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Témoignage du pilote Belge de l’opération Arche de Zoé / Children Rescue au Tchad

(BRUXELLES2, exclusif) Rapatrié dans un Embraer de l’armée belge, samedi 10 novembre, Jacques Wilmart, le pilote du petit avion qui a travaillé avec Children Rescue/ Arche de Zoé (association française qui s’est fait connaître lors du Tsunami) a bien voulu m’entretenir (au téléphone) de longues minutes, depuis son lit d’hôpital, mardi dernier.

C’est au « Check-in pilots bar », un petit bar de Waterloo, dans la banlieue de Bruxelles, que tout a commencé, raconte-t-il. Le patron du bar le met en contact avec un jeune pilote qui doit remonter d’Ogades vers N’Djamena un petit avion, un Cherokee six Piper PA-32 pour Children Rescue, une ONG qui en a besoin pour ses opérations « d’évacuation sanitaire ».

L’homme n’hésite pas beaucoup. Depuis sa retraite en 1993 de la Sabena, la compagnie nationale belge — il a été notamment le président de l’association des pilotes du temps où Pierre Godfroid était son PDG —, a volé tout azimut, d’abord en Asie sur des avions passagers, puis dans le fret cargo, enfin pour des ONGs en Afrique. « Regarder le ciel d’en bas m’est pénible », même à 74 ans dit-il. Et le projet de venir en aide à des enfants du Darfour le motive. Mais, pour lui, c’est Children Rescue qui l’appelle, pas l’Arche de Zoé ; ce n’est qu’au dernier moment qu’il a eu connaissance de ce nom.

Au Tchad, il commence par attendre.

« Je poireaute à N’Djamena trois jours pour atteindre l’autorisation de circuler. Et ce n’est que le 6 octobre, que je décolle, enfin, avec à bord trois pompiers d’Argenteuil. On a un problème technique. L’huile fait monter trop la pression. Je reviens sur N’Djamena. Et finalement on ne redécolle que le lendemain, le 7 octobre ». Direction Abéché. Là, il « découvre l’antenne médicale de Children Rescue, des gosses sous perfusion, choyés, nourris, réapprenant à rire et jouer ». Sa mission : conduire le petit Piper pour aller récupérer les enfants dans les confins du territoire tchadien, à la limite du Soudan. Toutes ces pistes de brousse étaient en limite soudanaise, sur territoire tchadien, très près des zones rebelles. Un jour près de la zone rebelle, on n’a pas pu atterrir car la piste était sous les tirs de mortiers. Mais on “n’a jamais franchi la frontière” assure-t-il. L’opération « se fait au grand jour ».

Les Tchadiens étaient au courant de tous les déplacements.

« Chaque jour, je remplissais un plan de vol, avalisé par le contrôle aérien de l’aéroport d’Abéché, précisant le nombre de personnes à bord et le manifeste (les noms des passagers) ». Il dénie aussi qu’il puisse y avoir eu le même rapt d’enfants, ayant été « témoin à plusieurs reprises, notamment à Biltin, de la façon dont s’y prenait Emilie Lelouch (la compagne d’Eric Breteau, qui dirigeait toute l’opération), demandant, aux chefs de village et aux traducteurs s’ils étaient bien orphelins ». De toute façon, l’opération se faisait au grand jour. « Eric Breteau m’a dit de porter l’uniforme pompier parisien (NB : Eric Breteau est pompier volontaire à Argenteuil, en région parisienne), avec Children Rescue marqué derrière nous. Car je ne veux pas donner l’impression d’une secte secrète, m’a-t-il expliqué. On se baladait, partout avec des tee-shirt siglés « Children Rescue », des stickers sur l’avion, sur les 4X4. ».

L’affaire commence, en fait, vraiment à déraper le 21 octobre.

