torture —, plus de 20.000 familles ont été internées — au moins 7000 mourront en internement, plus de 6000 personnes ont été exécutées après un procès ou sans procès, pour des raisons politiques.


Les femmes n’étant pas épargnées (8000 emprisonnées pour raisons politiques, 450 exécutées). Le tout à ramener sur une population limitée : l'Albanie c'est entre 1 à 3 millions entre 1945 à 1990.
(Nicolas Gros-Verheyde, à Tirana)