Actu BlogEconomie Zone euroPolitique européenneTraités CIG

Pour ratifier le “pacte budgétaire”, la France va ramer

(crédit : Nauticexpo)

(BRUXELLES2) C'est un sujet plutôt tabou dans les allées européennes. Et quand on pose la question à un diplomate français, la réponse devient soudain beaucoup évasive. D'habitude peu avare de nous conter les finesses ou difficultés constitutionnelles de tel ou tel pays (le Danemark, la Finlande...), un interlocuteur peut soudain se murer dans un prudent silence ou s'en tirer par une pirouette humoristique quand viennent deux questions : comment et quand la France va ratifier le traité européen - dénommé "Pacte budgétaire" dont la signature est prévue au sommet européen des 1er et 2 mars - ? La seule réponse sûre est : pas avant l'été et le résultat des deux élections (présidentielle et législative). Sur le reste, c'est plus flou.

En grattant un peu, on comprend les raisons de cette soudaine timidité. Car la position française aujourd'hui est très, très fragile. Le nouveau texte européen pourrait bien ne pas trouver la voie de la ratification dans l'hexagone. Et la France pourrait même être un des premiers pays - avec l'Irlande - à buter sur l'étape "ratification". Une difficulté qui ne dépend d'ailleurs pas seulement du résultat des élections en cours - comme semble l'affirmer le Président de la République - mais découle tout simplement des rapports de force politiques existants. Explications...

Une situation de quasi-cohabitation

La Gauche (socialistes, communistes, écologistes) est opposée à l'inscription d'une "règle d'or" - budget en équilibre, déficit annuel inférieur à 0,5% du PIB ou de 1% si la dette est inférieur à 60 % - dans la Constitution, comme le prévoit le "Pacte budgétaire", et désire la renégociation de ce Traité. Elle détient une majorité, relative, au Sénat - la chambre haute française. Et cette chambre n'est pas sujet à renouvellement lors des prochaines élections. Il y a de fait une période de quasi-cohabitation qui oblige à certains compromis si les lois veulent être adoptées. Si la gauche maintient sa position de ne pas approuver ce Pacte budgétaire, le gouvernement futur risque ainsi ne pas être en état d'honorer la signature du "Pacte budgétaire" par le gouvernement actuel, sauf à convaincre une nette minorité des "réfractaires". D'autres alternatives auraient pu être envisagées. Mais elles semblent - en l'état - difficiles à mettre en pratique, selon les informations recueillies.

1ère alternative - Ne pas modifier la Constitution

Le Pacte budgétaire prévoit la transcription de la règle d'or dans la Constitution ou dans une disposition à valeur "identique". Une disposition qui vise surtout les pays à tradition constitutionnelle non écrite ou disposant d'une organisation constitutionnelle complexe (imposant le référendum pour la modification de la Constitution). Elle ne s'applique pas, a priori, à la France qui a une tradition constitutionnaliste écrite assez poussée.

Une alternative a bien été examinée par les autorités françaises : transcrire cette règle non pas dans la Constitution mais dans une Loi organique. « Cette hypothèse a été étudiée de façon détaillée. Mais elle est aujourd'hui tombée. On ne peut pas procéder par une loi organique » a précisé un haut responsable français devant quelques journalistes, dont B2. Trop imprécis, trop peu respectueux de l'obligation de transposition.

2e alternative - Modifier la Constitution après la ratification

Une autre hypothèse pourrait de ratifier le Traité et de modifier la Constitution ensuite. Le texte du Traité laisse d'ailleurs un délai d'un an pour transposer cette règle. Or, en France, la ratification d'un Traité qui implique la modification de la Constitution doit d'abord se faire par la modification de ce texte avant que la ratification puisse jouer. Cette disposition m'a été confirmée par un diplomate français, apparemment bien informé :-).

3e alternative - Modifier la Constitution par référendum

Cette solution est tout à fait possible, bien que le président actuel, Nicolas Sarkozy, l'ait rejetée. Mais les promesses avant les élections... n'engagent pas automatiquement les suivants. Et de toute façon, pour qu'il y ait référendum - « le projet ou la proposition de révision doit être (...) voté par les deux assemblées en termes identiques », selon l'article 89 de la Constitution. On se heurte donc, là aussi, à l'obstacle de la majorité sénatoriale, avec un risque supplémentaire : que la population rejette le traité (risque très réel. Il y a peu de responsable politique qui souhaite tenter à nouveau l'aventure de 2005.

La dernière possibilité - Modifier la Constitution par la réunion du Congrès

La seule solution restante est donc la modification de la Constitution par le Congrès (réunion de l'Assemblée nationale et du Sénat). Il faut, pour cela, une majorité de 3/5e des congressistes "présents". Les abstentions et les absences ne sont donc pas décomptées. Mais là encore le projet/proposition de révision doit être voté « par les deux assemblées en termes identiques ». Et là encore, il faut compter avec la majorité sénatoriale. En l'état des forces, selon un rapide comptage - à supposer que chaque groupe ait une discipline de vote stricte - il manque entre une trentaine et une quarantaine de votes pour que le Traité passe.

