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Erreur de casting à la Commission européenne

(BRUXELLES2 *) On nous l’avait annoncé habile politique, fin stratège, européen convaincu. L’ancien Premier ministre du Portugal, appelé en juin dernier à prendre la succession à la tête de la Commission européenne de Romano Prodi, se décrit d’ailleurs lui-même comme « modéré du centre droit », réfute l’étiquette de « néolibéral » et répète à qui veut l’entendre qu’il est « à l’écoute ». Mais depuis sa prise de fonction, en novembre dernier, la réalité se décolle de cette image d’Epinal.

Cent jours après... une nuisance pour l’Europe !

Son intronisation a été, il est vrai, entachée d’une erreur funeste. L’entêtement à garder Buttiglione comme commissaire à la justice avait provoqué une première crise. Fallait-il être si ignorant des équilibres européens pour ne pas avoir vu se raidir les positions non seulement à gauche mais aussi au centre et à droite ? Comment n’avoir pas sauté ensuite sur cette opportunité, pour obtenir la nomination d’autres commissaires, un peu plus performants, comme aurait fait n’importe quel homme politique un rien tacticien ? Quelques questions commençaient à nous tarauder… L’homme ne serait-il pas avant tout un petit soldat qui n’a pas su quitter l’étoffe de petit Premier ministre partisan ? Ne restait-il pas celui qui n’avait pas hésité à réunir, aux Açores, un sommet du clan pro-guerre (Américains, Anglais, Espagnols, Portugais), ce qui n’avait pas peu attisé la division entre Européens.

D’autres signes inquiétants ne lassent pas d’interpeller. Dès son arrivée, au Berlaymont (le siège historique de la Commission, rénové à grands frais), le nouveau président de la Commission européenne a fait drastiquement renforcer la sécurité autour de sa propre personne. Les portes ont été claquemurées. Les journalistes ont été cantonnés dans une zone, strictement délimitée, contrairement à la tradition de « transparence » qui prévalait à Bruxelles. Avec un objectif avéré : éviter tout oeil indiscret et surtout toute question gênante. Et aux étages supérieurs du Berlaymont, difficile de percevoir les clameurs de la ville. Tant pis si cela contribue à renforcer son autisme naturel. Mais Barroso tient, avant tout, à être considéré, comme un grand.

Barroso tient avant tout à être considéré comme un grand

Aux premiers actes politiques, ensuite, on a pu saisir que le courage solitaire n’était pas son fort. Au lieu de tirer parti de l’échec du processus de Lisbonne, de donner enfin un vrai projet pour l’Europe — compréhensible aux yeux de tous —, il a produit un des documents les plus fades et bureaucratiques que Bruxelles ait jamais publiés. Tout ce qui pouvait représenter une petite contrainte vers le haut, une certaine originalité — la mesure des performances des pays, la présence d’objectifs sociaux comme la réduction de la pauvreté — a été soigneusement effacé. Et le document réduit à une espèce de bouillie infâme, indigeste et imbibé d’une seule idée: diminuons la législation cela ne peut que nuire aux entreprises, laissons faire le marché… et les gouvernements. Eux seuls savent ! A la place, on voit croître et multiplier, des « livres verts », communications et bilans de toutes sortes, année européenne pour ci, lancement d’un institut pour cela, etc.

Au lieu de l’union souhaitée s’installe la division. Au point que le doute ronge, même en interne. Où est passé le projet européen ? Est-ce vraiment pour cela qu’on a créé une Commission, qu’on lui consacre 1 % des impôts ? Pour accroître les divisions ? Est-ce vraiment d’une machine à produire du papier dont les Européens aient besoin ?

La feuille de route d’un président de la Commission européenne n’est certes pas une sinécure. Il faut être pourvoyeur d’idées en acceptant de voir la paternité de ses « succès » endossée par d’autres. Il faut savoir manier le bâton et être prêt à servir de punching ball aux humeurs des uns ou des autres. Enfin il faut savoir s’imposer dans les moments difficiles. Un rôle, peu reluisant, plus proche de l’abnégation du marcheur de fond que du sprinter de jeux olympiques, mais nécessaire. Sans un mécanicien à bord, tantôt roué, tantôt fort, et imaginatif, le moteur communautaire tourne à vide. Or, ce rôle, l’actuel président de la Commission européenne ne l’assume pas, n’en veut pas ! Barroso s’aime trop pour cela. Et, surtout, voudrait tant être aimé. En cela, se trompe de scène et d’époque. L’Europe n’est pas la Chine de Mao. Sauf à tourner casaque à sa nature, Barroso assurément ne semble pas être ni l’homme dont l’Europe rêve ni surtout celui dont elle a besoin.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(* paru dans France-Soir - mars 2005 télécharger) NB : un article qui n'eut pas l'air de plaire à l'intéressé (ou à son entourage) et me valut la mise à l'index pour quelques mois (années) des invitations du président.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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