« On était à Adré. Les 4X4 sont arrivés sur les chapeaux de roues. “On a été arrêté par la police puis relâchés” m’ont-ils dit, met le moteur en marche, et on repart ». A Abéché le soir, conciliabule au camp. C’est là que Wilmart découvre une autre partie de l’opération, l’évacuation des enfants vers la France, l’Arche de Zoé et les familles d’accueil.

Le retour s’improvise. Le 23, Eric me dit : « Ecoute, on met fin à la mission. Je n’ai plus besoin de toi comme pilote de brousse. Vas à N’djamena. Tu montes le plan de vol. Et tu reviens à Chartres (avec le Piper). (…) On avance l’évacuation des enfants au 25. « Il vaut mieux en sauver 103 que 200 ». Il m’a dit : « On les a arrachés du Darfour. On a des familles d’accueil en France. Ils vont les accueillir pendant la guerre au Darfour ».

NB : Coïncidence, les généraux irlandais Nash et français Ganascia, commandant la future opération européenne militaire de maintien de la paix, Eufor Tchad RCA, commencent le 21 à N’Djamena une visite qui durera jusqu’au 24 en passant par Abêché, Goz Beïda et Iriba, avant la République centrafricaine

Le plan de vol du retour.

Au Novotel à N’Djamena, « le 24, j’apprends au dernier moment l’arrivée de l’avion loué, un avion d’équipage espagnol, immatriculé islandais. L’immatriculation ne correspondait pas. Suite à un problème technique, l’avion d’origine ne pouvait venir. Ils n’ont pas réintroduit de demande, c’est courant” dans le milieu aérien. (…) J’ai personnellement assisté à l’élaboration du plan de vol (du Boeing), la veille du départ. Il était mentionné : Nombre personnes à bord = 7 (commandant bord, l’équipage), remarques : OPS Children Rescue, EVASAN. Nombre de personnes à bord : 119. Destination : Vatry. » Pour les noms des enfants, « c’est à Abéché, que le chef de mission avait établi le manifeste avec tous les noms des enfants ». (…)

Trois jours à attendre … d’être arrêtés.

« On va faire le plein (pour le petit avion). On devait partir pour Agadès. Je découvre alors qu’ils (Eric Breteau et les autres de l’Arche) sont tous arrêtés. Du coup, je décide de rester. Je ne voulais pas laisser l’impression de partir comme un voleur. Cela était trop facile. » Il décide alors de laisser l’avion là. Accompagné du jeune pilote belge, il décide cependant de changer d’hôtel. « Au Novotel, il y avait beaucoup de militaires français » et s’inscrit au Méridien « sous (son) nom. (…) J’ai la conviction qu’on peut être arrêté rapidement. En fait, rien. Comme s’ils attendaient que je parte comme un voleur. Trois jours se passent, je reste là. »

Une arrestation qui traîne.

Le 28 au matin, “le “petit belge” (qui avait décidé de repartir et avait trouvé un billet) est en train de faire ces paquets, le commissaire Assan me demande à la réception: « Commandant Wilmart, vous êtes en état d’arrestation. Ne demande même pas au “petit belge” qui il est. Il le laisse. Je vois à la sortie, Josselyn Grange, du Figaro qui se demande pourquoi il est arrêté. Il est très inquiet, choqué, je dis « interrogez d’abord le journaliste, il doit repartir ». Je suis resté interrogé pendant 6 h 30, jusqu’après le coucher du soleil, j’ai dormi. »

En prison.

