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[Editorial] L’honneur de l’Europe

(B2) Alors que le conflit au Proche-Orient a fait éclater l'unité des Européens, Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne  tient bon la barre du bateau "Europe" à la dérive. Il joue pleinement son rôle de coordinateur, mais aussi d'impulseur alors que le moteur ministériel a des ratés. Dans les limites de ses fonctions, mais en utilisant tous les ressorts possibles.

Une Europe en débandade

La guerre déclenchée entre le Hamas palestinien et Israël a mis à nu les divisions farouches entre les gouvernements européens sur le conflit au Proche-Orient. Avec une explosion en plein vol de l'unité. Des divisions exposées de vive voix, lors des visites en Israël comme en Palestine, et aux yeux de tous les partenaires extérieurs, à l'ONU (1).

Un langage commun dur à exprimer

Qui aurait cru qu'un simple appel à un cessez-le-feu voire à une trêve humanitaire immédiate aurait suscité autant de discussions, comme lors des dernières réunions des Affaires étrangères ou du Conseil européen ? Qui aurait cru que le simple rappel des paramètres habituels (pas d'issue au conflit sans solution politique, deux États vivant côte-à-côte, arrêt de la colonisation, Jérusalem comme capitale des deux États) serait aussi difficile à exprimer ?

Entre jeux personnels et défaitisme

Sous le coup de l'émotion de l'attaque sanglante du Hamas en Israël le 7 octobre et de la nécessaire solidarité avec le peuple issu de la Shoah, certains responsables européens semble avoir oublier ce langage auparavant si rituel, qu'on n'y prêtait guère attention. Comme s'ils n'y croyaient plus. D'autres préfèrent jouer une musique personnelle (2). Le couple franco-allemand est aux abonnés absents. Encore une fois, comme au début de l'intervention russe en Ukraine, Olaf Scholz et Emmanuel Macron sont allés, chacun de leur côté, en Israël (et Palestine pour le second).

Une révélation dans la crise

Dans cette "chienlit" européenne, un seul personnage semble tenir la barre du radeau européen, Josep Borrell, le Haut représentant de l'UE. L'Espagnol âgé aujourd'hui de 76 ans se révèle au grand jour dans cette crise, tentant de ramener les 27 à la raison. Son âge, comme son caractère, légèrement ombrageux, considérés comme un handicap à sa nomination, se révèlent, ici, un sérieux atout. Tout comme son expérience. L'homme émerge, solide, et respectueux non seulement de la lettre mais de l'esprit des Traités.

Gardien du cap européen

Le Haut représentant remplit ainsi sa fonction, utilisant au maximum les compétences qui lui ont été confiées, forçant parfois le consensus qui peine à émerger. Cela a été le cas lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères du 23 octobre à Luxembourg. Réunion harassante, difficile où les 27 montrent alors leurs divisions. Devant la presse, il fixe une position qui gratte le poil de la gorge de quelques ministres (l'Autrichien, le Hongrois, ...) la jugeant pas assez fidèle à leurs pensées. Inlassablement, sur les réseaux sociaux aussi, il fait le rappel à la loi humanitaire, critiquant le siège de Gaza, appelant à une « pause des hostilités urgente » pour acheminer l'aide humanitaire, et à une solution politique. Au prix de vertes critiques (3). Il n'en a cure.

... et forceur de consensus

Pour Borrell, il faut que l'Europe prenne position, sur le juste milieu. Une position d'équilibriste. Les faits lui donnent bientôt raison. La situation sur le terrain est devenue critique. Les positions des principaux alliés d'Israël, tels les États-Unis et l'Allemagne, évoluent. Les critiques se font plus discrètes. Le langage commun rejoint le « consensus » avancé de façon un peu audacieuse, quelques jours auparavant. Le Haut représentant arrive, au forceps, peu à peu, à amener les 27 sur un langage commun plus dynamique. Le 12 novembre, il obtient ainsi une déclaration « au nom de l'Union européenne » (donc à l'unanimité des 27) un peu plus dynamique que les précédentes appelant à des pauses « immédiates ». L'adjectif a tout son sens. Le 13 novembre, il présente des paramètres pour l'après-Gaza que certains membres trouvent trop déséquilibrés (Lire : [Actualité] Les six paramètres de l’après offensive sur Gaza selon les Européens. Face à l’urgence, des ponts flottants à Gaza ?). Mais qui se révèlent fort justes. Quelques jours plus tard, les États-Unis de Joe Biden affichent publiquement une position similaire ; le président américain allant même plus loin en menaçant de sanctions les colons extrémistes israéliens (4).

Une leçon pour l'avenir

Cet épisode justifie, plus jamais, le fait d'avoir un personnage au sein de l'arsenal européen, qui soit chargé d'exprimer la voix de l'Europe, de rappeler la position intangible européenne, qu'elle ne soit pas l'otage des positions nationales. Ce rôle devra être renforcé. Face à l'adversité extérieure, chacun devrait aussi ranger ses ego de côté, cesser de vouloir faire des coups médiatiques sans lendemain. C'est le prix à payer pour que l'Europe puisse exister dans le concert mondial.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Lire : [Actualité] L’Unité européenne sur Gaza se fracasse à l’ONU
  2. Entre le quiproquo volontaire du commissaire Varhelyi sur l'aide européenne à la Palestine (lire : [Actualité] Cafouillage à la Commission européenne sur la suspension de l’aide aux Palestiniens), le déploiement par la France du Tonnerre en pseudo-mission humanitaire de navire hôpital par un Emmanuel Macron en mal d'existence, l'affichage ostensible de la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, en compagnie de B. Netanyahu, ou les déplacements et déclarations sur place des ministres tchèques et autrichiens sur place, les exemples ne manquent pas.
  3. Le ministre autrichien des Affaires étrangères Alexander Schallenberg, est un critique particulièrement vif. Il le rabroue vertement sur twitter.
  4. Position que les Européens n'ont jamais réussi à exprimer (Lire : [Alerte] Joe Biden lance le débat sur l'après-Gaza. Des sanctions possibles contre les colons israéliens)

Lire aussi :

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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