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[Editorial] L’impuissance européenne face au conflit Israël-Gaza. Un double standard qui éclate

(B2) La timidité et la lenteur des Européens à condamner les violations des droits de l'Homme à Gaza par les Israéliens, comme leur absence d'initiative décisive pour faire respecter le droit humanitaire, risque de peser lourd, très lourd, dans la voix européenne dans le monde.

Une timidité européenne inexplicable

Il aura fallu cinq mois pour que les Européens arrivent à se mettre d'accord au plus haut niveau sur un appel à une trêve humanitaire immédiate à Gaza et acceptent de mettre en garde sur la situation humanitaire catastrophique à Gaza (lire : [Alerte] Une trêve immédiate entre Israël et Gaza veulent demander les 27 (projet de conclusions)). Mais sans oser cependant pointer le doigt sur le premier responsable de cette catastrophe : le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahu.

La loi du Tallion non respectée

Certes le Hamas, par son action terroriste du 7 octobre, a déclenché l'offensive. Mais la réplique israélienne est sans commune mesure, totalement disproportionnée par rapport aux faits initiaux. Les lois internationales sont violées franchement. La limitation de l'approvisionnement du territoire palestinien en besoins primaires (alimentation, essence, médicaments) s'apparente à un réel blocus. Un fait interdit par le droit international et qui constitue (au minimum) un crime contre l'humanité. Même la vénérable loi biblique du Talion (œil pour œil, dent pour dent... mais pas plus) est foulée aux pieds.

Un saupoudrage par les airs pour pallier un blocus terrestre

Le largage d'aide humanitaire par avion — dont se vantent régulièrement les forces américaines, françaises, etc. — apparait dérisoire. Il reste une goutte d'eau dans l'océan des besoins. Un saupoudrage. Un avion largue en fait ce qu'un simple poids lourd peut acheminer. Avant le 7 octobre, il y avait 500 camions par jour qui approvisionnaient Gaza. Et depuis janvier-février, le rythme est à peine de 100 camions en moyenne.

Imaginons la rotation d'avions nécessaires pour effectuer le même approvisionnement. Le spectaculaire a ici remplacé l'utile. Le corridor maritime qui commence à se mettre en place pourrait être une solution. Mais il ne l'a été que parce que les Américains ont décidé de faire pencher la balance dans ce sens. Alors que la plate-forme de Chypre était disponible depuis plusieurs mois déjà.

Des milliers de victimes décédées sans un souffle de réprimande

Ces opérations cachent, en fait, à peine que les Européens (et occidentaux) n'arrivent pas à faire pression sur leur allié israélien pour respecter le droit international. Le nombre de victimes — quelles que soient les évaluations — avoisine ou dépasse les 30.000 morts. Sans compter les blessés. En grande majorité des civils. En cinq mois, la guerre israélienne à Gaza aura ainsi fait davantage de victimes civiles qu'en deux ans la guerre russe en Ukraine (1). Dans toute autre région, ce fait aurait immédiatement suscité une vive condamnation européenne, accompagnée de mesures sévères.

Aucune mesure de rétorsion

Les Européens ne manquent pas en effet d'instruments pour marquer leur indignation : du courroux diplomatique (convocation d'ambassadeurs, annulations de rencontres de haut niveau) aux mesures de rétorsion économiques (gel ou suspension de certains accords), en passant par la suspension des exportations d'armes (cf. encadré) ou des sanctions individuelles, la « boite à outils » européenne est fournie. En l'espèce, rien de tout cela n'a été mis en place. La boite à outils est restée sur les étagères. Même pour lancer un simple appel à une trêve immédiate, les Européens ont rechigné durant des mois.

Une entaille à la voix européenne

Cet aveu d'impuissance pourrait coûter très cher aux Européens. La politique de double standard, dénoncée parfois à tort par certains responsables politiques ou commentateurs du Sud Global, devient, là, réelle et évidente aux yeux de tous. Les Européens n'auront, demain, plus aucune légitimité pour venir tancer les uns sur le non respect de certaines règles ou valeurs ou demander aux autres leur soutien dans le conflit Russie-Ukraine. La voix de l'Europe dans le monde a subi à Gaza un coup sévère, dont il sera difficile de se relever.

(Nicolas Gros-Verheyde)


Pendant les hostilités, le commerce continue

Les exportations d'armes vers Israël perdurent. Les principaux États exportateurs (France, Roumanie, Tchéquie, Allemagne, Autriche) comme les Pays-Bas (premier exportateur d'armes létales) restent très silencieux sur ce point. Mais, à notre connaissance, aucune suspension des licences n'avait été prononcée fin février (lire : [Décryptage] Qui exporte des armes vers Israël ? Quels équipements ?). Mieux ! Quand un jugement ordonne leur cessation, les gouvernements concernés le contestent. C'est le cas du gouvernement néerlandais qui a choisi, plutôt que d'appliquer un arrêt d'une Cour d'appel lui ordonnant l'arrêt des exportations, de faire un recours en cassation (lire : [Décryptage] Les exportations d’armes vers Israël doivent cesser (tribunal néerlandais).


  1. L'intervention militaire russe en Ukraine (la 2e guerre d'Ukraine) a fait surtout des victimes parmi les militaires. Du côté civil, on dénombre 10.382 tués et 19.659 blessés, entre février 2022 et janvier 2024, selon le bilan dressé par la secrétaire générale adjointe pour les affaires politiques et de maintien de la paix, Rosemary A. Di Carlo, devant le Conseil de sécurité de l'ONU, début février. Avec un bilan réel sans doute supérieur.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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