« On était dans une prison à ciel ouvert, au milieu de 20 condamnés de droit commun. Il y avait là des criminels, des trafiquants de motos. On a dit que j’avais été racketté. Mais il faut voir ce que signifie ce terme en Afrique. Cela veut surtout dire contribuer à la solidarité des prisonniers. Ils ont effectivement pris tout ce qu’il y avait dans mes poches. Mais je suis sidéré de l’organisation des détenus. » C’est le principe : « Il y a un chef, on t’accepte. Et tu contribues à notre bonne entente. Bon, j’ai donné un peu plus que le droit d’entrée. Mais on ne touchera pas à un de tes cheveux. J’ai surtout été bouffé par les moustiques. Vers 23h, un espèce de prince peul, en djellaba bleu – je sais ce n’est pas la région mais c’est l’impression qu’il donnait – me dit « toi, ce n’est pas ta place ici. Il me met dans une cellule, seul. Je n’avais pas mangé. Ils m’offraient de l’eau tellement dégueulasse que je ne l’ai pas bu tellement j’avais peur d’être malade. »

Nouvel interrogatoire

Le 29, transfert à la police judiciaire. Nouvel interrogatoire. « J’ai vu un général qui m’a dit « je suis convaincu de bonne foi. Mais on vous a mis dans un beau merdier. (…) Dans l’ensemble, on a été traités de façon très correcte. On s’est tous retrouvés à la maison d’arrêt, plutôt mieux traités que la moyenne, même si c’était dur. » Le personnel de l’ambassade de France au Tchad et l’armée française passaient chaque jour, les premiers pour apporter de la nourriture, les deuxièmes pour les soins médicaux. Ils étaient très chaleureux. « J’étais épuisé physiquement, par la chaleur, la diarrhée. J’ai été transféré à l’antenne médicale Adji Kossei de N’damena. »

Inculpé au Tchad de « complicité d’enlèvement d’enfants », il récuse ce terme et a tenu à acter au procès-verbal du juge tchadien qui l’interrogeait qu’il « transportait des enfants et non pas les enlevait ». Placé en liberté provisoire, il reste à disposition de la justice tchadienne, bien entendu, mais « jamais les autorités belges ne vont m’autoriser à repartir dans son état » plaide-t-il. « J’ai la bonne conscience des innocents. » Ce baroudeur de l’Afrique tient à aussi rappeler, une vérité, la réalité africaine. « Vous savez quand vous êtes au seuil de la misère, les femmes préfèrent confier leur enfant, dans l’espoir qu’il ait une chance de s’en sortir ». Quant aux autorités tchadiennes, il ne veut pas en dire plus. « Pour eux, nous étions une manne qui tombe du ciel. 17 otages. Ca leur a permis d’user de pression pour obtenir certains avantages.”

S’il y a eu des erreurs dans l’opération, il en a conscience. Mais il ne regrette rien. « Je me battrais jusqu’au bout de personnes qui ont été salies. Je peux concevoir qu’ils aient été naïfs, aient cherché à bousculer les choses, qu’ils aient commis des violations de certaines règles. » Quant à repartir en Afrique, pourquoi pas, « sur des missions de sauvetage dont je suis convaincu, la vie est devant ».

Courage et lâcheté. Jacques Wilmart tient à remercier les Français, qui l’ont assisté, ainsi que les autorités belges, qui ont « agi beaucoup plus discrètement sans panache » mais tout aussi efficacement. Il n’a, en revanche, pas de mots assez durs sur ceux qui, à distance, les ont critiqués et, surtout lâchés. Rama Yade, la secrétaire d’Etat (française) chargée des Droits de l’homme, ‘ un “faux diamant dans un très bel écrin”, particulièrement, lui est restée en travers de la gorge : « Qu’un membre de gouvernement se permette une telle bassesse, çà me révolte » ‘ comme tous les autres qui ont enchaîné derrière (telle la Commission européenne). Tout comme l’attriste la curieuse jalousie de certaines ONG. « Sur le tarmac d’Abeché, à coté d’avions superbes pour le Programme alimentaire mondial ou l”Unicef, avec mon petit Piper, on faisait un peu enfants pauvres. Et, pourtant, on agissait ».

(propos recueillis Nicolas Gros-Verheyde)

Pour un autre témoignage d’un médecin d’Argenteuil (voir Le Monde)

Crédits Photos : xx, Ema, Arche de Zoé

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).