Reste à savoir si, après les élections, cet équilibre demeurera. Ce que semble certain, c'est que quels que soient les résultats, la large avance dont dispose l'UMP à l'Assemblée nationale (majorité absolue et plus de 100 sièges d'avance sur le groupe suivant) sera difficilement reproductible. La clé de la ratification, ce sont donc les Socialistes qui l'ont. Vont-ils maintenir leur position de refus du "pacte budgétaire" ? Ou changeront-ils d'avis, soit parce qu'ils arrivent en situation de responsabilité gouvernementale, soit parce qu'ils doivent digérer la défaite. C'est apparemment le pari fait par la majorité actuelle regroupée autour de Nicolas Sarkozy. Mais rien n'est moins sûr. Et les différentes "pressions" venues de la Commission européenne sur les différents Etats membres n'influent pas à un changement de position. En tout cas, le pari est risqué. A double titre...

Un risque certain

Comme l'explique ce haut responsable français rencontré à Bruxelles avec quelques journalistes, si nous ne ratifions pas ce traité, « la France sera discréditée, sa signature sera désavouée, l'Europe sera déstabilisée.  » Et de préciser : « L'accalmie que nous voyons aujourd'hui ne vient pas par hasard, elle est la résultante du mécanisme européen de stabilité, de la règle d'or. Ce sera un message très négatif envoyé à la construction européenne et aux marchés financiers qui pourront reprendre leur jeu spéculatif ».

Raison gardons ! La signature de la France a une valeur très relative ; elle n'empêchera pas le nouveau Traité d'entrer en vigueur. Ses signataires ont en effet (sagement) prévu l'hypothèse de non ratification dans un ou plusieurs pays. Le nouveau traité est prévu pour entrer en vigueur à la 12e signature d'un des 17 pays membres de la Zone Euro. Simplement le traité ne sera pas applicable en France. Ce qui réduit ainsi singulièrement le risque mais aussi l'intérêt d'un tel texte. Il y a une certaine chance que quelques Etats membres, voyant la situation française, ne s'empressent pas non plus de ratifier le texte. On risque ainsi un ralentissement généralisé de la ratification...

Commentaire : Ne pas ratifier le "Pacte budgétaire" est donc une sérieuse prise de risque certainement. Mais signer sans avoir la capacité de pouvoir ratifier l'est tout autant. Il aurait été assez logique que les différents partis majoritaires s'entendent sur une position de "négociation" plutôt que de laisser aller ainsi une situation au "forceps". Cette attitude, logique dans nombre de pays habitués à la négociation gouvernementale, ne paraît tout simplement pas évidente en France.

Lire aussi: Le projet de traité Zone euro est écrit. Texte et quelques commentaires

• Article 89 Constitution : Le projet ou la proposition de révision doit être (...) voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum. Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l'Assemblée Nationale.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

2 réflexions sur “Pour ratifier le “pacte budgétaire”, la France va ramer

  • Il y a une autre solution …

    On peut modifier la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) qui est une loi à valeur renforcée dont la méconnaissance peut être sanctionnée par le Conseil constitutionnel … ce qui permet (même si c’est juridiquement faux) de dire que politique la LOLF a la même valeur que la Constitution de 1958 …

    Un esprit pervers pourrait prévoir que le Parlement adopte un budget conforme aux objectifs des accords internationaux en vigueur (bref on ne nomme surtout pas la chose) suivant les modalités actuelles.

    Si le Parlement veut méconnaitre ces Traités, une majorité qualifiée spéciale des 4/5 est requise (comme cela la Constitution n’est pas méconnue, le Parlement demeure Souverain, la gauche est contente car le Parlement fait ce qu’il veut)…

    Or l’expérience démontre qu’une majorité des 4/5 impose un consensus entre majorité et opposition dans chaque chambre. Impossible à obtenir sans cas très particulier …

    CQFD !!!

    On peut signaler que la ratification n’est pas obligatoire mais la renégociation est TOTALEMENT exclue. C’est un point constant de la politique étrangère de la France depuis 1870, et une règle d’or de la diplomatie européenne.
    Mettre à mal ce principe reviendrait à accepter que les britanniques puissent saborder l’acquis communautaire. Aucun dirigeant politique responsable ne ferait cela (mais le promettre est une autre chose !)…

    🙂

    • Nicolas Gros-Verheyde

      L’hypothèse de la loi organique a été étudiée par le gouvernement et rejetée comme impraticable

Commentaires fermés.

s2Member®